Ils sont trois : Qian Xin Yan, Soufiane Khellaf et Haochen Zhao. Trois anciens camarades d’école qui ont fait le pari de participer au développement du football chinois à travers leur projet UNIREN. Nous avons discuté avec deux d’entre eux de leur projet et plus généralement du football chinois. Plongée dans les coulisses d’une ambition.

Vous êtes partis en Chine pour développer UNIREN, comment est venue l’idée ?

Soufiane : UNIREN au départ c’est trois camarades de classe. On était ensemble en école de commerce à Marseille, Xin est franco-chinois, Haochen est natif et a grandi à Shanghai avant donc de venir à Marseille pour une année d’étude et moi, qui a grandi en région parisienne. On s’est rencontré durant nos études et on avait cette passion commune pour le foot. En plus de cela, on était attirés par l’entreprenariat et on avait en tête de se lancer un jour ensemble. Mais on ne se voyait pas nous lancer dès la sortie de nos études, l’entreprenariat c’est toujours risqué, encore plus sans aucune expérience. Alors on a démarré d’autres choses chacun de son côté, on a commencé à bosser, on a pris de l’expérience et au bout d’un an et demi – deux ans, un peu comme un déclic, on s’est assis autour d’une table et rapidement on s’est dit « pourquoi pas le foot ». Travailler dans un domaine qui te passionne c’est vital et dans le même temps, on voyait qu’en Chine, ça s’activait beacoup, Haochen voyait de l’intérieur qu’il y avait des choses à faire.

Il y a l’idée mais entre l’idée et la réalisation, il y a un pas. Comment, depuis l’Europe, tu mets en place une école de foot en Chine ?

Soufiane : C’est l’étape suivante. Haochen est en Chine, nous depuis la France on peaufine l’idée, on y réfléchit, on rencontre des personnes et on se dit « why not, le mieux est de tenter ». Là, on prend des allers simples pour la Chine, on s’installe. C’était en mars 2015, avec pour ambition de démarrer l’activité en septembre-octobre. De mars en septembre, on monte la structure, on met en place tout le projet. On passe de l’idée au papier et du papier à la réalité. Je suis d’accord avec toi, quand t’es en France, tu es loin. Une fois que tu es sur place, ton projet évolue au gré des observations, des rencontres.

C’est extrêmement court pour mettre en place un tel projet…

Qian Xin : Ce n’était pas facile mais on avait la tête sur les épaules et on savait où on allait. Aujourd’hui, si tu nous demandes ce qu’on veut faire d’UNIREN, on peut t’en parler pendant deux jours. Maintenant, tel que le projet existe aujourd’hui, il n’en est vraiment qu’au début. Soufiane a insisté sur ce mot mais on est encore dans la « première étape », ce qu’on propose aujourd’hui, l’école de foot pour enfant, ce n’est que la première étape de quelque chose de beaucoup plus grand qu’on veut mettre en place. Mettre en place cette école de foot en sept mois c’est évidemment quelque chose de court dans la durée mais on a été bien entourés, on a pu rencontrer des gens dans le milieu du foot qui nous ont bien aguillés. Dès qu’on est arrivé en Chine, on a pu les appliquer et du côté chinois, et c’est propre au marché chinois, nos contacts nous ont guidé, nous ont ouvert des portes.

Justement, on a tous lu et entendu que le foot était devenu une priorité d’Etat en Chine, un projet comme le vôtre trouve un écho particulier dans les hautes sphères chinoises ? Existe-t-il des structures qui aident ce genre de projets ?

Soufiane : Oui. C'est une des remarques que nous avions faites avant de démarrer. Connaissant un peu le contexte Chinois, on savait comment cela fonctionnait. C’est un pays communiste où le public créé, lance les tendances et contrôle un peu tout. On savait que le meilleur moyen de réussir dans un projet était de se lancer dans quelque chose où il y avait une dynamique, un élan. Etant donné qu’en Chine, le gouvernent est au cœur de tout cela, quand on a vu que le football était au centre des préoccupations gouvernementales, notamment par le biais d’un plan d’action du leader pour développer le football par différents moyens, on se doutait qu’il y avait quelque chose à faire. Quand le gouvernement s’investit dans quelque chose ici, il créé une vague que tout le monde suit, même le secteur privé va ensuite s’engager dans la voie. Il y a un élan qui est créé.

