Après vous l'avoir pas mal taquiné, Lucarne Opposée a décidé d'en savoir un peu plus sur l'identité de la lanterne rouge du Brasileirão 2016 : L'América Mineiro. Rendez-vous donc au siège du club, au dernier étage du luxueux Shopping Boulevard du centre de Belo Horizonte, pour un entretien avec Amarelinho, responsable des relations publiques et ancien joueur du club.

Waldyr Antonio de Lellis de son vrai prénom, a en effet porté la tunique verte de l'América entre 1958 et 1964. Un court passage pour ce milieu de terrain défensif plus technique que physique de son propre aveu, qui l'aura marqué puisqu'il est resté dans les arcanes du club jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi ce surnom d'Amarelinho (petit jaune en vf) d'ailleurs ? : "Quand j'étais étudiant, vers mes treize ans, mon professeur de géographie en parlant des ethnies et des races disait "nous avons la race nègre, la race blanche, la race jaune, les asiatiques" (sic). Alors un camarade s'est exclamé "Waldyr est un petit jaune, regardez ses yeux !" car j'avais les yeux en amandes. (…) Mais cela ne m'a pas facilité la tâche dans le sport, car tout le monde se demandait si j'étais "jaune" parce que lâche, le jaune étant la couleur des lâches. Mais d'un autre sens, c'est aussi une couleur qui brille qui peut inspirer de meilleurs sentiments."

Waldyr finira par s'y faire, étant encore surnommé de la sorte aujourd'hui, à bientôt 80 ans. Celui qui possède également la casquette de président de l'association des anciens athlètes de l'América a plus d'une histoire à nous raconter, comme lorsqu'il était ramasseur de balle aux entrainements de la Yougoslavie et de la Suisse lors du Mundial 1950, mais aujourd'hui c'est l'identité de l'América qui nous intéresse. america12Une identité bourgeoise et familiale qui prend sa source dans ses origines sociales. Amarelinho nous raconte : "L'América a été fondé en 1911 par un groupe de gamins  de 12/13 ans, dans le quartier de Funcionarios dans le centre. La majorité d'entre eux étaient fils de médecins, gouverneurs, préfets, juges, donc l'América a commencé avec un groupe de personne venant du top, de la crème de la société de Belo Horizonte. (sic) Sauf qu'à la fin de l'année 1911, à cause des examens scolaires de fin d'année, ils ont dû arrêter. Leurs parents les ont forcés, disant "Vous allez arrêter avec ces histoires de football, il faut étudier!". Mais en 1912, ils se sont réunis à nouveau pour recréer leur équipe. C'est là que le nom América a été choisi en hommage à des professeurs qu'ils avaient. En effet la plupart d'entre eux étudiaient au collège anglo-américain, et la plupart de leurs professeurs étaient nord-américain. Le nom América leur rend hommage. Les couleurs en revanche ont été choisies par tirage au sort. Enfin voilà pourquoi l'América est considéré comme le club de l'élite de Belo Horizonte. Généralement les personnes cultivés sont pour l'América."

amarelinho

 

Probablement bien aidé par l'origine sociale de ses fondateurs, le club va vite grandir pour devenir un club omnisports privé à l'anglaise, dont les athlètes vont  notamment briller en natation et en football. La section ballon rond de l'América va d'ailleurs truster le titre de champion du Minas Gérais dix saisons de suite, entre 1916 et 1925, avant l'arrivée de l'ère professionnelle à laquelle le club s'opposera. Une prospérité dont témoigne Waldyr : "L'América, je peux te le dire avec beaucoup de certitude pour y avoir joué de 58 à 64, était le second plus grand club de sport, pas que de football mais de sport, de Belo Horizonte. Le premier était le Minas Tenis Club et le second était l'América.  Nous avons même été les premiers à avoir un trampoline de compétition ! L'América avait une très bonne fréquentation, bien dans la norme, avec des gens très beaux, des filles très belles. Et les dirigeants même de l'América, ainsi que les joueurs, venaient toujours avec toute leur famille, c'est ainsi que dans les années 40-50, l'América est devenu "O Time da Familia" (l'équipe de la famille en vf). L'actuel président d'honneur du club, Alfonso Celso Raso, fréquente le club depuis les années 40 ! Il disputait des compétitions de natation pour l'América, il jouait aussi au foot, a été entraineur, joueur de basket, de foot en salle… Enfin, l'origine de ce surnom vient de cette époque. D'ailleurs à partir de 1958, je passais la plupart de mon temps au club, même pour ne rien faire ! Car c'était agréable, très bien fréquenté, toujours plein de joie. Bon c'était surtout les classes supérieures hein, d'ailleurs l'América avait un slogan à l'époque : "O Time do Elite" (l'équipe de l'élite) (…) un club d'un niveau culturel élevé, une équipe à la torcida plus petite mais d'une certaine qualité. (…) C'est un club qui embrasse les gens. A ce titre l'on pourrait, à ce titre, dire que c'est "Mes que un club" tout comme le FC Barcelone." Carrément.

