Rares sont les français à avoir fait le pari de l’Amérique du Sud. Pendant que Walter Vaz sillonne les terrains uruguayens, Guillaume Jouberjean a posé ses valises au Paraguay pour poursuivre la révolution européenne qui secoue le pays des Guaranies.

Après un parcours en France et en Andorre, Guillaume a pris place sur le banc de San Lorenzo comme assistant de l’Espagnol Xavi Roura. Avec ce duo européen, le Rayadito, récent relégué de Primera Division, espère changer de monde et retrouver l’élite. Après deux mois de préparation avec le club, nous avons discuté avec le français au lendemain de sa première sur le banc afin d’évoquer ses débuts, le football paraguayen et français.

C’est la première fois que tu vas aussi loin de France ?

Ouais. J’ai été en Andorre, en Espagne mais là c’est la première fois que je pars aussi loin.

Ça doit faire bizarre parce que le Paraguay, ce n’est pas l’Argentine ou l’Uruguay plus accessibles pour un Européen.

C’est totalement dépaysant, comme tu dis ce n’est pas l’Argentine, ce n’est pas le Brésil non plus. C’est totalement enclavé, c’est particulier. Comme c’est enclavé, ce n’est pas ouvert au développement, on est à des années lumières du standing européen mais bon, le terrain de foot reste le même, les règles aussi. On a choisi de venir là, à nous de nous adapter.

Mais justement, comment as-tu atterri au Paraguay ?

J’ai été au Nîmes Olympique pendant 2 ans, au Pontet en CFA, dernièrement à La Penne en CFA2 et je suis arrivé au Paraguay car lorsque j’étais en Andorre j’ai rencontré une paraguayenne avec qui je me suis marié. Je me suis alors intéressé à leur football et moi seul, je savais que je ne pouvais rien faire à cause de mon âge et de mon manque d’expérience, alors j’en ai parlé avec un coach que j’ai connu en Andorre, qui était le coach le plus capé du football andorran. Son CV a plu et on a eu la chance de pouvoir diriger le Club de San Lorenzo. La chance c’est que le coach est de la même école et a passé ses diplômes avec Fernando Jubero qui n’est pas très connu en Espagne mais qui, ici, est un dieu vivant.

Clair que Jubero, ce qu’il a fait à Guaraní…

Jubero, tu me passeras l’expression, mais c’est un entraîneur qui a eu les couilles de faire changer les choses. Il arrivait des divisions inférieures de Catalogne, il a tout misé sur le football paraguayen, il s’est bien vendu, on lui a donné l’école de foot et après il a eu la chance d’être intérimaire à Guaraní et a su saisir sa chance.

C’est ça, je me souviens qu’il était arrivé à Guaraní pour gérer le centre de formation…

Exactement. Il a des bases du Barça, il s’occupait des U9/U10, il a la philosophie du Barça et a donc une idée du football quelque peu révolutionnaire ici au Paraguay. C’est vrai que ça a pris du temps, n’oublions pas qu’il avait d’abord l’école de foot, loin de la pression du résultat, il a pu appliquer sa philosophie et au bout de 3 ans, ça a payé.

C’est vrai que ce qu’il a fait de Guarani c’est exceptionnel. D’ailleurs, le club ne se remet pas de son départ

Exactement. Le club passe de faire une demi-finale de Libertadores avec des joueurs qui étaient en surrégime - comme l’OM sous Bielsa -, Federico Santander fait une saison de malade, comme Fernando Fernandez qui est maintenant au Tigres de Gignac, à maintenant gagner son premier match après 10 journées 1-0 à l’arrache.

Et donc vous deux, cela fait deux mois que vous êtes installés…

On est arrivé il y a 2 mois et on a joué la première journée hier.

La pression en France, je ne sais pas si elle existe.

Match perdu c’est ça ?

On a même drôlement perdu. On a pris 4-1 alors qu’on menait 1-0 à la mi-temps, ils reviennent à 1-1, on a un expulsé et on prend l’eau. Je n’ai pas dormi de la nuit derrière. Le positif c’est que pendant une mi-temps, ils n’ont pas vu le jour, on a 72% de possession du ballon…Quand tu viens avec une certaine idée du football, il faut un peu de temps pour l’appliquer sur le terrain, sachant que les autres t’attendent, donc c’est toujours difficile. Mais on a une idée de jeu, on ira jusqu’au bout et ce n’est pas ce résultat qui m’affole.