Qian Xin : On peut le dire ainsi. Tu as la première marche mise en place par le gouvernement et nous derrière, on essaie de s’inscrire dans cette construction. Il y a donc un écho, on nous aide, mais c’est à nous de faire en sorte de ne pas trop nous écarter de leur projet.

Vous avez une sorte d’obligation de rester dans les clous...

Qian Xin : On pourrait s’en écarter ! Mais ce serait contre-productif. L’idée est d’aller dans le sens du progrès, du développement du football en Chine.

C’est intéressant parce que tu le disais, on est dans un pays communiste, c’est le leader qui donne la ligne directrice et on sait à quel point le football est à l’opposé du communisme, sans parler de valeurs, ne serait-ce dans son mode de fonctionnement. Comment tous ces projets peuvent être compatibles ?

Soufiane : Je vois ce que tu veux dire. Justement, à mes yeux, c’est un gros point d’interrogation. Le football est un sport populaire par essence, tu as des pays qui n’ont pas eu une telle volonté de structurer tout cela de cette manière et qui ont pourtant réussi. Est-ce compatible ? Je ne sais pas. En tout cas, il y a une volonté du gouvernement de populariser ce sport, qui reste un sport nouveau, la culture du football n’est pas encore bien développée mais malgré cela, les Chinois aiment le football et le pratiquent de plus en plus, de plus en plus d’enfants jouent au football, que ce soit en loisir ou avec l’objectif d’être professionnels. Il y a une volonté de développer la sélection nationale, qu’elle soit compétitive et de développer la CSL pour que le championnat professionnel devienne aussi attractif que les ligues européennes par exemple. Est-ce que cela peut se faire uniquement à travers des directives gouvernementales ? Je ne sais pas.

Qian Xin : C’est là qu’on a choisi d’adopter une posture particulière. On reste en veille sur ce que le gouvernement fait pour aller dans ce sens, mais on reste très attentifs à ce que les consommateurs chinois, dans notre cas les parents chinois qui payent nos formations, désirent. On reste attentifs à leurs demandes, c’est important pour nous de rester proches des demandes des Chinois.

Soufiane : Le gouvernement lance des directives mais toi, quand tu es sur une prestation de service envers des particuliers, tu n’es pas au contact du gouvernement, tu es à l’écoute de gens qui ont des envies, des attentes qui évoluent. Notre lot quotidien est là.

Les Chinois suivent le football, ils aiment la Premier League, mais il y en a encore beaucoup qui ne suivent pas la CSL et encore moins la sélection.

Justement vis-à-vis des parents, en France le football est un moyen de réussite sociale, en Chine c’est bien différent. Si un gamin dit à ses parents « je veux être footballeur », ils vont lui répondre « trouve un métier d’abord ».

Qian Xin : Tout à fait. Le foyer moyen, jusqu’à aisé, aisé +, ne laissera pas son enfant faire du sport son métier, la priorité, c’est la réussite scolaire puis professionnelle. Après, dans des foyers moins aisés, ça peut être vu comme une issue de secours. Dans notre cas, pour les parents concernés par notre projet, le football n’étant pas encore démocratisé, la culture foot n’étant pas encore en place, le football est plus vu comme une activité comme une autre. Une activité dans laquelle l’enfant peut trouver des bienfaits ou pas, où l’enfant n’a pas réellement une vraie directive personnelle. Il ne va pas dire, ou c’est rare, « je veux faire du football, papa, maman inscrivez-moi. » Les gens qu’on a réussi à convaincre, on a réussi à les charmer par notre positionnement.

Il n’y a pas de rêves d’entrer dans des centres de formation en quelque sorte. On ne peut donc même pas parler de centres de formation à leur échelle ?

