Arrivé en France dans un Bordeaux en reconstruction, Carlos Henrique a quitté le club girondin après 9 saisons au cours desquelles il aura tout connu. Des joies aux déceptions, de la mitraillette du Stade de France au retour dans un Brésil au football en crise, il raconte son parcours sur LO.

Le football entre tôt dans ta vie de petit garçon ? C’est venu très vite l’amour du foot ?

Oui j’ai démarré à l’âge de neuf ans. Avant, je faisais de la natation avec ma sœur mais à côté de la piscine, il y avait une petite école de foot. J’ai demandé à ma mère si je pouvais changer et faire du foot plutôt que de la natation. Au début elle a hésité un peu, elle a discuté avec mon professeur de natation qui lui a dit que je nageais très bien. Mais j’avais envie de faire du foot. Elle m’a alors dit « très bien, tu vas faire un essai ». Je n’avais jamais fait de foot dans une école, seulement chez moi, dans la rue, avec les copains. Mais comme j’étais le plus jeune du quartier, j’avais du mal à me faire une place. J’étais en colère. Mais je ne me rendais pas compte de la différence d’âge. Et quand je suis allé à l’école de foot, comme j’étais plus grand et plus costaud que les autres, mes performances étaient meilleures que les autres garçons de mon âge. Et l’entraîneur a dit à ma mère « Carlos a un gros potentiel mais il ne faut pas qu’il vienne dans cette école, il faut qu’il s’entraîne avec des petits qui sont plus forts. » Donc je suis parti faire un essai à Flamengo.

Et là tu te dis que tu vas faire carrière ?

Au début c’était très dur. J’ai commencé attaquant, tu sais j’étais comme tous les enfants, j’avais envie de marquer des buts. Mais l’entraîneur m’a vu et m’a dit « Carlos, ta place c’est derrière ». J’étais fâché parce que moi je voulais jouer devant, marquer des buts. J’arrive en colère à la maison et je dis à ma mère « c’est bon, je ne fais plus de foot, l’entraîneur c’est un malade, il veut que je joue défenseur ». Ma mère m’a dit qu’elle allait voir avec lui et il lui a expliqué « Carlos a un gros potentiel pour jouer derrière comme il est plus costaud et qu’il va vite. Il a la possibilité de faire carrière s’il reste derrière. S’il veut jouer attaquant, ce ne sera pas possible, il n’a pas les capacités pour être attaquant. » Ma mère m’a alors expliqué, j’étais toujours fâché mais après j’ai commencé à prendre du plaisir et j’ai fait un match. C’est le père d’un ami qui jouait à Flamengo qui m’a alors vu, il m’a demandé mon âge et quand je lui ai dit que j’avais 10-11 ans, il était surpris, il pensait que j’étais plus âgé car j’étais vraiment plus grand que les autres enfants. Il m’a alors emmené pour faire un essai à Flamengo. Mais les autres enfants étaient vraiment très très forts. Je n’avais pas ma place. Et l’entraîneur a dit au père de mon ami que j’avais un bon potentiel mais que les autres enfants qui étaient là avaient plus de potentiel que moi. Le père de mon ami lui a alors dit « très bien, mais s’il ne reste pas à Flamengo, je vais l’emmener à Vasco. Vous ne pouvez vraiment pas le garder un mois à l’essai pour voir ce que ça donne ? ». L’entraîneur lui a alors répondu « très bien, on fait un essai d’un mois et à la fin, je donnerai ma position définitive ». Pendant les 15 premiers jours, je me suis entraîné comme un malade. Et à la fin, le coach m’a fait signer un petit contrat.

Quand j’ai commencé à voir que j’avais le potentiel, je me suis dit que c’était le foot qui allait sauver toute ma famille

Du coup, le football devient un moyen de survie ? Tu viens d’une famille de classe moyenne ou plutôt pauvre ?

Je viens d’un quartier très pauvre. Quand j’ai commencé à voir que j’avais le potentiel, je me suis dit que c’était le foot qui allait sauver toute ma famille. Ici au Brésil, on ne pense pas à nous, on pense à son père, à sa mère. Dans les années 90, mon père n’avait plus de travail, il traversait de grosses difficultés et c’est mon oncle qui nous prêtait de l’argent pour vivre. Alors je me suis dit que c’était vraiment le foot qui allait sauver toute ma famille. Ca me rendait fort, me poussait à être un guerrier pour passer un jour pro. Au Brésil, tu parles à 10 enfants, tu en as 9 qui vont te dire qu’ils rêvent de jouer dans un gros club du pays.