Surtout qu’en plus, en tant que club relégué, vous allez être aussi attendu au coin du bois…

Aussi. Mais on parlait de Jubero. Le premier match qu’il fait, il avait perdu, Bielsa à l’OM il fait un match catastrophique défensivement à Bastia avant de perdre à domicile contre Montpellier et prend 5 buts en deux matches. C’est pas affolant et on a un président qui nous appuie à 100%, donc on n’est pas encore vraiment inquiets après un premier match.

Le président vous a fixé des objectifs ?

Ah oui, ça par contre l’objectif est clair, il faut remonter en Primera et si dans les quatre premières journées on ne marque pas un point, on va rapidement nous indiquer la sortie. Mais ce sont les règles du jeu, on les connaissait en arrivant.

Pourtant quand tu viens imposer une nouvelle philosophie - les exemples que tu donnais sur Jubero ou Bielsa, auxquels on peut ajouter Guede, sont parfaits en ce sens - on sait que ça coute des points dans les premiers mois.

Comme Guardiola. Lors de sa première année au Barça, celle au cours de laquelle il gagne tout, il perd son premier match contre Numancia. Mais c’est un autre contexte. On n’est pas le Barça, on n’est pas Jubero ni San Lorenzo (NDLR : le San Lorenzo argentin), ce qui est sûr c’est qu’on a quatre matches, on déjà grillé un joker, à nous de nous relever. C’est vrai qu’il y a une pression dingue ici, c’est le revers de la médaille, il y a la pression du résultat qui est énorme.

Elle te parait plus importante qu’en France ?

Ecoute en France quand je vois un club comme l’OM avec Michel qui ne gagne pas un match à domicile, la pression, je ne la vois pas. Elle y est peut-être au PSG et encore, mais la pression en France, je ne sais pas si elle existe.

Tu marques un point là-dessus.

C’est vraiment différent ici. Tu as le président qui est là, qui met l’argent donc qui veut des résultats. On est dans une mentalité à des années lumières de nous. Ici, le président te dit quels joueurs il aimerait voir sur le terrain…toutes proportions gardées parce qu’on n’est pas à cet extrême, c’est un peu un Bernard Tapie, on est dans cette culture-là. C’est aussi le cas un peu partout ailleurs en AmSud. Après, c’est aussi que le club c’est une institution. Hier, il y avait 5 000 spectateurs, pour de la D2 c’est énorme, tu as la presse tous les jours, il y a un journal qui ne sort que pour le club. San Lorenzo, c’est un club très médiatique. On a fait 5 000 spectateurs hier, tu as beaucoup de clubs de Primera type Rubio Ñu, Capiatá, General Diaz, qui ne les font pas alors que Capiatá par exemple il y a 2 ans, ils sont allés gagner à Boca.

On sait que le rival absolu de San Lorenzo c’est le Sportivo Luqueño, autre club qui a une forte identité locale - on parle de la República de Luque c’est dire- on est dans le même esprit ?

San Lorenzo c’est une ville satellite d’Asunción, mais qui fait tout de même 270 000 habitants, donc les gens s’identifient vraiment à ce club. Hier par exemple, ce qui nous sauve, c’est notre possession de balle, je pense que les gens ont rarement vu un si beau jeu pratiqué, c’est pour cela aussi que nous sommes confiants. On n’a pas perdu notre crédibilité même si on est dans un pays où les entraîneurs sont avant tout jugés sur leurs résultats plus que sur leur jeu. On a aussi la chance d’avoir Vincent Ramael, qui est un joueur très costaud (1m90 pour 86kg) et qui s’appuie donc sur son physique tout en ayant une touche de créativité de par sa formation qu’il a faite à Monaco. Voir un joueur passé par la Ligue 1 dans le contexte de la D2 paraguayenne, c’est surréel pour eux, et ça renforce notre crédibilité.

L’autre difficulté pour vous en arrivant, c’est qu’il a fallu tout reconstruire aussi au club. Ceux de l’an passés sont quasiment tous partis…

Tout le monde est parti, mais comme le club dispose d’un bon budget grâce au sponsor majeur, le club nous a monté une belle équipe. Il nous manquait un attaquant, on a eu carte blanche pour en faire venir un, tout en connaissant la réalité des salaires locaux, qui feraient bien rire en France, mais j’ai réussi à convaincre Vincent qui s’est tout de suite acclimaté pour le plus grand bonheur du comité directeur et des supporters.

Mais le fait est que pour vous le boulot est double. Car tu parlais de venir instiller une nouvelle philosophie de jeu, ce qui est déjà un défi, vous en plus vous cumulez avec un effectif totalement recomposé.