Soufiane : Comme l’a dit Qian Xin, le football n’est pas encore un sport populaire en Chine. Tu n’as pas ici les classes pauvres qui jouent au foot quand les classes riches jouent au tennis. Il y a des classes riches qui jouent au football en Chine, ce n’est pas vu comme un « sport de pauvre ». L’axe loisir est plus mis en avant. Et tu as un deuxième élément. En France ou en Europe, on voit les grands championnats qui sont devant nos yeux avec des gros salaires, des gros joueurs. Ici, on ne le voit pas. A l’exception des stars étrangères, les joueurs chinois ne sont pas payés des millions. Et comme ils ne voient pas cette réussite-là, les classes pauvres ne vont pas se dire « va jouer au foot, tu peux devenir comme lui. » Les Chinois suivent le football, ils aiment la Premier League, mais il y en a encore beaucoup qui ne suivent pas la CSL et encore moins la sélection. Ça va évoluer mais je pense qu’ils n’ont pas encore assez confiance en leur football pour le voir comme un moyen de réussite.

C’est aussi peut-être une question de valeurs, on en revient à la vision politique du pays. C’est compliqué de concilier culte du gros salaire, de l’argent, avec le communisme…

Qian Xin : …si tu prends le communisme de Mao et on a facilement fait ce raccourci. Du temps de Mao, dans aucune tête tu ne pouvais trouver une personne qui se disait « j’ai envie de réussir, j’ai envie de gagner de l’argent, j’ai des rêves, je peux les atteindre. » Aujourd’hui, je ne peux pas être sûr à 100% mais la quête de la réussite est dans toutes les têtes. Même si on est dans un régime communiste, la volonté de réussite est là. C’est juste qu’ils ne l’associent pas au football. Quand tu vois les multinationales comme Huawei, Alibaba et j’en passe, les gens ont cette idée de réussite.

Soufiane : Il y a deux choses qui font la réussite d’un Chinois, l’argent ou le pouvoir. Soit il se lance dans le public accède à de hautes responsabilités et a du pouvoir, soit il est dans le privé et a de l’argent.

Qian Xin : Après, ce sont nos observations, peut-être que d’autres te diront le contraire. Mais pour en revenir au foot, c’est vraiment que le football n’est pas encore assez démocratisé et cette vision de football comme réussite n’existe pas.

Soufiane : Prends par exemple la grande Académie d’Evergrande. Elle est payante et est très chère. Ça n’a pas de sens. Normalement, un petit qui a du talent, s’il en a, on investit en lui. A Evergrande, tu payes, tu y vas.

C’est un point intéressant que tu soulèves parce que justement ils ne communiquent pas dessus. Comment fonctionne la détection en Chine ? Il y a des choses mises en place par rapport au projet de développement ?

Soufiane : En ce qui concerne la détection, dans les autres sports, les Chinois sont très forts. Quand tu prends les JO de 2008 dans les sports individuels, tu vois que les Chinois sont efficaces pour détecter et attribuer un spot aux enfants. Etant donné que la Chine est un pays très structuré, ils n’auront aucun mal. Après, dans le football, le monde amateur / enfant, est très peu structuré ici. Il n’y a pas de championnats tels que tu peux les connaître en France. On vit à Suzhou, on est à 25 minutes de train de Shanghai et tu n’as pas des structures comme tu as par exemple à Paris avec des championnats régionaux, excellence, honneur, etc… Tu n’as que des structures publiques, à savoir les écoles, les enfants font du football dans les écoles en semaine et tu as des structures privées comme UNIREN qui offrent un enseignement de football le week-end. Il y a des tournois, des évènements, je pense que le gouvernement est en train d’essayer de mettre cela en place. Mais vu que ce n’est pas structuré, c’est pour l’instant difficile de détecter les jeunes.

Il est utile, avant de parler du projet, parce que le projet chinois est ambitieux et porte sur une dizaine d’années, de valider la première case qui est de populariser ce sport, de développer une culture football.

Du côté d’UNIREN, vous envisagez de mettre en place des sortes de stages de détection ?

Soufiane : Ce n’est pas vraiment notre positionnement.

Qian Xin : On revient à la case d’essayer d’abord de comprendre ce que l’enfant désire.

