À quelques jours du début de la Coupe du monde 2018, Zico a accordé une interview à El País, où il revient sur sa carrière avec la Seleção, les espoirs du Brésil pour la Coupe du monde en Russie, les dirigeants de la FIFA et de la CBF ou encore la situation actuelle du pays.

banlomag

El País : Récemment, Romário a déclaré que tu étais le meilleur joueur de club qu’il avait vu jouer…

Zico : Je ne comprends pas ce « joueur de club ».

El País : Peut-être pour ton lien avec Flamengo ?

Zico : Romário a gagné une Coupe du Monde, c’est différent. Mais je ne fais pas la différence entre joueur de club et joueur de sélection. J’ai aussi été un joueur de sélection, j’ai gagné des choses avec la Seleção. J’ai disputé trois Coupes du Monde. Qui est le troisième meilleur buteur de l’histoire de la Seleção ? Quel est le seul de ce classement à ne pas être attaquant ? Donc c’est quoi cette histoire de « joueur de club » ? J’ai perdu un seul match officiel avec la sélection (contre l’Italie à la Coupe du Monde 1982). Un seul ! (NDLR : Zico a également perdu deux matchs amicaux, contre la France et l’URSS) C’est quel genre de « joueur de club » ? C’est injuste de dire que j’ai seulement été un joueur de club. Je n’ai pas gagné la Coupe du Monde, mais il faut respecter mon histoire avec la Seleção.

El País : Que penses-tu des critiques sur les joueurs selon le nombre de Coupes du Monde gagnées ?

Zico : Je pense que c’est ridicule. Ce qui importe, c’est ta carrière. Gagner ou perdre fait partie du jeu. Je n’échangerais pas une Taça Guanabara remportée avec Flamengo contre la Coupe du Monde. Que dire de Di Stéfano, Cruyff, Puskás ? On dit quoi sur Messi et Cristiano Ronaldo ? Je suis en bonne compagnie, non ? Ils ne cessent pas d’être des craques parce qu’ils n’ont jamais gagné la Coupe du Monde.

El País : La majorité des joueurs viennent de famille pauvre, de quartiers en périphérie…

Zico (il coupe) : Excusez-moi, mais je suis aussi originaire d’un quartier pauvre. Je suis de Quintino.

El País : Sans aucun doute. Justement, tu penses qu’il existe des préjugés sur les joueurs qui, bien qu’ils n’aient pas fait d’études, connaissent une ascension sociale exceptionnelle grâce au football ?

Zico : Ça dépend. Le problème, c’est quand ils insistent pour que tu changes ta vie, ce que tu aimes faire.

El País : C’est ce qui est arrivé à Garrincha et Adriano ?

Zico : La grande erreur avec Garrincha, c’est qu’il venait de l’intérieur, il vivait proche de la nature, en short et pieds nus pour descendre dans la rue et ils ont voulu l’entraîner vers un autre milieu. Garrincha voulait vivre avec la simplicité qu’il aimait. Il était différent des autres. Quand ils ont privé Garrincha de son habitat, c’en était fini de sa joie et de sa vie. Ce n’était plus Garrincha. C’est la même chose avec Adriano. Comme athlète, il faut prendre soin de soi pour la compétition. Le joueur vit de son corps. Il peut être dans la favela, rester dans un endroit plus modeste et profiter de ses amis. Mais il ne faut pas exagérer les choses qui dégradent la santé du sportif. C’est ce qui est arrivé à Garrincha et Adriano.

El País : Neymar souffre du même jugement de la part de l’opinion publique ?

Zico : Il faut qu’il fasse attention lorsqu’il est en compétition. Je ne cessais pas de sortir, d’aller au théâtre ou à des concerts, de prendre une bière ou un verre de vin. C’était mes moments avec ma femme, ma famille. Mais à l’entraînement, j’étais le premier à arriver et le dernier à partir. J’étais toujours en forme pour jouer. Je ne ratais aucun match : championnat national, Libertadores, Carioca ou un amical à Arapiraca, j’étais là. Si Neymar répond à ses obligations sur le terrain, pourquoi s’en prendre à lui ? C’était pareil pour Renato Gaúcho. Il allait à ses fêtes, mais quand il était sur le terrain, il courrait plus que tout le monde.

El País : Tu as défendu Neymar plusieurs fois, principalement quand il a été critiqué pour son individualisme au Paris SG.

Zico : Mais c’est évident. Le mec est le meilleur passeur, buteur, il a sauvé la peau de l’entraîneur, c’est un putain de joueur, il offre des occasions de but à ses coéquipiers, il marque n’importe quand, l’équipe dépend énormément de lui. Qu’est-ce qu’on va critiquer ?

El País : En tant que joueur principal de sa génération, tu penses qu’il peut répéter ce qu’a fait Romário en 1994 et mener la Seleção au titre de champion du monde ?