C’est assez récurent en AmSud. Les footballeurs viennent de conditions très pauvres et sont animés d’une rage supplémentaire…

Oui c’est ça, 80-90 % des footballeurs viennent de familles qui sont vraiment dans le besoin. C’est aussi presque l’unique chose qui peut changer la vie de la famille. On n’a pas beaucoup d’opportunités pour trouver du travail et même pour l’éducation c’est compliqué.

Les clubs de foot fonctionnent comme en Europe ? Une fois que tu y rentres, ils assurent aussi ton éducation ?

Oui c’est comme un centre de formation. Il y avait des enfants qui n’habitaient pas Rio et qui restaient dans une petite maison du club alors que les autres, comme moi, pouvaient rentrer chez eux pour dormir.

Tu vas alors faire toutes tes classes à Flamengo et finir par devenir pro chez eux. Tu signes pro à 18-20 ans c’est ça ?

Oui. A 18 ans. J’ai fait toute ma formation à Flamengo et c’était très très dur, plus qu’aujourd’hui. A ce moment-là, c’était le club dans lequel tout le monde rêvait de jouer par rapport à l’époque des Zico et chaque année, il y avait énormément de jeunes qui arrivaient au club pour faire des essais et toi, tu devais absolument progresser pour ne pas perdre ta place. A 18 ans, je fais un entraînement avec les pros et l’entraîneur d’alors, Zagallo, m’a vu et m’a gardé à l’entraînement pendant un mois. Je fais alors un match au Maracanã face à Portuguesa mais après ce match Zagallo part (NDLR : il prend alors la sélection brésilienne). On me renvoie alors dans l’équipe réserve. J’y suis resté pendant 1 an - 1 an et demi avant d’avoir ma place dans l’équipe pro.

Et tu finis par t’installer rapidement ?

Non. J’ai attendu 1 an et à la fin de la saison, j’ai joué les deux derniers matchs. J’ai très bien joué mais il y avait une compétition très populaire chez les jeunes au Brésil, la Taça São Paulo Júnior, et je suis descendu pour la jouer. On est éliminé rapidement et quand je rentre pour faire la préparation avec les pros, le Flamengo avait recruté un défenseur très expérimenté qui avait fait la Coupe du Monde 1998, Júnior Baiano. Tout de suite, il commence à jouer, on a un nouvel entraîneur qui me met sur le banc. Je reste quatre matchs remplaçant. Mais Júnior Baiano était à court de forme, l’équipe commençait à moins bien jouer et l’entraîneur me met pour jouer. Et comme j’étais bon, il m’a laissé à la place. On est champion d’Etat cette année, on est vice-champions en Coupe du Brésil. Malheureusement, je me fais les croisés et pendant six mois, je suis éloigné des terrains.

On est donc en 2004, Bordeaux va venir te chercher. Comment t-ont-ils repéré ?

Oui, c’est 2004. En fait, je reste blessé pendant 6 mois et quand je reviens, je joue 3-4 matchs et j’ai une proposition d’un club turc, Trabzonspor je crois. L’entraîneur vient me voir et me dit « Henrique, tu ne vas pas partir en Turquie ? ». Je lui dis « Pourquoi ? C’est un bon contrat ». Ce n’était pas un très gros contrat mais j’étais jeune, j’étais marié, j’avais déjà un enfant, j’en avais besoin. Mais il me dit « Non, la Turquie, ce n’est pas pour toi, tu as besoin de jouer dans un championnat plus relevé qui te permettra de viser la sélection. » J’en discute avec ma femme et mon oncle et ce dernier me conseille d’attendre un peu, que la Turquie, on ne connait pas trop et qu’on aura peut-être d’autres possibilités. Alors j’attends. Deux semaines après, arrive la proposition de Bordeaux. J’étais tout de suite d’accord. Financièrement, la Turquie aurait été un meilleur choix pour moi, mais comme c’était Bordeaux, une équipe que je connaissais déjà de nom, qu'il y avait Ricardo, j’étais tout de suite d’accord pour y aller. Mon oncle a parlé avec mon agent qui lui a dit « le contrat n’est pas super, mais le championnat est meilleur et avec un entraîneur brésilien qui va l’aider, ce sera mieux pour lui. » Mon oncle m’a demandé si je croyais en moi – bien évidemment que je croyais en moi ! – et il m’a dit « ferme les yeux, tu pars ! ». Quand je suis arrivé, j’étais impressionné par tout. Les installations, tout. Même si au début c’était très dur, les installations étaient vraiment superbes.

Les premiers temps sont souvent très durs, surtout pour les sud-américains qui arrivent souvent très jeune. Ta famille t’a suivi ?