Soufiane : On part d’abord de l’enfant, pas du football. Même si c’est difficile de parler ainsi, de ce qu’on observe, l’enfant chinois est au centre des préoccupations du foyer. Etant donné que le plus souvent les familles n’en ont qu’un, maximum 2, il y a une importance de la réussite, on mise tout sur l’enfant. Le parent chinois préfère se priver de vacances, ne pas s’acheter de voiture pour tout miser sur l’enfant. C’est une sorte de machine de guerre, l’enfant est inscrit à une multitude d’activités. Il va faire de la musique, de la danse, etc…, et ce, tout le week-end. J’ai rarement vu ça. Tous nos enfants ici, tous leurs samedis et leurs dimanches, ont une activité. Le marché de l’éducation et de l’enfance est très développé en Chine. Et vu l’importance donnée aux études, le sport finit par ne plus compter. Quasiment tous les jeunes qui entrent au lycée ne font plus de sport. Quand tu rentres au lycée, il faut préparer le baccalauréat chinois, le gaokao et donc les parents font arrêter le sport à leurs enfants. Il faut dire que le niveau du bac chinois n’est pas celui du français, il est extrêmement dur. Nous, ce qu’on observe, c’est que les enfants chinois arrêtent le sport et cela se traduit dans les chiffres. En termes d’obésité et de diabète, les enfants chinois ont dépassé les américains. Et donc, UNIREN a plus la volonté d’arriver en disant « on a bien compris l’importance des études à vos yeux, mais ne voyez pas le football comme taper dans un ballon ou un moyen de devenir le futur Benzema, mais comme un sport qui a plein de bienfaits qui pourront servir au bon développement de votre enfant.»

Qian Xin : Dans sa première forme, UNIREN a effectivement cette volonté.

Mais si on se replace dans la perspective du développement du football en Chine, cette vision du sport risque de rapidement devenir un frein ? On imagine mal des clubs mettre en place des centres de formation si le football reste un simple loisir du week-end.

Qian Xin : C’est aussi une question de moyens. Tu peux faire tout plus vite avec de l’argent. Les grands centres comme celui d’Evergrande proposent aussi énormément d’opportunités aux enfants qui l’intègrent. Certains enfants, les meilleurs, sont retenus pour aller à l’étranger pour poursuivre leur formation par exemple. Ils se disent qu’il y a cette difficulté culturelle, mais qu’ils peuvent la contourner avec plus de moyens, avec des structures toujours plus grandes qui font rêver.

Il faut susciter le rêve en quelque sorte…

Qian Xin : et ils y arriveront. Maintenant, on parle de la masse. Soufiane parlait de l’enfant chinois en général. Aujourd’hui, dans l’ensemble, les parents ne sont pas 100 % d’accord pour que l’enfant fasse du sport du matin au soir et qu’il devienne un grand sportif, sauf s’il a d’énormes qualités et qu’on sait qu’il y parviendra. L’enfant lambda, on va surtout lui dire travaille bien à l’école…

Soufiane : Et justement, quand on parle de prédisposition. Même si on suit une volonté finale de construire l’élite de demain, je pense que ce que nous faisons va dans ce sens. On pose la première brique. On a observé les enfants chinois de manière globale. Le niveau athlétique, technique, en termes de motricité est bien en deçà de ce que l’on peut voir en France. On peut l’expliquer : mauvaise alimentation, pas de sport…

Qian Xin :…ce n’est pas biologique. C’est avant tout un souci de culture sportive.

Soufiane : Et donc je pense qu’il est utile, avant de parler du projet, parce que le projet chinois est ambitieux et porte sur une dizaine d’années, de valider la première case qui est de populariser ce sport, de développer une culture football, d’apprendre aux enfants à aimer ce sport, à aimer se dépenser, leur expliquer que pratiquer ce sport et bien manger, c’est complémentaire.

Et UNIREN est cette brique qui est la première, celle d’intégrer la culture du sport, et en particulier du foot dans la culture des masses.

Qian Xin : Selon nous c’est le moyen le plus durable et qu’on peut mettre à notre échelle. On n’a pas des milliards, on n’est pas Evergrande, du coup on pense que c’est le meilleur moyen.

De toute façon, si cette culture n’est pas intégrée par les masses, il y a un moment où ça va bloquer. S’ils veulent absolument arriver dans le top des nations mondiales, le foot doit être populaire. Et vous avez ainsi un rôle central.