L'América a ainsi longtemps cultivé cet entre soi, certes, mais également un esprit placide et pacifique qui a vite attiré la sympathie de toute la capitale mineira, allant même jusqu'à verdir le cœur des supporters voisins. "Dans leur grande majorité, les supporters du Cruzeiro ont l'América comme seconde équipe. Et il va de même pour une partie des supporters de l'Atlético." explique Amarelinho avant de pondérer : "Mais jusque dans les années 60, le classico qui attirait le plus grand nombre de personne c'était Atlético-América, cela s'appelait le Classico das Multidões. Il y a beaucoup de photo de l'Arena Independencia comble, on n'aurait pas pu faire rentrer une mouche en plus ! Enfin bon, j'ai pour habitude de dire, avec humour, que si l'América est leur seconde équipe, c'est que le club ne leur a pas vraiment fait de mal dernièrement."

amarelinhoecolePour 2017, afin de bien préparer son retour en seconde division et le championnat mineiro, dont il est actuellement 7e, l'América a lancé dès le début de l'année une campagne de "popularisation" que nous détaille Waldyr : "Il y a plusieurs aspects. Déjà le supporter de l'América, dans la grande majorité, ne sort pas de sa zone de confort. Le week-end, il va dans sa petite maison de campagne, reste en pyjama devant la télévision à siroter du whisky. (…) En fait, il s'agit tout simplement d'augmenter le nombre de supporter au stade, car notre moyenne de remplissage du stade est de 1000, c'est vraiment peu. Cela passe donc par une baisse du prix des billets ainsi que des offres d'abonnements plus accessible à tous. (…) Ensuite, il s'agit de rendre plus populaire le nom América. Cela en invitant des collèges, des institutions, des ONG, ou en réalisant des visites comme je l'ai fait en 2015, où j'ai emmené plus de 500 enfants entre 10 et 15 ans au camp d'entrainement professionnel." Une opération séduction qui passe également par l'implication du club dans l'animation de Belo Horizonte, en étant un partenaire privilégié du très populaire marché central ou en profitant de ses ponts avec le milieu culturel comme l'ajoute Amarelinho : "Par exemple, l'un des présidents du club, car l'América est dirigé par un comité, est également le président du Museu Inimá de Paula. De temps à autre, l'América participe donc à des évènements culturels, des expositions… etc"

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Si l'América Mineiro avait provoqué autant d'empathie chez les rédacteurs de Lucarne Opposée lors de ce dernier Brasileirão ce n'est pas lié au hasard : c'est une qualité qui lui est propre, qui coule dans ses veines et que le club cultive sans complexe. coelhodessinEt si l'on peut éventuellement lui reprocher un léger manque d'ambition, on peut saluer ce désir de casser cet aspect élitiste en agrandissant la famille América. Avant de partir, on ne pouvait pas ne pas poser la question. Mais pourquoi diable avoir pris le lapin comme mascotte ? : "C'était en 1944, le dessinateur Fernando Pieruccetti, dit "Manguabeira", a créé pour le journal Folha de Minas, des mascottes pour les clubs mineiros : le coq pour l'Atlético, le renard pour Cruzeiro etc. La première mascotte choisie pour l'América fut un canard mais cela n'avait pas plu aux supporters, qui n'appréciaient pas cet animal. Alors il a changé pour le lapin, pour son intelligence, sa vitesse, qui fut rapidement adopté."

Amarelinho aura le mot de la fin, fidèle à l'esprit du club : "Bon maintenant on va prendre un café ?"

Bonus : documentaire spécial centenaire du club

Simon Balacheff
Simon Balacheff
Médiateur culturel, travailleur humanitaire et bloggeur du ballon rond tourné vers l'Amérique Latine. Correspondant au Brésil pour Lucarne Opposée