Oui, elle est venue avec moi. Mais c’était vraiment dur. Je me souviens, je fais un match amical contre Châteauroux, j’étais vraiment bien dans le match et je me blesse. Je me souviens que j’étais dans les vestiaires, vraiment triste, je n’avais jamais eu de blessures musculaires et je sentais que j’en avais une. Ricardo me demande ce qui ne va pas et me présente une personne qui travaille pour le Milan AC qui me dit « j’ai été impressionné, tu es jeune, grand, costaud, tu vas voir, tu vas faire une grande carrière en Europe ». Je ne l’ai pas cru, je pensais qu’il me disait ça parce que j’étais triste. Mais après Ricardo m’a dit que c’était sincère. Je suis resté deux mois blessé. Je reviens, m’entraîne deux semaines et fais un match de championnat. Je me souviens que j’étais bien pendant 10 – 15 minutes. Et pendant ces 10-15 minutes, je croyais qu’on en avait joué 40 ! J’étais vraiment fatigué (rires). Ricardo me regarde et me demande ce qu’il se passe. Je lui dis que je suis mort ! Après ce premier match, Ricardo m’appelle dans son bureau et me dit « Henrique, tu n’as pas été bon mais reste tranquille, au début c’est toujours dur. Tu n’étais pas assez bien préparé pour ce match, je vais parler avec Éric (NDLR : Bédouet, le préparateur physique des Girondins) pour que tu gagnes un peu de masse musculaire parce qu’ici en France c’est physique. » J’avais vu en effet, c’est incroyable, les mecs n’arrêtent pas de courir, les attaquants sont plus costauds. Il m’a dit « Je vais t’aider, ça va venir ». Je commence à travailler avec Éric et Das Neves, un kiné du club, et j’ai ensuite senti la différence. J’étais plus costaud, les attaquants ne me bougeaient plus. J’étais mieux.

Et en dehors du terrain, la vie n’était pas trop compliquée ? Tu ne parlais pas français en arrivant ?

Non et c’était très dur. Au début j’ai suivi des cours avec Denilson, Fernando, Perea, tous les sud-américains. Je me souviens que Denilson ne demandait qu’une seule chose à la prof de français « madame, que dois-je dire pour draguer en soirée ? ». Et là, la prof elle avait perdu la classe (rires). Du coup, je n’ai plus trop suivi les cours. J’avais un ami français à Bordeaux et c’est lui qui a joué le rôle du prof, qui m’a tout expliqué.

Maintenant que tu le dis, c’est vrai qu’il y avait beaucoup de brésiliens après l’arrivée de Ricardo. Ca a aidé j’imagine…

Oui, y’avait pas mal de brésiliens mais surtout de sud-américains. Je m’entendais très bien avec Perea, je parle encore avec lui de temps en temps aujourd’hui, c’était formidable. On n’était pas seuls quand on était en difficulté pour aller au restaurant ou pour ma femme quand elle avait besoin d’aller faire des trucs, c’était plus simple, on s’aidait entre nous.

Et au final, la saison se passe bien. Tu t’installes progressivement et Bordeaux termine 2e et meilleure défense.

Ouais c’est ça. C’était très bien. Au début je n’ai pas trop joué, il y avait Kodjo. Puis il a stoppé sa carrière pour régler un problème familial et Ricardo m’a appelé et je me suis dit que c’était le moment. On est meilleure défense du championnat et on termine deuxième. C’était formidable. C’est la deuxième année que j’ai eu plus de difficultés. Parce que je croyais que j’avais déjà ma place dans l’équipe. Sauf que moi, pour être en forme, j’ai besoin de beaucoup travailler à l’entraînement, de faire beaucoup de muscu, utiliser la piscine. Et comme je croyais que j’avais déjà ma place, j’me suis dit que je n’avais plus besoin de faire trop d’effort. L’équipe n’allait pas bien en championnat et Ricardo m’a mis à l’écart de l’équipe. Quand il m’a mis à l’écart, j’étais en colère et je ne voulais plus rester. A ce moment, Flamengo voulait me récupérer pour jouer la Libertadores et j’avais envie d’y retourner. Ricardo me dit alors « si tu retournes au Brésil, tu vas gâcher ta carrière en Europe ». J’ai réfléchis, j’ai parlé avec mon oncle qui m’a dit qu’il fallait écouter Ricardo – qui avait déjà été mon entraîneur à Flamengo – et m’a alors conseillé de rester et de voir ce qu’il fallait faire pour revenir en meilleure forme. J’ai alors beaucoup travaillé et mon Dieu m’a remercié sur la fin de saison, j’ai marqué le but de la Coupe de la Ligue…

…la fameuse mitraillette face à Lyon. Elle est ancrée dans l’esprit des supporters. J’imagine que tout le monde t’en a parlé jusqu’à ton départ.

