Plus vieux club de l’élite actuelle en Bolivie, The Strongest représente à lui seul un siècle de football et d’histoire du pays. Voici l’histoire d’un géant bolivien, une histoire de gloires, de héros et de tragédies.

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L’un des derniers centenaires

Comme de nombreux autres pays sud-américains, le football arrive en Bolivie grâce aux britanniques. Alors que le XIXème siècle vit ses dernières années, le pays tente de se remettre du désastre que fut la Guerre du Pacifique (lire L'autre bataille du Pacifique), la domination économique des villes du Sud commence à tirer à son terme, des cités comme Oruro ou La Paz émergent alors. C’est le long des chemins de fer qui se construisent que le football pose ses bases en Bolivie, Oruro accueillant le premier club de foot du pays, Oruro Royal, fondé en 1896. Le XXème siècle débute, La Paz vit alors une explosion économique et accueille à son tour ses premiers clubs. Les Bolivian Rangers arrivent en 1901, en 1906 c’est au tour des Thunder de voir le jour. Ce sont eux qui auront le privilège d’affronter Oruro Royal lors du premier match inter-département, perdant au match aller en 1906 1-0 avant l’année suivante (le manque d’infrastructure rendant les déplacements et l’organisation de matchs à travers le pays plus que difficiles – Oruro voyagera deux jours en diligence pour se rendre à La Paz au retour) de remporter le match retour. Malheureusement, l’histoire des Thunder sera de courte durée. L’année suivant ce match retour face à Oruro, le club disparait, faute de parvenir à conserver ses joueurs. Ce sont sur les cendres de Thunder que The Strongest va naître.

Quelques mois plus tard, un groupement d’anciens joueurs de 20 de Octubre et du Thunder FBC décide de se réunir pour créer un club plus solide, plus pérenne : le Strong Foot Ball Club vient de naître, il deviendra rapidement The Strongest. Il gardera comme héritage les couleurs du maillot, rayés de jaune et de noir, couleurs de la révolte, le jaune représentant le jour, le noir représentant la nuit, faisant juste passer les rayures d’une position horizontale à une position verticale. Le club participe aux compétitions organisées par la municipalité de La Paz pendant quelques saisons, affronte celui qui sera son premier grand rival, Nimbles Sport Association. Le football s’organise, au milieu des années 10, sous l’impulsion de ses deux grands rivaux, La Paz fonde la première association de football en Bolivie. Le premier championnat amateur voit le jour, The Strongest l’écrase pendant ses 35 années d’existence, décrochant 13 titres, dont sept des huit premiers, voit des rivalités naître avec des clubs comme Colegio Militar ou l’Universitario de La Paz (avec qui il inaugure l’Estadio Hernando Siles) avant de voir émerger son futur grand rival, celui dont les matchs embrasent encore la Bolivie d’aujourd’hui, Bolívar, qui arrive au milieu des années vingt.

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Héros de guerre

Les années 30 sont mouvementées en Bolivie. En 1932, la Guerre du Chaco éclate avec le voisin paraguayen, elle durera trois ans et restera l’une des plus meurtrières du XXème siècle. Le club suspend alors ses participations aux compétitions, ses joueurs, dirigeants et supporters s’enrôlent dans l’armée bolivienne pour participer au conflit. Ils formeront un bataillon actif pendant ce conflit, en 1934, la victoire de la bataille de Cañada Esperanza, plus grand succès de l’armée bolivienne sur l’armée paraguayenne durant le conflit, est rebaptisée bataille de Cañada Strongest en raison de la participation nombreuse de joueurs du club dont José Rosendo Bullaín, l’une de ses idoles devenue chef de guerre durant le conflit et dont la légende veut qu’au moment de sa mort lors de cette célèbre bataille, il entonna le K'alatakaya Huarikasaya, cri de guerre de l’époque devenu au fil des années cri du club, symbole de sa capacité à résister jusqu’au bout.vegaerico

L’après-guerre sera d’abord celui de l’époque du « tueur » de géant. The Strongest dispute des rencontres internationales et se paye le luxe de faire tomber des clubs comme l’Independiente argentin et sa star Arsenio Erico (lire Arsenio Erico : l’ange qui jouait pour le diable) prenant alors ce surnom en même temps qu’il choisit d’être associé à l’image du Tigre, nom donné par le président de l’Asociación de Fútbol de La Paz, don Max de la Vega en 1941, avant, l’année suivante, d’en passer 9 à Estudiantes, record qui tient encore pour une équipe bolivienne face à un géant argentin. Ses rencontres internationales placent The Strongest dans le paysage du continent. Pendant une bonne décennie, plusieurs géants viendront se mesurer aux Tigres. De Botafogo au Cerro Porteño en passant par le Millonarios de Di Stéfano (qui à cette occasion marquera l’un de ses plus beaux buts à Vicente La Flecha Andina Arraya), les grands du continent affrontent mais ne battent pas The Strongest qui affrontera lors de la décennie des 60, des Européens comme Tbilissi ou l’Atlético de Madrid.

