Dans un entretien donné à La Capital, Edgardo Bauza s’exprime pour la première fois sur sa destitution. Il raconte sa vie en sélection, ses joueurs et tire à boulets rouges sur la nouvelle AFA.    

C’est un Edgardo Bauza en paix avec lui-même qui a accordé un long entretien à La Capital, journal de Rosario. L’occasion pour lui de revenir sur ses derniers jours à la tête de la sélection et rapidement de s’en prendre non pas au fait qu’il a été licencié, mais à la façon d’agir des dirigeants de l’AFA, qu’il vise directement. L’occasion aussi d’évoquer ses joueurs, sa traversée à la tête de la sélection, son avenir.

Comment allez-vous après cette sortie controversée

Maintenant je vais bien. La colère est passée. On apprend de tout. Parce que quel que soit ce qu’ils racontent, j’étais viré de la sélection avant que ces dirigeants arrivent. S’ils ne m’ont pas viré, c’est parce qu’on a battu le Chili. Sinon, ils m’auraient viré avant. Mais tout n’est qu’une question de politique de l’AFA. Les mêmes porte-paroles à qui on disait de parler sont ceux qui m’ont prévenu. Mais comme ce ne sont pas mes manières et ce ne le seront jamais, je suis resté indifférent. C’est ce que j’ai dit à Tapia lorsque nous avons été face à face, sans intermédiaire. J’ai dit qu’ils se trompaient en voulant me virer en s’appuyant sur des rumeurs parce qu’il était évident qu’ils ne me connaissaient pas.

Vous pensez quoi de Tapia ?

Il m’a dit qu’il voulait changer les choses et qu’ils avaient analysés les choses, ce qui les avait conduits à cette décision. Mais lorsqu’on a parlé football, il ne m’a rien dit parce qu’il n’a aucune idée sur les aspects footballistiques. Ce sont des syndicalistes. Je le dis sans aucune connotation péjorative, c’est un fait. Avec Marcelo (Tinelli), nous avons parlé football parce que lui, il comprend, on a discuté de ce que nous devions faire pour changer les choses. Mais Tapia ne m’a donné aucun argument footballistique. Il n’y avait aucune logique dans ses propos. La seule chose qu’il m’a dit est que c’était sa décision. Ce dont je doute. 

C’est une décision d’Angelici ?

Evidemment. C’est pour cela que je dis que j’étais viré dès le moment où ils sont arrivés aux commandes et que tout ce qui a été déclaré avant était inutile. Ce n’était pas nécessaire, il suffisait de venir me voir et me le dire. Mais non, ils ont préféré laissé se dire des atrocités à travers les journaux dans le seul but de dévaluer davantage le football argentin. Les journalistes n’ont rien inventé, ils n’ont fait que répéter ce que les autres disaient. Et comme je n’ai pas cherché à contester les propos, ils ont continué. Une fois qu’ils se sont rendus compte que je ne bougeais pas, ils ont pris leur courage à deux mains et sont venus me voir et me dire ce qu’ils avaient déjà décidé. Alors ils ont organisé cette conférence de presse qui était une blague.

Mais pourquoi êtes-vous allés à cette réunion ?

Parce que Tapia m’avait convoqué et Marcelo Tinelli m’a dit « viens, faisons-le et on s’en va. » On est parti tous les deux.

Le départ de Tinelli ne vous a donc pas surpris ?

Je ne suis pas surpris mais je sais aussi qu’il a vraiment des soucis de santé. Sans aucun doute, cela a fini par le convaincre de se retirer. C’est une bonne chose parce qu’il était seul à se battre pour changer le football.

Ce mauvais traitement reçu de la part de l’AFA, c’est ce qui vous blesse le plus ?

Non. Tout cela blesse ma famille, mes amis et les gens qui se montrent solidaires avec moi. Cela blesse sans aucun doute tous ceux qui voulaient que le football argentin change une bonne fois pour toute. Il n’y a pas mort d’homme lorsqu’on change un entraîneur. Plusieurs fois un président est venu me voir pour mettre fin à notre collaboration et nous l’avons fait. Dans certains cas, c’est même moi qui a pris cette initiative. Il y a toujours des moments difficiles en football. Même avant les victoires. Avec la Liga de Quito, une fois il a fallu que je m’échappe dans une voiture de police, quelques temps plus tard, nous gagnions tout. A San Lorenzo, on a souffert pour se qualifier en Libertadores et nous sommes pourtant sortis champions. Mais ici, ils ont mené une campagne médiatique dans laquelle ils ont dit des atrocités. Je suis content que ce soit terminé parce que j’ai énormément souffert de cela. J’espère que j’étais une exception.