C’est sûr, elle est restée dans les mémoires de tout le monde. Même la mienne. Je me souviens, le matin du match, j’étais stressé. Je m’étais dit qu’on allait jouer contre Lyon, mes amis allaient voir le match au Brésil, imagine si ils nous mettaient un claque genre 4-0 ! J’ai appelé un ami qui m’a dit « laisse tomber ! Tu te souviens quand tu as joué la finale face à Vasco ? Tu étais déjà stressé et ça s’est bien passé, vous avez été champions ! ». Je lui ai répondu « oui mais là, c’est différent, c’est Lyon, ils sont vraiment très forts ! ». Mon ami m’a dit « vous allez gagner 1-0, c’est toi qui va marquer. Tu vas marquer et tu ne m’oublies pas ! »

Ce but face à Lyon m’a fait me sentir à la hauteur de ce club

Quand on a joué face à Vasco, pendant la semaine, il y avait un mec qui avait célébré son but avec la mitraillette. Et quand on avait joué face à Vasco, j’avais dit à mon ami que j’allais marquer et faire ça. Je ne pensais pas que j’allais marquer. Et quand j’ai marqué, j’ai couru partout mais j’ai oublié de faire la mitraillette. Et là, mon ami m’a dit,« tu n’oublies pas la mitraillette cette fois !» Et quand je marque face à Lyon, j’ai tout de suite pensé à lui, ça tombait bien parce que c’était devant les supporters de Lyon. C’était vraiment formidable. C’est une chose que je n’oublierai jamais.

Finale au Stade de France, face à ce Lyon-là. Ça ne m’étonne pas !

Oui, ce n’était pas n’importe quelle équipe en face !

Ce match a changé des choses pour toi, ça a été comme un déclic ? J’imagine que les regards ont changé ensuite…

Oui je pense. Après ce match, même les supporters ont commencé à me voir différemment. Et moi aussi, je me sentais important pour le club. Avant, je me sentais bien mais pas important pour un tel club aussi grand. Ce but m’a fait me sentir à la hauteur de ce club.

Et derrière ce but, c’est le cycle Laurent Blanc, celui où Bordeaux va presque tout gagner.

Quand il arrive, je suis blessé. Trois matchs après la finale de Coupe de la Ligue, Loïc Perrin me tombe sur le genou lors d’un match à Saint-Etienne, mon ligament croisé est cassé. Je me suis fait opérer, absent 7 mois. Quand je suis parti, c’était Ricardo, quand je reviens, c’est Laurent Blanc. C’était quelqu’un de spécial qui m’a fait grandir comme homme et comme joueur. C’était un grand défenseur lui aussi mais avec une philosophie différente de Ricardo. Avec Ricardo, on était bien défensivement mais avec Laurent, on gardait la base défensive mais il donnait plus de consignes tactiques pour garder le ballon, jouer avec. C’était super et en plus, il fait venir de grands joueurs à Bordeaux.

Et Bordeaux s’est mis à gagner. On se souvient par exemple de l’énorme série de 2009/2010. Vous vous sentiez invincibles à ce moment-là ?

Quand on jouait chez nous, on a dû rester un an - un an et demi sans perdre à Chaban Delmas et à chaque fois qu’on entrait sur le terrain à Chaban, on savait qu’on ne perdrait pas. C’était formidable. Tu rentres sur le terrain, tu regardes ton coéquipier et tu sais que tu vas gagner. C’est ce qu’il s’est passé pendant un an et demi.

Et justement, comment tu as vécu le moment de la chute des Girondins en 2010 ?

Au début du championnat, on était invincibles. La deuxième partie, quand on se fait éliminer par Lyon en Champions League, l’équipe s’est écroulée. Je pense que cette année, c’est une erreur de casting. Je ne sais pas de qui, de l’entraîneur, des dirigeants….mais l’année où on est champions, à chaque match, on changeait 2-3 joueurs. Tout le monde était dans le rythme. La seconde année, surtout la deuxième partie de saison, Laurent a toujours mis la même équipe pour jouer tous les matchs. Et quand il avait besoin des remplaçants, ils n’étaient pas dans le rythme. Pendant ce temps, les joueurs cadres comme Marouane, Souley, Alou n’étaient pas bien physiquement. La chute vient de là.