Deux tragédies en dix ans

L’arrivée du professionnalisme au début des années 50, conséquence d’un match catastrophique contre l’Uruguay lors de la Coupe du Monde 1950 (défaite 8-0) ne change en rien le statut du club qui va continuer d’occuper les premiers rôles et vivre entre gloire et tragédies. La première date du 18 janvier 1953. Champion en titre, The Strongest est invité par la fédération bolivienne à disputer un match amical à Cochabamba face à la sélection nationale qui prépare alors le Campeonato Sudamericano organisé au Pérou. Au lendemain du match, le 18 janvier donc, cinq membres dont quatre joueurs cadres des Tigres, décident de rentrer à La Paz en voiture. Ezequiel Calderón, Raúl Reynoso, Eusebio Martínez, Alberto Ramírez et le kiné Alberto Molina sont à bord, le véhicule tombe en panne sur une voie de chemin de fer. Il sera percuté par un train. Calderón, Ramírez et Martínez décèdent, le club est sous le choc. Une décennie plus tard, le destin frappe encore.

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Le 26 septembre 1969, l’équipe au complet rentre d’un tournoi amical organisé à Santa Cruz. A 14h, 16 joueurs et l’encadrement technique montent à bord d’un Douglas DC-6B. Une heure plus tard, la tour de contrôle de Trompillo a perdu son signal. On retrouvera l’avion écrasé à 4 000 mètres d’altitude, dans une zone totalement inaccessible aux alentours de Viloco, ville minière de la Cordillère des Andes. 74 personnes périront dans cet accident d’avion, le club est alors totalement anéanti par la douleur et la perte de ses joueurs et dirigeants. Le même jour, la Bolivie tombe dans la dictature, Alfredo Ovando Candia, l’homme qui avait fait exécuter le Che, renverse Luis Adoflo Siles Salinas et prend le pouvoir. Ce télescopage des évènements alimentera bien des théories, d’autant que jamais on ne connaîtra les causes réelles de l’accident.

Alors voué à s’écrouler, The Strongest ne mourra pas, mieux, il va rapidement renaître de ses cendres. Rafael Mendoza Castellón est nommé à la tête du club, sa gestion va le sauver. Appuyé par tout un continent qui se montre solidaire – le Brésil organise un Fla-Flu pour lever des fonds, le président de la CONMEBOL lève 20 000$ pour aider financièrement le club. Alors que River Plate contribue par des matchs caritatifs, le rival Boca Juniors restera celui qui aidera le plus The Strongest. Le président Alberto J. Armando déclare alors « si The Strongest n’existait pas, il faudrait le créer. » Il appuie les Tigres en organisant un match amical et en lui prêtant deux joueurs, Romero et Luis Zorro Bastida qui vont grandement participer à la reconstruction. Car l’équipe qui se forme alors, et reste aujourd’hui nommée Strongest Símbolo, va tout renverser. The Strongest est champion de la Ligue de La Paz l’année suivante, conserve son titre en 1971 et est vice-champion national en 1970. Don Rafo restructure le club, acquiert des terrains où il bâtit le complexe sportif du club. Les Tigres disputent la Libertadores 1971, s’installent de nouveau et pour toujours au sommet du football bolivien.

Depuis, le club ne cesse d’occuper les premiers rôles. Premier champion de la Liga del Fútbol Profesional Boliviano, le championnat actuel créé en 1977, The Strongest est le deuxième au palmarès historique. « Il y aura de nombreux champions mais le premier sera à jamais le Tigre, » dira Raúl Ruíz, un des attaquants du club en 1978. Depuis, The Strongest glane un titre minimum par décennie avant de profiter de l’entrée dans le XXIème siècle et la formule Apertura et Clausura pour garnir davantage son armoire à trophées nationaux. Emmené aujourd’hui par la légende Pablo Escobar, le plus vieux club de l’élite bolivienne reste plus que jamais un géant toujours vivant.

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Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.