Exactement même si l’équipe est bonne. Ça fait deux mois qu’on bosse bien, on a fait de bons amicaux. Mais c’est vrai que quand tu veux produire du jeu, c’est partout pareil, la meilleure solution pour les adversaires c’est de nous attendre à cinq derrière et de contrer. C’est ce qui nous est arrivé au premier match. A nous de trouver le bon mélange entre jeu et réalisme.

C’est finalement assez naturel d’avoir du retard au départ, tu prenais à juste titre l’exemple Guardiola au Barça…

…Des exemples comme ça tu en as plein. Regarde Luis Enrique à la Roma, lui pour le coup ça n’a pas fonctionné, il a fait une saison catastrophique. C’était compliqué dans un pays comme l’Italie.

Ici, il y a des valeurs de sacrifice, d’humilité, de partage qui en France sont perdues

Ouais, il n’était pas adapté ce qui ne devrait pas être le cas au Paraguay, Jubero l’a parfaitement démontré.

Il y a aussi un Italien qui est arrivé au pays, un jeune entraîneur de 32 ans, Riccardo Torresi qui vient de l’école Empoli, il s’occupait des u15/u16 et a remporté le championnat de D3. Lui aussi arrive avec cette mentalité et a réussi à l’imposer et obtenir des résultats. Donc il y a déjà des pionniers issus du football européen qui ont ouvert la voie. On n’arrive pas totalement dans l’inconnue.

C’est un point intéressant. On voit de plus en plus la nouvelle génération des entraîneurs qui parviennent à conserver les spécificités sud-américaines mais viennent y apporter la rigueur et la discipline à l’Européenne. Ça a été la force de Jubero, c’est celle d’un Gallardo par exemple.

Exactement. C’est vrai qu’ici les joueurs sont à des années lumières de l’Europe. J’ai côtoyé la Ligue 1, le National en France, ici, au niveau de la mentalité on est sur une autre planète. Mais l’Europe véhicule une philosophie, une organisation qui est en avance. A côté de cela, après ce que j’ai vécu en deux mois ici, je ne me vois pas revenir en France.

Déjà ?

Il faut le voir pour le croire. Ici les joueurs sont extraordinaires. Tu as des joueurs de 30 ans, qui ont fait toute leur carrière en Première Division qui sont humbles, travailleurs, ne disent jamais rien. Un exemple, on a eu une coupure d’électricité, les machines à laver n’ont pas pu tourner, moi ça m’a choqué, les gars n’ont rien dit, remis leurs affaires de la veille. Il fait plus de 30°C, ça puait la transpiration et pourtant ils ont enfilé les tenues. Fais ça en France dans un club de DH, on te tombe dessus.

C’est amusant parce que quand on discute avec des français de l’étranger aux parcours différents, à chaque fois revient la notion de confort en France.

C’est justement pour cela que le foot français est catastrophique sur le continent. On est dans un confort, on vit dans une bulle irréelle. Maintenant que je suis à l’extérieur, je pense qu’au pays, on est enfermés dans notre bulle et on ne rend pas compte de l’état lamentable de notre football. Le comportement des joueurs ça change tout. J’ai passé deux ans au Nîmes Olympique, je ne dis pas que les joueurs sont des gens mauvais, ce sont des types adorables, mais quand je compare leur comportement à ce que je vois ici…il y a des valeurs de sacrifice, d’humilité, de partage qui en France sont perdues depuis avant même que je sois joueur. Le vrai problème du football français c’est que tu as un gamin de 17 ans qui va faire deux matches corrects face à Montpellier en championnat et en en Coupe de la Ligue contre Laval et il va aller dans le bureau du président pour chercher une augmentation sous peine d’aller à Aston Villa ou Newcastle. Le souci c’est aussi que les présidents jouent ce jeu.

Il y a aussi le rôle des médias. Je ne sais pas comment les médias paraguayens se comportent avec les jeunes dès qu’ils commencent à briller quelque peu mais chez nous ça prend direct des proportions démesurées. Regarde l’exemple Dembélé à Rennes.