Côté supporters, ça s’est ressenti, notamment à partir du match de Saint-Etienne où Blanc n’aligne quasiment que des remplaçants et que Bordeaux perd…

Oui c’est ça. Ce match-là, il aligne 7 joueurs différents du précédent match quand jusqu’alors il ne changeait que 2-3 joueurs. On a pris une claque et la confiance était perdue.

Conséquence, plus aucune ressource possible pour redonner un coup de fouet quand il le fallait. Triste…

Oui c’est un peu triste. Surtout que ce championnat, c’était celui qu’on devait gagner le plus facilement. Je me souviens, quand je suis rentré au Brésil à la trêve, dans L’Equipe, la photo était celle de Bordeaux avec le trophée. Mais la deuxième partie de saison on n’était pas bien.

Surtout qu’il y avait une grosse avance au classement…

Oui, je ne sais plus trop mais il me semble que Marseille était quatrième, un truc comme ça (NDLR : à la reprise, l’OM fait match nul à Lescure et se retrouve 3e, avec le même nombre de points que le 4e Montpellier, à huit points du leader Bordeaux). Puis ils vont nous battre en finale de Coupe de la Ligue, prennent confiance et sont champions. C’était dur. Surtout Marseille, pour les supporters….

L’après Laurent Blanc est compliqué. Surtout que personnellement, tu vas te blesser et connaître ta pire période…

C’était très compliqué. Il y avait Tigana et…je ne peux pas beaucoup en parler parce que je n’étais pas au club, j’étais rentré au pays pour voir des spécialistes et me soigner et quand je suis rentré, j’étais avec un kiné, à l’écart du groupe. Et quand je suis revenu dans le groupe, c’était la fin de saison, il devait rester deux mois, et c’était déjà Éric l’entraîneur.

De l’extérieur, elle semblait compliquée à tous les niveaux cette saison-là

Oui, à tous les niveaux. Le recrutement n’était pas… (cherchant ses mots)… il aurait pu être mieux. Il y avait des pertes de joueurs importants. On perd Gourcuff, on ne le remplace pas. On recrute un bon joueur, c’était Fahid mais lui, c’était un attaquant et non un milieu de terrain. Après, les supporters étaient fâchés avec Fahid, il remplaçait Gourcuff et ils espéraient qu’il fasse la même chose mais ce n’était pas le même profil. On a perdu des joueurs importants, la saison n’était pas super. Avec l’entraîneur, avec Michel Pavon et Jean Tigana qui ne s’entendaient pas…il y avait une ambiance bizarre qui ne permettait pas de faire une bonne saison.

Il y’avait des personne qui avaient envie de tailler Bordeaux

Puis Gillot arrive.

Oui, je me souviens que j’étais au Brésil. Mon agent me dit « bon Henrique, tu vas quitter Bordeaux ». Je lui réponds « Ah bon, comme ça ? Alors que je n’ai quasiment pas joué ? ». Il me dit « Il y a le Sporting du Portugal qui m’a appelé pour savoir si tu ne veux pas les rejoindre. » Je réponds « Ah mais le Portugal, je n’aime pas beaucoup, je n’ai pas envie de quitter Bordeaux comme ça ! C’est un club que j’aime, on va changer d’entraîneur, j’aurais peut-être ma chance ! ».  Il me dit que c’est ma décision. Alors je commence à me préparer en avance des autres. Francis m’appelle, il me dit qu’il est content de ma performance mais qu’il va falloir être attentif dès le début de championnat. Il me donne ma chance à la 2e ou 3e journée, à Lorient, et Dieu m’a donné un cadeau, j’ai marqué le but qui nous permet d’égaliser à la dernière minute. Et là aussi, je me sens en confiance. C’était bien avec Francis et son staff.

Il a pourtant été beaucoup critiqué dans la presse. Côté supporter, ça irritait de voir Bordeaux se faire descendre comme ça chaque semaine, cela vous affectait vous les joueurs ?

Surtout moi. J’étais un ancien aux Girondins, j’étais très fâché avec les médias. A un moment, Bordeaux c’était presque la honte de la France. On joue l’Europa League, tout le monde dit que Bordeaux ne joue pas le coup à fond. Il y a une année où Saint-Etienne et Nice se font éliminer en barrages de l’Europa League et personne n’a rien dit. Nous on joue l’Europa League et tout le monde nous tombe dessus. En championnat, quand on gagne 1-0, c’est de la chance. Quand Lille enchaîne 6 ou 7 victoires 1-0, c'est parce qu'ils sont hyper forts, le gardien c’est superman. Nous c’était tout le temps la chance. J’étais en colère. Même les autres joueurs me disaient de me calmer…mais bon, c’était comme ça, il y’avait des personne qui avaient envie de tailler Bordeaux.

