Arrivé chez les jeunes à quinze ans, Dico devient rapidement Pelé et s'impose rapidement dans le onze de Santos. De ce mariage d’amour, naît alors la plus belle période de l’histoire du Peixe. Retour sur la carrière noire et blanche du Roi Pelé.
Après ses débuts en septembre 1956, Pelé s’installe dans un Santos qui reste une bonne équipe mais est encore loin des São Paulo, Palmeiras et autre Corinthians même si le Peixe vient de mettre fin l'hégémonie de ce trio en remportant le Paulista 1955, le deuxième de son histoire, avant de récidiver l’année suivante. C’est au sein d’une équipe déjà redoutable localement que Pelé s’installe début 1957, alors qu’il n’a que seize ans, profitant de la blessure de Válter Vasconcelos (une jambe brisée face à São Paulo en finale du Pauliste en fin d’année précédente,) la grande idole de l’époque dont la carrière ne se relancera jamais ensuite. Rapidement, le gamin se fait un nom, claque vingt buts dès son premier Paulista, terminant meilleur buteur du club, que Santos ne remporte pas, mais est désormais craint comme le loup blanc par les Paulistas. Ne lui reste alors plus qu’à se faire connaître hors des limites de l’état.
Tout débute par un tournoi organisé à Rio opposant quatre clubs brésiliens à quatre Européens. L’un des représentants du pays est un mélange de joueurs de Santos et du Vasco, Pelé est choisi pour être aligné en pointe. C’est alors que Pelé découvre le Maracanã, d’où surgissent les fantômes de 1950 mais dans lequel il finira par écrire quelques-unes de ses plus belles pages. Son premier match dans ce stade lui oppose Belenenses, Pelé fait exploser à lui seul les Portugais, s’offre un triplé, l’histoire est en marche. Après de nouveaux buts inscrits face à São Paulo et Flamengo, Pelé est alors contacté pour participer à la Copa Roca avec la sélection, il éclate aux yeux du monde l’année suivante en Suède, son statut vient de changer (la suite en sélection se lit ici). L’année 1958 est celle de tous les records. Alors que Del Vecchio a quitté Santos pour l’Italie, laissant la place libre à Pelé, ce dernier empile les buts (cinquante-huit en trente-huit matchs, record encore inégalé) et mène le Peixe vers le titre lors du Paulista.
Tournées en Europe avant la conquête du monde
Fort des succès de sa pépite, Santos veut en profiter pour se développer et générer du profit. Pour cela, le club quitte le Brésil et entame une tournée européenne notamment qui surcharge un calendrier déjà dense pour le futur Roi qui effectue cette année-là son service militaire (entre mai 1959 et juillet 1959, Santos joue vingt-deux matchs en Europe). Alors on peut voir du Pelé en Espagne, en Suisse, en Allemagne de l’Ouest, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal. « C’était ridicule, » écrit l’idole quelques années plus tard dans une de ses biographies, « nous n’avions pas le temps de nous reposer, parfois à peine pour faire le trajet. » Ce sont aussi ces tournées qui permettent à Pelé de développer son image internationale tout en restant au pays, les projecteurs d’une Coupe du Monde ne se tournant vers lui qu’une fois tous les quatre ans. Car si au début des années soixante plusieurs clubs européens viennent frapper à la porte (le Real Madrid, la Juventus, Manchester United), le Roi est invendable. Devenu « trésor national non exportable, » Pelé reste à Santos, continue de marcher sur le Brésil.
Au terme de l’incroyable année 1959, qui le voit disputer cent-trois cent-quatre matchs et inscrire cent vingt-quatre buts, dont l’un, inscrit le 2 août, est entré dans la légende comme le plus beau de l’histoire. C'était face à la Juventus, non pas l’Italienne comme beaucoup l’écrivent, mais celle de São Paulo. Même s’il n’atteint pas le record des cinquante-huit buts inscrits en Paulista l’année précédente, Pelé termine meilleur buteur de l’épreuve pour la troisième fois consécutive et voit une fois encore le titre s’envoler du côté de Palmeiras. Il récupère son bien en 1960, titre conservé en 1961 et 1962, qui permettent au Peixe de disputer la Taça Brasil, ancêtre du Brasileirão qui oppose les vainqueurs des différents championnats d’états. Santos remporte l’édition 1961 qui va lui permettre de participer à la Copa Libertadores 1962, la première du club.