Soufiane : Exactement. Si les centres de formations sont reconnus en France, c’est aussi parce que dans les cours d’école, en bas des bâtiments, ça joue au foot. En Chine, il faut que ça en soit de même. Il faut qu’on joue au foot dans les écoles, que petit à petit ils apprennent à aimer ce sport, à regarder des matchs de foot, etc... On a beaucoup d’enfants qui se sont inscrits qui, pour la plupart, jouent au foot pour la première fois et donc ne connaissaient pas les règles. Une anecdote, la plupart ne savaient pas qu’on pouvait utiliser la tête. Quand on a commencé les ateliers « jeu de tête », ils avaient peur de perdre trop de neurones. Ils ont une culture football très peu développée.

Qian Xin : Et on en revient à ce qu’on disait tout à l’heure. On ne pense pas que les enfants qui viennent s’inscrire ont dit à leurs parents « je veux faire du foot », mais, autant les parents que les enfants ont été charmés par ce qu’on proposait, une approche beaucoup plus soft qui est pour nous la première étape.

Je vois, on est au commencement de tout. Intégrer la culture foot dans la culture des masses. Ça risque de prendre du temps

Qian Xin : Maintenant que tu vois la nuance, tu comprends aussi qu’on n’est pas un centre de formation, on n’a pas structurellement parlant leur taille, etc... Mais en sept-huit mois, on a pu mettre en place cette approche.

Ça veut dire aussi qu’au niveau des clubs qui veulent créer leurs centres de formation, c’est encore bien loin, la difficulté est d’autant plus importante. Les parents qui payent le camp des Evergrande à leur enfant, ils ne se disent pas qu’il sera footballeur, ils payent une activité.

Qian Xin : Il paye une activité mais il paye aussi la proximité à l’excellence. Evergrande reste vu en Chine comme la meilleure équipe d’Asie. Il y a toujours le côté que l’enfant doit être le meilleur. L’enfant doit être une bête,le meilleur partout. Le fait est que l’enfant qui participe à cette formation à Evergrande donne une certaine forme de réussite.

Soufiane : Là où je vois la contradiction sur Evergrande, c’est que c’est un internat. Les jeunes vivent là-bas, jouent au foot tous les jours alors que c’est payant et très cher. Est-ce un recrutement de talent ? Pour moi, il n’y a pas de logique. Après, fort heureusement, toute la Chine n’est pas Evergrande, sinon ça ne marcherait pas beaucoup.

Le souci, c’est que s’il n’y a pas de véritable politique sportive à grande échelle, il y aura forcément un moment où ça va coincer…

Soufiane : J’ai confiance en les instances publiques, en le gouvernement parce que je pense qu’il sait ce qu’il fait, qu’il sait s’entourer d’experts pour développer le football. La Chine reste un grand pays avec une grande histoire. Même si ce n’est pas comparable, elle a réussi à être je pense la première puissance économique mondiale. Elle peut développer le football dans son pays. Je me méfie plus des acteurs privés, par exemple tous les grands clubs européens comme United, le Barça, le Real qui viennent s’installer, développer leurs académies. C’est purement pour une finalité commerciale. Ils mettent un nom sur un mur alors qu’ils ne s’intéressent pas au fond du sujet. Là est ma crainte.

C’est un thème intéressant parce qu’on a vu des stars du foot en faire de même. Ronaldo a ouvert des écoles de foot partout dans le pays (lire Le Brésil, moteur du développement chinois), je me souviens d’Ebbe Sand qui en avait fait de même il y a quelques années. Tu penses que c’est uniquement à but commercial ?

Soufiane : Je ne sais pas. Ce que je sais c’est que c’est très cher. Peut-être que je me focalise trop sur l’argent mais c’est un gros frein. Un enfant qui a du talent mais qui est pauvre, par définition, il ne peut pas aller chez Ronaldo.

Les gens qui aiment le foot ici, l’aiment vraiment. Derrière chaque club de CSL, il y a des fans.

Ce qui va à l’encontre de l’esprit à la base.

Soufiane : Voilà. C’est le premier point. Après, peut-être a-t-il un véritable projet sportif…

Qian Xin : …si la démarche est honnête, que ce soit Ronaldo ou le type lambda qui monte son école de foot, ça marchera. Si c’est honnête avec une pédagogie, ça marchera, c’est sûr. Aujourd’hui, et on l’a vu dans d’autres secteurs d’activité comme le luxe, je pense que les occidentaux ont bien compris que les Chinois sautaient beaucoup sur ce qui brille. Et donc, les joueurs de foot, les retraités notamment comme Ronaldo, ils savent que leur nom fait vendre. Lorsqu’une académie est construite autour d’une notoriété, et on le dit parce qu’on l’a entendu, les Chinois sont de moins en moins naïfs, ça ne marchera pas. Ils ne tomberont pas dans le piège. Monter une école de foot sur un nom et ne pas avoir le contenu qui suit, ça ne marchera pas.