C’est vrai que Gillot n’a jamais eu sa chance auprès des médias, d’entrée il s’est fait assassiner.

C’est un très bon entraîneur mais je pense que c’est parce que c'est un entraîneur qui ne rigole pas beaucoup. Les médias ont alors donné une image d’un homme triste alors qu’il ne l’est pas. Il est juste là pour faire un bon boulot, travailler sérieusement avec son équipe.

Il était avec les joueurs que tel qu’il était dans les médias.

Non. Il était bien avec nous.

Et toi, tu reviens dans l’équipe, jusqu’à finir capitaine.

Moi j’étais bien avec ce staff. J’aime bien travailler. Le match n’est pas le plus important pour moi. J’aime bien travailler aux entraînements, faire des efforts pour être bien dans le match. C’était ce qu’aimait bien le staff de Francis. Il m’a donné beaucoup de confiance et je l’en remercie car j’ai retrouvé un bon niveau avec lui.

Ce sera la fin de ton cycle à Bordeaux où tu as finalement passé 9 ans ! C’est extrêmement rare pour un joueur de rester 9 ans dans un même club. Tu as conscience de cette rareté ?

Au début non. Mais quand j’ai pris la décision de partir, j’ai commencé à comprendre pourquoi je ne suis pas parti avant. Avant que je me blesse en 2007, j’avais un contact en Allemagne. Le contact s’est ensuite refroidi. Après, il y a eu le Sporting, au Portugal, mais je n’avais pas envie de partir. Quand j’ai pris la décision de partir, j’ai vu ce qu’ont fait les supporters pour moi, et j’ai mesuré que Bordeaux est quelque chose de spécial pour moi.

Et du coup, tu continues de suivre les girondins ?

Bien sûr ! Je sais tout ce qu’il se passe à Bordeaux. Je suis sur Internet, je parle avec Lamine, avec Cyril, un ami que j’ai gardé au club. Tout ce qu’il se passe à Bordeaux, je le sais ! Le joueur est parti mais l’homme est resté un supporter malade des girondins ! (rires)

Le joueur est parti mais l’homme est resté un supporter malade des girondins !

Et te revoilà au Brésil, à Fluminense. Pourquoi ce choix ?

Fluminense est une équipe qui m’a cherché pendant 2 saisons, à chaque mercato au Brésil. Il y avait un projet intéressant avec un gros sponsor qui faisait venir de bons joueurs. Et comme j’avais besoin de rentrer au pays pour régler un problème familial, on les a appelés et comme ils me voulaient encore, comme c’était Rio, je savais que je serai auprès de ma famille. Au début, ça m’a plu. J’ai pris alors ma décision. Mais ce n’était pas par rapport à l’équipe. Ma décision de partir de Bordeaux était vraiment dictée par la raison familiale, j’étais obligé de rentrer au Brésil pour être aux côtés de mon parrain.

Tu es formé à Flamengo. Comment ça s’est passé avec les supporters des deux camps ?

Ceux de Flamengo, c’est tranquille. Je suis parti jeune, je n’ai pas beaucoup joué, je n’ai pas eu le temps de créer de vrais affinités avec les supporters, ils n’ont pas de souvenirs de moi. A Fluminense, c’était plus compliqué. Lors du derby, ils ont commencé à demander pourquoi on avait recruté un joueur de Flamengo. Même aujourd’hui, ça reste compliqué. Les supporters de Fluminense sont plus chauds avec ceux de Flamengo que l’inverse.

Du coup, ça te met une certaine pression ? J’imagine que si tu rates un match, on te rappelle que tu viens de Flamengo.

C’est ça. Le doute est permanent. Même si je joue bien, à la moindre petite erreur, ça commence à douter.

Ça doit être compliqué à gérer…Tu es sous contrat jusqu’à quand avec Fluminense ?

Jusqu’à mai 2016 mais je pense que je vais rester jusqu’à décembre. Il y a des choses difficiles à régler. Le sponsor qui m’a fait venir est parti, il y avait un problème avec le président. On est resté sous contrat mais on a besoin d’aller en justice pour se faire payer. Une moitié du contrat, c’est Fluminense qui paye, l’autre moitié, c’est le sponsor qui ne paye pas. Ça devient un peu compliqué. L’équipe n’a pas beaucoup d’argent et est en difficulté. Je commence à parler avec mon agent et peut-être qu’en décembre je vais prendre la décision de changer d’air. Comme j’ai réglé mes soucis familiaux, on va voir.