Je ne crois pas, ils ont licencié les employés des services de presse nommés par Tinelli de la même manière.

Si c’est leur méthode, c’est triste.

Qu’est-ce qui vous touche le plus ?

L’amertume de ne pas diriger lors d’une Coupe du Monde. C’est la seule chose qu’il me manque à réaliser en tant que professionnel. Ç’aurait complété ma carrière. J’étais convaincu que nous faisions quelque chose d’important. J’ai laissé tomber São Paulo pour la sélection, pas pour l’argent, parce que je gagnais plus là-bas, mais uniquement parce que tout entraîneur rêve d’entraîner la sélection de son pays. Mais je ne pourrais pas aller jusqu’au bout. Je suis persuadé que l’Argentine se qualifiera, je n’ai aucun doute à ce sujet.

Vous dites que votre départ et l’arrivée du remplaçant était déjà décidés bien avant. Cela vous blesse que Sampaoli ait accepter de discuter avec eux alors que vous étiez encore en poste ?

Cela ne me touche pas, ça m’amuse. Tout comme ça m’amuse de le voir nier. Lors d’une conférence récente, il a nié en disant qu’il y avait déjà un entraîneur en place, alors que je savais que plusieurs mois auparavant, il avait discuté avec certains dirigeants avec qui il s’était mis d’accord. Borghi a raconté publiquement son expérience au Chili. Cela ne me parait ni logique ni éthique mais l’éthique se perd dans le football. Je ne dis pas qu’il ne devait pas répondre à un appel d’un dirigeant, parce que cela m’est arrivé. Je ne donnerai pas de nom mais un jour, un président d’un club m’a appelé. Je lui ai dit que tant qu’il avait un entraîneur en poste, je ne lui parlerai pas. Quand j’ai raccroché avec lui, j’ai appelé son entraîneur en place pour lui dire que son dirigeant m’avait appelé pour m’offrir son poste. Pour cela, ce n’est pas un souci que Sampaoli parle avec eux, ce qui me parait moins bien c’est qu’il ne clarifie pas les choses. Mais bon, chacun fait comme il peut. Je lui souhaite le meilleur et que l’Argentine remporte la Coupe du Monde.

Au-delà de tous ces aspects, vous avez aussi commis des erreurs non ?

Oui, bien sûr mais pas autant que tout ce qui a été écrit dans la presse. Une erreur a été d’être avec la presse comme je l’avais toujours été. Je leur donnais tout, je parlais avec tout le monde et trop. Ensuite, j’ai compris que je m’étais trompé. Ils me posaient des questions sur les schémas, les caractéristiques, les joueurs en particulier et je répondais sans mystères. Ensuite j’ai compris que cela nous affectait au sein du groupe.

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L’intimité c’est quelque chose que les joueurs de la sélection cherchent à protéger

Oui, alors que je parlais de tout ouvertement. C’est ce que je corrigerais pour qu’ils ne se sentent pas exposés.

Les joueurs t’en ont parlé ?

Non. J’en ai discuté avec l’encadrement technique. La sélection est différente d’un club parce que dans ce cas, on a affaire à des joueurs d’élite qui ont dû adopter un style de vie avec de nombreux secrets pour se préserver. Quand les dirigeants ont essayé de m’affaiblir à travers la presse, plusieurs m’ont dit de ne pas y prêter attention. Avec le temps, ils savaient comment aborder ce genre de situations.

C’est pour cela que la relation avec les joueurs a été de moins bien à mieux ?

En football, il est habituel que les joueurs arrivent avec une certaine appréhension devant un nouveau technicien, il y a alors un processus de connaissance réciproque et ce processus passe par l’acquisition d’une confiance plus grande. Avec les gars de la sélection, la relation était très bonne même si nous n’avions pas autant de temps pour travailler puisqu’ils arrivaient, jouaient et repartaient. Pour illustrer cela, quand les dirigeants ont donné leur décision, je suis resté en contact avec tous les joueurs, certains, je les ai appelés, d’autres m’ont appelé, d’autres m’ont écrit. Je n’ai eu aucun souci relationnel, je n’ai rien à leur reprocher.