Soufiane : Je signe mon fils chez Ronaldo mais tous les samedis je vais avoir un coach comme un autre qui n’aura pas reçu de formation particulière avec Ronaldo, ça ne marchera pas.

Qian Xin : Il faut voir de près chaque structure. Ronaldo peut avoir une démarche honnête, il faut voir. Mais pour en revenir au rôle du public qu’évoquait Soufiane, il y a une chose qui a fait et va faire vraiment bouger les choses, c’est de mettre le football dans les écoles. Aujourd’hui, un enfant a des heures de football dans son EPS, qu’ils appellent PE ici pour Physical Education. Et une fois qu’ils ont terminé l’école, ils ont la possibilité de prendre une option pour jouer encore au foot. C’est quelque chose qui fait bouger, qui fait avancer. Aujourd’hui, quand on passe devant une école, on voit des ballons ronds, on voit des enfants qui jouent au foot dans la cour, et ce, plus qu’avant.

C’est vraiment une étape clé, tu as raison. La Corée du Sud avait suivi ce chemin pour développer son foot après 2002.

Qian Xin : C’est un sujet bien plus intéressant et sur lequel on peut se dire qu’il apporte.

Ça va construire cette culture foot.

Qian Xin : Exactement.

Puisqu’on évoque le foot, abordons son image. On se souvient que la Jia-A s’était écroulée pour des histoires de corruption, la CSL a été fortement touchée par un énorme scandale de corruption en 2009-2010. Cela reste présent dans les esprits ?

Soufiane : Indépendamment de son niveau, là où le championnat professionnel avait du mal à attirer les regards des Chinois, c’est qu’il y avait un scandale de corruption qui sortait tous les mois. Parce que les clubs chinois ont été pris d’assaut par des gens malhonnêtes qui n’avaient rien à voir avec le football et qui ne voyaient en le club qu’une possibilité de faire de l’argent. Si tu observes, c’est marrant, tu verras qu’il y a quelques clubs qui en l’espace de 5 ans ont changé quatre fois de nom, trois fois de ville parce qu’il y a eu des rachats, etc… Tout ça ne permet pas de construire la culture football, à la tête des clubs, il n’y a pas de passionnés par ce sport mais que des gens qui cherchent un profit à court terme et que ça change de stade et de ville constamment, comment veux-tu développer la culture foot ?

Qian Xin : Et ça laisse sur le carreau des vrais passionnés, des vrais fans. On a fait beaucoup de stades, à Shanghai notamment, la ferveur est là. On a ce double son de cloche.

Soufiane : Les gens qui aiment le foot ici, l’aiment vraiment. Derrière chaque club de CSL, il y a des fans. Moi j’aime le Shenhua, il y a de vrais clubs de supporters. A Beijing, il n’y a qu’un seul club, il y a plus de demandes d’abonnement que de places. Les gens se battent pour avoir leur place.

Qian Xin : Ces affaires de corruption n’ont pas aidé pour le développement, notamment au niveau des parents, au niveau de la masse. Malgré tout, le football en soi a fait son effet.

Soufiane : Il y a aussi un nettoyage qui a été fait et qui continue d’être fait. Le leader actuel, depuis son arrivée au pouvoir, lutte activement contre la corruption dans sa globalité. Et lui qui veut développer le foot, il sait que c’est l’un des ennemis. Je pense que c’est un énorme enjeu pour le football chinois mais ils peuvent le battre.

L’autre enjeu, ça va être aussi la sélection.

Soufiane : J’ai discuté avec plusieurs experts français à ce sujet. On parlait d’étape une quand il s’agit de populariser le foot en Chine, pour une équipe nationale compétitive, on peut parler de générations. Il faut que plus de jeunes jouent au foot, que le niveau augmente pour qu’il y ait quelques pépites qui sortent, que les systèmes de détection se mettent en place….On parle d’au moins 10-15 ans.

On a l’impression d’être au début du XXème siècle en Europe.