Jusqu’à quitter le Brésil ?

Je ne sais pas, je vais voir. Je vais en parler avec ma femme, je ne lui ai encore rien dit. Je vais en parler avec elle, avec mon oncle. C’est plus une envie de changer d’air mais je n’ai pas encore pris ma décision quant à la destination.

Tous ces problèmes économiques touchent tous les clubs du pays. On a vu São Paulo par exemple...

Oui. Le mien c’est surtout un souci avec un sponsor. C’est une grande entreprise de santé qui avait fait venir de grands joueurs comme Deco, et quand elle est partie, aucun sponsor n’a pris le relai. Quand je suis rentré au Brésil, la raison numéro 1 était la famille mais l’aspect sportif comptait aussi. Fluminense était à un début de cycle. On nous voyait champion, j’ai commencé à jouer tout allait bien. Mais ensuite, on a eu des soucis en coulisses, dans la gestion du président par rapport au sponsor, l’équipe a commencé à baisser. Le sponsor est parti, la moitié des joueurs sont partis, moi non, par rapport à mes soucis familiaux. Maintenant qu’ils sont réglés, j’ai besoin d’un défi.

Le Brésil est perdu dans le temps

C’est vrai que c’est un des soucis au Brésil. Tu as retrouvé le Brésil après 10 ans d’exil, tu la vois comment l’évolution du football au pays ?

Quand je suis rentré, j’avais imaginé des choses mais quand j’ai vu comment c’était, j’étais choqué. Le Brésil est perdu dans le temps. Rien n’a changé depuis 10 ans. Et en plus, maintenant que les équipes ont des difficultés économiques, ils commencent à mettre des joueurs sur le terrain alors qu’ils ne sont pas encore prêts. On met des joueurs de 18 – 19 ans alors qu’à mon époque, pour jouer en pro, c’était vraiment difficile. Aujourd’hui, tu vois les équipes brésiliennes, même les grosses cylindrées, tu as jusqu’à 6 ou 7 joueurs qui sont bons mais certainement pas prêts. Et le niveau du championnat s’en ressent. Il a baissé de niveau. C’est aussi pour cela que certaines équipes européennes ne recrutent plus beaucoup de joueurs brésiliens comme avant. Les équipes qui ont un bon joueur brûlent des étapes pour ensuite les envoyer en Europe.

Après, les joueurs partent de plus en plus tôt. Comme par exemple Kennedy qui n’a pas encore fait ses preuves au Brésil et qui est déjà à Chelsea…

Kennedy, il n’a pas joué du tout et cette année, comme le sponsor est parti, Fluminense a mis tous les jeunes qui avaient un bon niveau pour les vendre. Kennedy, il a un gros potentiel, il est très fort, mais il n’est pas formé. Il y a Gerson par exemple qui a signé à la Roma, c’est un joueur hyper fort, il juste 17 ans, mais il est déjà vendu. Je parle avec lui et d’autres jeunes du club comme un défenseur qui s’appelle Marlon. J’essaie de leur expliquer à quel point ça va être dur en Europe. Ici, tout le monde passe leur temps à leur dire qu’ils sont très forts, que tout ce qu’ils font, c’est très bien. Pourquoi ? Pour mieux les vendre. Mais quand t’arrives en Europe, ça ne se passe pas comme ça. Il faut faire comme on te demande de faire. Ils ne laisseront rien passer. Il faut être prêt.

Le souci, c’est qu’ils partent super jeunes. Pour reprendre l’exemple Kennedy, il a 18 ans et se retrouve tout seul à Londres…On l’a vu à Bordeaux par exemple avec Rolan, c’était dur pour lui au début.

Ouais. Surtout que tout a changé au Brésil. Quand j’étais jeune, ma formation était différente. La finalité était aussi de vendre le joueur mais pas de le vendre tout de suite. Il fallait former un joueur pour en faire un bon pro, pour que le club gagne des titres en pro pour ensuite le vendre. Tout a changé. De temps à temps, tu vois un jeune, tu te demandes s’il a la qualité pour jouer en pro. Et pourtant il y joue.

C’est vrai que ça touche particulièrement le Brésil. Même si tout le monde vend ses joueurs tôt, autour, on a des processus de formation. En Uruguay par exemple, il y a une vraie politique de formation de jeunes pros. Au Brésil, dès qu’un joueur fait trois dribbles, il est vendu. La sélection va en pâtir ne penses-tu pas ?