Blessé lors de la Coupe du Monde chilienne, Pelé profite de la Libertadores pour briller. Ayant survolé son groupe lors du premier tour, Santos élimine non sans mal l’Universidad Católica en demi-finales et s’octroie ainsi le droit d’affronter l’ogre de l’époque, double tenant du titre, le Peñarol de la légende Alberto Spencer. Vainqueur à l’aller au Centenario, Santos se fait piéger au retour chez lui au terme d’un des matchs les plus improbables de l’histoire. José Pepe Macia raconte : « Au coup de sifflet final, nous pensions être champions. On avait gagné à Montevideo et on venait de faire 3-3. Tout le monde célébrait. Mais en rentrant aux vestiaires, le lateral droit uruguayen Edgardo González m’a dit : « il ne compte pas ». J’étais confus, dans les vestiaires j’en ai parlé, mais on m’a dit de ne pas y accorder d’importance. Le lendemain, nous apprenions que l’arbitre avait validé le match à 3-2 pour Peñarol et que nous devions jouer un troisième match. » En cause, une bouteille reçue par l’arbitre assistant un corner en tout début de seconde période. Les officiels décident alors de suspendre la rencontre, Carlos Robbles, l’arbitre ne veut alors pas faire reprendre le match. Mais la tension grandissante, il se ravise au bout de cinquante-et-une minutes, réunit les deux capitaines dans le rond central et leur indique que le résultat du match est suspendu à 3-2 mais qu’il faut disputer les trente-neuf minutes restantes pour ne pas « mettre sa vie en danger » (dans le rapport du match, Robbles rappelle les menaces qu’il a reçues dans les vestiaires, certaines étant directement des menaces de mort). La victoire du Peñarol entérinée, un troisième match doit être organisé, il se déroule à Buenos Aires, au Monumental, près d’un mois plus tard, il permet à Pelé d’entrer dans l’histoire de l’épreuve, le numéro 10 de Santos inscrivant un doublé et provocant le but contre son camp de Caetano. Santos devient alors le premier club brésilien à remporter la Libertadores, il s’offre une exposition mondiale en même temps que son crack en offre une à l’épreuve.
Quinze jours plus tard, Pelé et Santos prennent le dessus sur le Benfica d’Eusébio en finale aller de l’Intercontinentale, O Rey parachève le succès du Peixe au retour en éteignant la Luz d’un formidable triplé. Santos règne alors sur le monde, l’année où le Brésil s’est offert sa deuxième étoile. L’année suivante, Santos conserve ses deux titres internationaux, remportant la Libertadores face à Boca, remportant l’Interncontinentale face au Milan AC de José Altafini dit Mazzola et conserve la Taça Brasil (il le fera jusqu’en 1965).
Derniers exploits avant une sortie idéale
Pelé continue d’empiler les buts avec un Peixe qu’il a fait passer de bonne équipe du Paulista à ogre mondial. Malheureusement, les succès continentaux ne resteront que des souvenirs. Eliminé en demi-finales de la Libertadores 1964 par Independiente, Santos sort en demies de l’édition 1965, éliminé par Peñarol d’une compétition de laquelle Pelé sort meilleur buteur. Qu’importe, au Brésil, le Santos de Pelé est quasiment invincible dans les années soixante, glanant huit Paulista et six Taça Brasil durant cette décennie. Et comme un symbole, comme pour mieux faire écho au traumatisme de 1950, Pelé choisit toujours le Maracanã pour écrire les chapitres les plus importants de son livre d’histoire. C’est au Maracanã qu’il inscrit le Gol de Placa face à Fluminense, but de soixante-dix mètres au cours duquel il ridiculise à lui seul toute la défense du Flu (une histoire à lire ici), c’est au Maracanã qu’il inscrit son 1000e but avec le Peixe, un soir de novembre 1969 face à Vasco.
Mais l’histoire d’amour de Pelé à Santos s’approche de son terme. La Coupe du Monde anglaise a laissé des traces et les années suivantes voient un Pelé qui commence à être usé des cadences folles qu’il subit depuis ses débuts il y a une dizaine d’années. S’il reste l’homme clé du Peixe dans la conquête de ses derniers titres nationaux, son rendement diminue et le début des années soixante-dix, marqué par une troisième Coupe du Monde qui a fait entrer définitivement Pelé dans l'histoire du football, est aussi le début d’une réflexion du Roi quant à sa retraite. En juillet 1971, il dispute son tout dernier match officiel en sélection. À partir de 1972, il commence à préparer sa sortie de Santos, participe encore aux tournées mondiales qui l’emmènent aux quatre coins du monde, mais la fin est proche, la date fatidique de sa fin de carrière au Peixe sur le point d’arriver.
Le couperet tombe en octobre 1974, moment choisi par le Rei de dire adieux aux siens. Nous sommes le 2 octobre 1974, Vila Belmiro est rempli comme jamais, tout le monde veut assister à ce moment d’histoire. L’histoire ne retiendra pas que Pelé n’a pas marqué pour son dernier match avec Santos, non, elle retiendra que ce 2 octobre 1974, o Rei décide lui-même de sa sortie. On joue alors la 23e minute lorsque Pelé prend le ballon dans la main pour le poser dans le rond central. Le Roi s’agenouille, larmes aux yeux pour remercier Dieu, avant de s’en aller réaliser un tour du stade aux sons des « Pelé, Pelé. »
Après dix Paulista, six Taça Brasil, deux Libertadores et deux Coupes Intercontinentales, Pelé a inscrit en lettres d’or la légende du Peixe. Ce 2 octobre 1974, après 1091 buts en 1118 matchs, Santos voit les dix-huit plus belles années de son histoire prendre fin. Le Brésil peut alors pleurer sa plus grande légende.