Soufiane : On part de loin.

Et vous pensez que ça peut résister au temps ?

Qian Xin : Il y a une chose de certaine. En Chine, quand ils mettent quelque chose en place, ils vont jusqu’au bout. On n’est pas devins mais vu l’investissement, vu le fait que le monde regarde la Chine, le leader sait qu’il ne peut pas laisser tomber. Le gouvernement ne peut pas se permettre de mettre les moyens dans un domaine et finalement le laisser tomber. L’image que cela renverrait est trop négative.

Il y a des pays que ça ne dérange pas…maintenant on a vu par exemple des pays de foot, dans le sens historique du terme, dans lesquels certains gouvernements se sont impliqués avec des volontés commerciales et qui ont finalement tout laissé tomber parce qu’ils ne pourraient récupérer leurs billes.

Soufiane : Je ne pense pas que ce soit une volonté commerciale ici. La Chine a fait ses preuves sur le plan économique, elle veut maintenant développer son image.

On a une idée du nombre de licenciés au pays ?

Soufiane : Etant donné qu’il n’y a pas de structure, de clubs, que tout ne converge pas vers des championnats qui font que tout converge, c’est difficile à mesurer.

Qian Xin : Je pense qu’ils ne parleraient même pas de licenciés mais plutôt de pratiquants parce qu’il n’y a pas de clubs.

Pour populariser le football, il faut d’abord toucher les écoles

Et dans les faits, il va y avoir création de telles organisations pyramidales ? Avec des clubs locaux, des ligues locales, régionales, d’un championnat amateur, etc…

Soufiane : Il n’y a rien de tout cela. Ont-ils l’intention de le faire ? Je ne sais pas. Je pense que c’est important ne serait-ce que pour structurer la détection des talents. Vont-ils le faire ? Ont-ils un plan B ? Je ne sais pas.

Qian Xin : Ils ont des experts, donc je pense qu’ils vont le faire.

Pourtant, bizarrement, il n’y a aucune communication sur ce sujet. Tu parles d’experts, c’est un point important. On a l’exemple de la MLS qui est bien connu où ils se sont énormément appuyés sur des experts venus de l’étranger, des européens. On pense par exemple au rôle essentiel joué par Carlos Queiroz dans la réforme du football aux USA.

Qian Xin : Le leader est allé à City l’an dernier. Il a fait sa selfie avec Agüero qui a fait le tour de monde et en a choqué plus d’un. Mais en faisant cela, il met le doigt sur quelque chose qui est révélateur. Il montre aux Chinois et au secteur privé, à des gens qui ont la capacité financière d’investir, qu’il faut aller vers l’étranger pour le football chinois. On ne sait pas qui sert la main de Xi Jinping, mais ils le font obligatoirement. On n’avait jamais vu un leader chinois aller dans un club de foot. Le fait de le faire n’est pas anodin. C’est un appel du pied.

Soufiane : Vu l’ampleur du projet, je pense qu’ils ont un plan d’action parfaitement réfléchi, très planifié. Ils savent où ils veulent aller, ce qu’ils veulent faire. J’imagine qu’en fonction de ce qu’ils veulent faire, ils ont su s’entourer d’experts, chinois ou étrangers.

Qian Xin : Il y a un manque structurel. Même en faisant appel à de la connaissance, aujourd’hui la structure ne suivrait pas. Ils se disent probablement aussi que chaque chose en son temps.

Soufiane : Tu faisais un parallèle avec la MLS, mais, aux Etats-Unis, le football est le sport numéro 1 chez les jeunes donc les changements à apporter pour développer le foot là-bas était une refonte. En Chine, le chantier est plus vaste. Les informations que le gouvernement répand actuellement se focalisent vraiment sur les écoles publiques. Il faut que le football entre à l’école.

Qian Xin : Pour te donner une anecdote. Un parent d’un enfant déjà inscrit chez nous a partagé un lien qui était un message d’une école publique adressé aux parents et qui indiquait que le foot allait devenir une priorité et que les enfants devaient jouer au football. Le jour même, on a plusieurs parents qui ont inscrit leurs enfants.

Soufiane : Ils savent que pour populariser le football, il faut d’abord toucher les écoles. Et les Chinois ne sont pas aveugles mais ils suivent les directives du gouvernement. Si le gouvernement les invite à faire quelque chose, ils vont lui faire confiance.