Zico : Je ne suis pas d’accord pour dire que Romário a mené tout seul cette sélection au titre. Il avait Bebeto et un milieu de terrain très fort, qui assurait les tâches défensives. Parreira a su créer un système qui savait jouer avec les deux attaquants qu’il avait. Et c’est ce que fait Tite aujourd’hui. Il connaît les joueurs qu’il a à sa disposition, il a adopté une philosophie qui fonctionne. Mais c’est clair que Neymar arrive à cette Coupe du Monde comme l’un des grands noms du football mondial. On attend beaucoup de lui et il a le potentiel pour répondre à ces attentes.

El País : Même en revenant d’une fracture au pied ?

Zico : Neymar, s’il récupère rapidement la confiance après sa blessure, va faire exploser cette Coupe du Monde. Il est la cerise sur le gâteau, et le gâteau brésilien est excellent. On ne dépend pas autant de Neymar que l’Argentine de Messi et le Portugal de Cristiano Ronaldo. Neymar est un plus, il donne de la confiance à ses partenaires, mais il n’est pas le seul qui peut faire la différence dans cette équipe.

El País : Si tu étais invité, tu accepterais un poste à la CBF ?

Zico : N’importe quel type avec un minimum de bon sens ne va pas participer à cette CBF, en sachant de quelle façon les choses fonctionnent là-bas.

El País : Tu te sens soulagé de ne pas avoir été dirigeant après le scandale de corruption à la FIFA ?

Zico : Je ne me sens pas soulagé non. Car si j’avais été là, rien de tout ça ne se serait passé. J’ai vu beaucoup d’interviews de personnes qui méprisaient ma candidature (à la présidence de la FIFA en 2015), disant que Blatter était très bien, que Ricardo Teixeira était merveilleux. Tous ceux qui ont profité de ces personnes, ça s’est bien passé pour eux. Ce que je ne vois pas aujourd’hui, c’est une partie de la presse aller confronter ces mecs, leur rappeler ce qu’ils ont dit, qui ils ont soutenu. L’un des plus grands journaux du pays a interviewé cet Allemand melequento, Matthäus, Mateus, je ne sais pas, disant que ma candidature était une blague, que Blatter était l’homme de la situation. Depuis, le journal n’est pas allé lui demander : « Tu n’as pas dit que Blatter était ci ou ça ? Et maintenant ? Qu’est-ce que tu as à dire ? » Les personnes n’ont pas à assumer ensuite. À l’époque, ils ne m’ont même pas donné un droit de réponse. C’est ce qui me fait mal.

El País : Tu comprends pourquoi ta candidature n’a pas été prise au sérieux ?

Zico : Je crois que oui. Ils en ont fait une blague. Ou alors, ils ont pensé que je serai un de plus, que le système était bien armé et que j’allais entrer là-dedans. La presse à l’étranger m’a donné plus de soutien qu’ici. Et maintenant, on voit ce qu’il se passe à la CBF et la FIFA.

El País : Selon le discours des dirigeants, la CBF s’est modernisée…

Zico : S’est modernisée, mon œil ! La CBF a changé de statut sans prévenir personne et a fait une élection dans l’ombre. C’est ça, se moderniser ? Ils ont fait une élection un an avant la date prévue et n’ont laissé personne poser sa candidature. Ils ont toutes les fédérations entre les mains. Il n’existe pas de démocratie à la CBF, c’est une modernisation de façade. Comme mon père disait : « La merde reste la même, seules les mouches changent ».

El País : Après la Coupe du Monde, le Maracanã est longtemps resté fermé et les affluences restent faibles. Comment se présente le futur du stade ?

Zico : Ils ont pensé qu’il fallait récupérer l’investissement sur une courte durée. Ils ont viré le peuple du Maracanã, c’est très triste. Flamengo a maintenant pris l’initiative de baisser le prix des billets. Il faut remplir le stade, le seul propriétaire du Maracanã, c’est le peuple. Les dirigeants ont laissé la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques monter à la tête, et en même temps, ils ont beaucoup augmenté le prix des places. Apparemment, ils reviennent à la réalité. Ça va aider le peuple à revenir au Maracanã.

El País : Ton frère a été torturé à l’époque de la dictature. Que penses-tu des mouvements qui demandent l’intervention militaire au Brésil ?

Zico : C’est vrai, mon frère a souffert de la main de la dictature. Il faut que ça soit clair : la dictature est une chose, l’ordre et la discipline en est une autre. Les gens confondent tout cela. Les militaires ont commis beaucoup d’erreurs pendant la dictature. Seulement, le Brésil a désormais besoin d’ordre et de discipline, pas d’une dictature. La dictature, personne n’en a besoin, à aucun endroit.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.