Avec Messi aussi vous êtes restés en contact ?

Bien sûr.

Mais jamais cela n’aura été vous en sélection. Parce que au-delà des préférences de chacun, l’Argentine n’a jamais joué avec votre style. Parfois contre la Colombie ou contre l’Uruguay mais de manière très diffuse….

C’est vrai. Aussi certain que cela conforte l’idée qu’il faut un temps de travail en commun. Vous parlez de la Colombie, c’est le seul match pour lequel nous avons eu trois jours de préparation. Et cela s’est vu. Quatre des huit matchs ont été sans Messi et ce n’est pas un détail mineur si vous regardez ce qu’il a été capable de faire ce dimanche à Madrid. Nous n’avons pas eu non plus l’occasion de disputer des matchs amicaux comme il y en avait autrefois et comme en aura Sampaoli. On était content de pouvoir disposer de trois matchs amicaux pour travailler ensemble. Mais aussi pour voir d’autres joueurs. Parce qu’il est aussi certain que tu diriges l’Argentine et que les joueurs arrivent avec des habitudes quant à la façon de joueur, il faut faire attention aux changements de jeu parce qu’il existe une volonté offensive mais il est aussi déterminant de rester équilibrés pour mieux défendre. Ces modifications sont graduelles, elles demandent du temps de travail. Pour beaucoup, cela sera une excuse mais ce n’est pas le cas.

Mais ce sont des joueurs de haut niveau, ils ne doivent pas avoir de mal à s’adapter ?

Ils n’en ont pas. Contre l’Uruguay, quand on s’est retrouvé en infériorité, j’ai placé deux lignes de quatre et une pointe et Messi a joué un grand moment sur la droite. Quand les joueurs doivent s’adapter à une situation, ils le font très bien. Mais mettre en place un autre schéma de jeu requiert plus de temps et lorsque que tu ne l’as pas, les modifications se font de manière plus lente, de façon plus graduelle.

Ce groupe pouvait jouer selon votre style qui est différent de Sabella ou Martino ?

Oui, parce que ces joueurs-là ont la capacité de s’adapter. Comme ils s’adapteront à Sampaoli, qui est encore différent. Le schéma que je voulais utiliser était un 4-2-3-1 qui permettait à Messi de jouer à droite pour avoir l’espace suffisant pour créer en toute liberté. Je ne suis pas convaincu qu’il puisse évoluer au milieu. C’est aussi le format qui lui convient le mieux.

On s’attendait aussi à ce qu’il y ait de profonds changements dans les listes car un groupe d’amis était installé dans ce groupe. Mais là non plus ce ne fut pas le cas…

C’est un mensonge que de dire qu’il y a un groupe d’amis qui fait et défait la sélection. Nous avions fait une liste de 60 joueurs que nous avons suivis, certains déjà appelés et d’autres allaient arriver. En ce qui me concerne, jamais un joueur n’est venu me voir pour me demander de ne pas appeler untel ou untel. Dans le cas de Mauro Icardi, j’ai toujours été clair et je le lui ai dit. La vérité, c’est que je le remercie d’avoir eu la gentillesse de dire qu’il savait que j’allais l’appeler à un moment ou à un autre. Je sais qu’ils croient aussi en cette légende qui veut que Messi choisi l’équipe, décide de l’entraîneur. Mais ce n’est pas le cas. Je le répète, ils jouent le dimanche avec leur équipe, voyagent pendant 15 heures, doivent se reposer le mardi, s’entraîner une heure mercredi avec la sélection pour jouer le jeudi. Au milieu de tout ça, ils subissent des séances vidéo, comme je les subissais quand mes entraîneurs les passaient. C’est compliqué de travailler à ce niveau sans aucun temps de préparation. C’est compliqué sur plein d’aspects. Mais à tout moment, les joueurs ont montré leur volonté parce qu’ils aiment jouer avec la sélection et veulent toujours gagner.