Et sans vouloir prédire le futur, vous pensez que ça prendra au niveau de la masse ?

Qian Xin : Je pense que la Chine peut être un pays avec plusieurs sports. On peut pousser autant qu’on veut le football, beaucoup de disciplines coexisteront. On ne va pas effacer des années d’histoire de ping-pong, de badminton, d’haltérophilie ou de gymnastique. Le football viendra s’ajouter à cela.

Soufiane : Est-ce que la CSL va se développer ? Oui certainement, j’en suis persuadé. Est-ce que de plus en plus de Chinois vont jouer au football ? Oui, j’en suis persuadé. Par conséquent, la culture football va se développer. Un football chinois va naître. La Chine est un pays structuré, qui sait se fixer des objectifs et les atteindre, on l’a vu avec les JO de 2008, je n’ai aucun doute sur le futur d’une équipe nationale chinoise compétente. Est-ce qu’elle gagnera une Coupe du Monde, je ne peux pas te le dire, est-ce qu’elle arrivera en Coupe du Monde oui, très certainement. La seule question compliquée, c’est le « quand ». Ça peut être dans 10 ans ou dans 50 ans.

La CSL va jouer un rôle. Est-ce que les gros transferts de janvier ont fait bouger les choses localement ?

Qian Xin : Ce qui a changé, c’est au niveau de l’engouement général. Une attention s’est portée sur le foot. Pendant la période des transferts, on a parlé football et les gens étaient fiers de le dire. On a eu la chance de rencontrer plusieurs joueurs et celui qui a marqué c’est Robinho. Quand il est arrivé à Evergrande, les gens étaient fiers de dire « Robinho est à Evergrande ». Ça apporte un plus en termes de réputation mais on est encore loin d’un réel engouement.

Soufiane : Prends par exemple le club de Jiangsu. Avant il s’appelait Sainty, a été racheté par Suning, un gros groupe électroménager un peu le Darty chinois, ils ont acheté Ramires. Avant, c’était un club très moyen, il est aujourd’hui sous le feu des projecteurs, avec l’investissement de Suning et l’arrivée des joueurs étrangers, de plus en plus de chinois suivent cette équipe. Un élan se crée.

Au niveau médiatique, la couverture de la CSL a changé ?

Qian Xin : Les Chinois regardent beaucoup la Premier League et la Bundesliga. La Bundesliga c’est aussi lié au fait qu’il y a énormément d’entreprises allemandes en Chine. Même chose avec les Italiens, on voit des maillots italiens sur les terrains.

Soufiane : Outre le fait qu’il est considéré comme le meilleur championnat au Monde, la Premier League reste le championnat qui s’exporte le mieux dans le monde. Je crois qu’ils sont présents partout sauf en Corée du Nord et à Cuba.

Qian Xin : Pour la CSL, disons qu’elle est diffusée. A Shanghai, la chaine de sport de Shanghai diffuse la CSL et le présentateur est connu.

Soufiane : Avec les investissements faits, elle est de plus en plus regardée. Même si les Chinois la considèrent inférieur à la Premier League, ils commencent à s’y intéresser de plus en plus. Mais cela va passer par regagner la confiance envers son championnat local et son équipe nationale. Ils se disent que le foot n’est pas bien chez eux alors ils regardent l’Angleterre. Le jour où les Chinois aimeront leur foot, ce sera un grand pari de gagné.

Les Chinois complexent ?

Qian Xin : Je vais oser le parallèle. J’ai travaillé dans le domaine du vin et il était intéressant de voir à quel point le vin français avait une importance historique et s’exportait énormément en Chine. Depuis, la Chine est sortie de ce complexe des années 90 et les Chinois sont désormais fiers de leur propre vin. Tu peux le transposer à la téléphonie avec Huawei. Il n’y a plus de complexes. En foot, le jour où ils pourront avoir un championnat aussi compétitif que les autres, ils le feront.

Soufiane : Au-delà du manque de complexe, le peuple Chinois a une détermination et une envie d’atteindre ses objectifs qui me confortent dans l’idée qu’ils peuvent y arriver.

Propos recueills par Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée

Photos : UNIREN

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.