Le problème du football français c’est aussi qu’il se ment à lui-même. Regarde les diffuseurs, on te survend des matchs qui parfois ont un niveau PH, les analyses ne sont pas honnêtes. Le seul élément pour se jauger ce sont les Coupes d’Europe. On voit le résultat ces dernières années. Saint-Etienne sorti par Esbjerg en 2013/2014, Nice par l’Apollon Limassol la même année, Lyon sorti par l’Astra Giurgiu l’an passé... tu enlèves le PSG, on est niveau Suisse ou Chypre. Quand tu vois les masses salariales des clubs français. Compare Montpellier à Udine ou Getafe, c’est hallucinant. En France, c’est l’eldorado. Regarde l’OM par exemple. Ils vont en Ligue des Champions avec un budget de 130M€ avec des Ayew et Valbuena qui prennent 300 000€ et ils ne gagnent pas un match quand tu as des clubs où les joueurs les mieux payés prennent 30 - 40 000€ par mois qui se hissent en huitièmes…

C’est aussi le reflet d’une mentalité. Combien de clubs français décident de laisser tomber l’Europa League pour assurer une 6e place de Ligue 1. Le foot français est peut-être un peu trop prétentieux.

J’adore mon pays, mais quand je vois des mecs comme Bielsa traité comme un moins que rien, Ancelotti qui est remis en question – on le comparait quand même à Kombouaré ! - Ranieri qui devait dégager parce que c’était un tocard par des commentateurs qui ne sont pas des Arrigo Sacchi mais des Dugarry ou des Menes…

Ce sont les mêmes qui vont te survendre des gamins, comme Dembélé qui en 6 mois de Ligue 1 sont vus comme les nouveaux Messi, Neymar… Comment veux-tu qu’un gosse de 18 ans ne pète pas une durite.

Ah mais des exemples comme ça on en a des milliers sur les 10 dernières années. Les Marvin Martin, Yohan Mollo, on peut faire une équipe de nouveaux Messi français. Dembélé, c’est l’actualité du jour, on en trouvera un autre dans quelques mois. Je me souviens quand certains journaleux et entraîneurs français disaient que Yann M’Vila avait sa place au Barça. On se ment en France, on est dans une sorte d’hypocrisie, c’est aussi pour cela que je suis parti. On a un problème de valeurs. Regarde Michel. Les premiers matches, il a pu poser sa philosophie, il est arrivé avec une idée de jeu qui prenait les premiers temps. Mais arrivé en octobre les joueurs arrivent en retard à l’entraînement, se font des selfies à table. On parle d’une institution comme l’OM. Les joueurs ont pris le pouvoir, personne ne défend l’institution. Je pense que le seul club où le respect de l’institution demeure, c’est un club pour Bastia.

Et ça par exemple, en AmSud, c’est monnaie courante. J’imagine qu’à San Lorenzo, c’est comme partout sur ce continent, les joueurs grandissent dans le respect de l’institution qu’est le club dans lequel ils évoluent.

Je vais te donner un exemple. Antonio Sanabria, qui est passé par le Barça époque Martino et à la Roma. Il vient de San Lorenzo. Il rentre avec la sélection, il passe au club et donne un carton de maillots aux joueurs, donne du temps au club. Tu crois qu’un joueur français fera ça avec son ancien club ? Il y en a beaucoup de joueurs français qui reviennent aux sources ?

C’est sûr. Alors qu’en AmSud. Quand tu vois un Agüero qui finance la construction du centre d’entraînement d’Independiente…

Mais voilà. Et quand je vois un Alessandrini qui n’a rien fait dans sa carrière à part quelques ciseaux contre le PSG qui taille Bielsa et Michel, tu te dis mais tu es qui ? Sans aller jusqu’à l’AmSud, regarde en Espagne ou en Italie, qui oserait se comporter de la même manière ? Tu as un respect de l’institution qui est fantastique. Tu as un respect des valeurs, des supporters.

On imagine mal un gamin sortant des inferiores de San Lorenzo venir voir le président et lui demander une augmentation parce qu’il a mis trois buts.

C’est même le contraire. Ici le football, est un besoin nutritif. Le joueur, on lui dit qu’il n’est pas payé, il vient quand même. Tu as des joueurs de 16-17 ans, ils pourraient jouer tranquilles en Ligue 2 chez nous, mais ici, ils prennent le bus local pour venir s’entraîner. C’est un pur bonheur de s’occuper de gamins comme ça.

Après une défaite en ouverture, San Lorenzo est allé prendre son premier point en déplacement en jouant à huit contre onze pendant plus de 20 minutes et a décroché son premier succès de la saison ce dimanche soir à domicile. L’objectif montée en Primera Division est enfin lancé et Lucarne Opposée vous donnera régulièrement des nouvelles du Rayadito, le club paraguayen le plus français du continent.

 

Propos recueillis par Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.