Vous ne pouvez pas nier que les joueurs sont compliqués à gérer. Ils n’ont jamais soutenu les précédents entraîneurs, ni vous…

C’est une décision qu’ils ont prise il y a quelques temps parce qu’elle avait servi comme excuse. En leur nom, des choses ont été faites sans les consulter. Il faut prendre cela en compte, qu’on leur attribue par exemple la vie et la mort du sélectionneur ou le choix des joueurs. Ce n’est pas ainsi. Messi par exemple est fatigué qu’on l’emmène sur ces thèmes, qu’on lui demande de résoudre la situation du sélectionneur avant que Tapia aille le voir. Ainsi ont-ils décidé de ne plus parler à la presse lorsqu’ils sentent que cela peut aggraver les choses. Quand ils viennent jouer, ils se sentent sous pression. Je savais par avance qu’ils ne feraient aucune déclaration publique au sujet de ma continuité. Ils l’ont fait en privé, cela me suffit.

Vous dîtes qu’ils ont des prédispositions mais une critique récurrente est leur manque d’attitude, de caractère…

C’est peut-être à cause de l’idée du leader stéréotype qui crie ou se bat comme l’était Maradona, c’est la nécessité dont avait besoin des contemporains du Mundial 96, de compter sur un Ruggeri ou un type avec du tempérament. Mais les footballeurs d’aujourd’hui forment une génération différente, les leaders sont ainsi bien différents, ils exercent leur leadership d’une autre façon. Ce n’est pas un manque d’attitude.

Ceux qui gèrent les groupes peuvent aussi convoquer des joueurs parce qu’ils sont plus importants dans la vie du groupe que par leur travail. C’est le cas de Lavezzi ?

Ce n’est pas cela. Evidemment qu’il est un joueur important pour le groupe. Très positif sur le terrain et en dehors. Footballistiquement, c’est un joueur qui ne craint pas de prendre ses responsabilités et lorsqu’il est en pleine capacité physique, il est important dans les 20 derniers mètres, il peut décocher un centre, provoquer un penalty par ses qualités. Mais souvent, on entend qu’untel doit être appelé ou une fois appelé qu’il ne doit pas l’être. La réalité, c’est qu’il n’est pas facile de jouer avec le maillot de la sélection argentine. Même les joueurs établis éprouvent des difficultés à le faire. Mais il y a des joueurs qui sont appelés parce qu’ils sont habitués et adaptés. C’est l’exemple d’Alario ou de Dybala, qui pour moi sont deux joueurs pour le futur de la sélection par leurs qualités. C’est important qu’ils jouent, qu’ils vivent avec Messi et qu’ils se sentent aussi importants.

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Vous parliez de l’erreur commise qu’est d’avoir géré la presse de la même manière qu’en club. Vous êtes désormais plus critiques envers les journalistes ?

Non. Je les connais et je sais faire la part des choses. Je crois que le format des programmes où ça crie, ça discute, ça critique durement, sans arguments tout en pensant être des acteurs du football, porte préjudice au traitement sérieux qui doit être fait pour élever le niveau des discussions parce que ce format occupe la place de programmes qui parlent de football, où l’analyse et l’informations sont primordiaux pour apprendre. C’est triste parce que j’en vois certains qui sont porteurs d’idées politiques ou économiques. Et qui ferait du bien au football. Certains disait que par dignité je devais partir alors qu’en fait c’était le contraire, par dignité et par respect de mes convictions, je devais rester jusqu’à ce qu’ils me jettent, comme ils l’avaient déjà décidé.

La question est donc : pourquoi être passé par tout cela ?

Du point de vue professionnel, c’était une chose qui me manquait, de diriger la sélection. C’est pour cela que j’ai insisté, je suis venu pour la moitié de ce que je gagnais à São Paulo, l’aspect économique n’était pas la raison. Je suis arrivé à un moment où les défis professionnels surpassent tout. Pour moi, c’est une fierté de l’avoir fait même si je n’ai pas pu terminer.

Avec cette frustration de ne pas avoir dirigé lors d’une Coupe du Monde, comment va se poursuivre votre carrière ?

J’ai fait une promesse à ma famille que je n’entraînerai plus d’ici. Les gens de la Liga de Quito m’attendent toujours pour venir aider le club. J’ai plusieurs propositions concrètes, certains de clubs importants, deux venant de sélections. J’aime entraîner. C’est une passion.

Et dans ces trois ans, la possibilité de diriger Central est envisageable ?

Central restera toujours en moi car je suis Canalla à vie. Mais il est vrai qu’avec ces dirigeants, la probabilité est faible, le président a affirmé qu’il ne me fera jamais confiance et je ne lui fais pas plus confiance. Donc c’est très difficile. Cependant, j’aimerai toujours que Central aille bien, parce que je suis hincha de Central.

Traduit par Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée

 

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.