La sélection, même moi je ne vois pas la solution. Je pense qu’elle a été perdue avec ses joueurs cadres. Jusqu’ici, le Brésil avait toujours des remplaçants idéaux aux cadres. Quand Romario part, tu as Ronaldo. Quand Ronaldo part, tu as Adriano, Ronaldinho. Y’avait du monde pour prendre la place. Maintenant il n’y a plus personne, on n'a que des défenseurs. Mais ce ne sont pas les défenseurs qui vont porter la sélection, prendre la responsabilité du jeu ! Le Brésil a besoin d’un attaquant comme star, comme référence. Il y a Neymar mais il est encore jeune pour assumer toutes les responsabilités.

Pourtant il est vraiment différent des autres. Au-dessus. Le truc c’est qu’on le voit dans ceux que tu cites : Romario, Ronaldo, Adriano, ce sont des avant-centres. Le Brésil n’en a plus.

Oui, c’est ça. C’est qu’ils ont aussi changé la philosophie de la formation. Aujourd’hui, on ne forme plus beaucoup d’attaquants. Je ne sais pas s’ils copient l’Europe, mais par rapport à l’époque que j’ai connue, ça a changé et je pense que le Brésil va avoir du mal à être respecté comme une nation qui a remporté 5 Coupes du Monde.

On va le voir avec la campagne de qualifications à la Coupe du Monde, ça risque d’être plus compliqué que prévu pour la Seleção…

Ça va être compliqué oui. Il y a des équipes en Amérique du Sud où ça devient chaud. Le Chili, le Paraguay, l’Uruguay…l’Amérique du Sud, ce n’est pas comme avant. Avant, tu avais Argentine et Brésil, le reste était derrière. Maintenant, tu vois les autres sélections, le niveau est élevé, elles ont des joueurs qui jouent aussi en Europe.

On le voit aussi au niveau des clubs en Libertadores ou en Sudamericana.

Oui, c’est pareil. C’est un peu inquiétant pour vous et pour nous brésiliens, c’est clair.

Tout amoureux de football sudam aime forcément le foot brésilien. Quand on voit la sélection, les clubs, le niveau du championnat, les stades qui se vident, ça fait mal.

Il y a aussi le souci du championnat. Techniquement, c’est un bon championnat mais son organisation aussi n’est pas bonne. Beaucoup de matchs, de voyages très long, c’est compliqué. Mais comme il y a beaucoup d’intérêts derrière, c’est comme ça. Ca fait presque deux mois qu’on joue mercredi et samedi. Mais comme ceux qui dirigent le football brésilien y ont des intérêts financiers, c’est compliqué de faire changer les choses.

Ne reste plus qu’à espérer qu’ils se rendent compte que leur football va dans le mauvais sens…

Les choses bougent. En rentrant au pays, j’ai parlé avec un ami qui m’expliquait qu’il y a quelques temps, les vacances n’étaient que de 15 jours. Tu fais 80 matchs dans la saison, tu as 15 jours de vacances et encore, tu démarres le championnat 5 jours après.

Mais ça risque d’empirer la saison prochaine avec le nouveau championnat qu’ils viennent de créer ?

Mais peut-être que ça ne va pas se faire. Après, comme au Brésil tout finit toujours par se régler, on ne sait jamais…

On va terminer en revenant à Bordeaux puisqu’un nouveau brésilien est arrivé au club. Tu le connais bien Pablo ?

Non, j’ai joué Ponte Preta mais je crois qu’il était suspendu. Quand j’ai vu qu’il a signé à Bordeaux, j’ai parlé avec un ami qui a joué avec lui à Avai et il m’a dit que c’était un très bon défenseur qui a une bonne marge.

Il est d’ailleurs plus dans ton parcours car lui ne part pas à 18 ans et a pris le temps de faire des matchs au Brésil.

Je pense que pour lui, ce sera plus facile. Il a joué en D2 brésilienne qui est plus physique, il a de l’expérience. C’est une bonne personne, il a une bonne tête. J’ai vu le match face à Paris, il a été très bon, j’espère qu’il va faire une bonne saison.

Pour beaucoup, la question est de savoir si Pablo sera le nouveau Henrique

(rires) Je lui souhaite. Et beaucoup de titres ! Maintenant je suis supporter et supporter c’est plus difficile qu’être joueur ! Contre Paris, j’étais souvent en colère.

C’est vrai que quand tu es supporter, tu découvres la souffrance !

Oui c’est ça. Et c’est compliqué ça ! De temps en temps je le dis à Lamine. Quand tu joues, t’es dans ton match, tu ne te rends pas compte de quand les supporters souffrent par rapport à ce que tu fais sur le terrain. Mais c’est de la bonne souffrance.

 

Propos recueillis par Nicolas Cougot

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.