Au Pérou, il est un club souvent décrit comme le troisième du pays derrière l’Alianza Lima et Universitario. Des joueurs légendaires sont sortis de son centre de formation et ont contribué à écrire l’histoire du football péruvien. Retour sur la création et le développement du Sporting Cristal.

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Doña Esther Grande de Bentín

Le 8 avril 1954, Don Ricardo Bentín Mujica prend la direction de Backus & Johnston, la plus importante entreprise péruvienne de bière. Cette brasserie s’est caractérisée pour son apport au développement du sport péruvien que ce soit dans le volley, l’athlétisme ou encore le tennis. Mais c’est dans le football que Backus & Johnston, sous l’impulsion de Ricardo Bentín, a réalisé son plus important investissement sportif avec la création du club Sporting Cristal. Pour se faire, la direction de l’entreprise s’est rapprochée d’un club existant du district de Rímac évoluant en première division, le Sporting Tabaco, alors en grande difficulté financière. Après plusieurs mois de négociations, la fusion a lieu le 13 décembre 1955 donnant naissance au club actuel. Le nom de Sporting Cristal est vite adopté en référence au produit phare de la brasserie, la bière Cristal. Dans le journal La Crónica de décembre 1955, on peut lire : « La date du 20 décembre marquera la disparition du club Sporting Tabaco et signalera l’avènement au football national du club Sporting Cristal Backus […] Le Sporting Cristal Backus est une entité appelée à se convertir, comme Universitario et Alianza Lima, en une puissance footballistique de notre pays ».fundadores

Ce projet a aussi été possible grâce à la plus fervente amatrice de football de cette époque, Doña Esther Grande de Bentín, épouse de Don Ricardo. Doña Esther était une dame de la haute société de Lima, aimée et respectée de tous pour ses œuvres caritatives et ses actes de bienfaisance en particulier envers la communauté du district de Rímac. Les époux Bentín ont donné corps et âme à leur club Sporting Cristal et lui ont forgé une identité pour pouvoir exister aux côtés d’institution mythique comme Alianza Lima, Universitario ou encore Sport Boys. On raconte que le fameux « Fuerza Cristal ! », repris de nos jours par les barras du club pour soutenir leur équipe, est né de Doña Esther qui le cria pour la première fois spontanément depuis les tribunes. On retrouve un court article à ce sujet écrit en 1956 par Oswaldo Cuadros Lazo et intitulé « ¡ Fuerza Cristal ! » : « Lors de la victoire du Sporting Cristal contre le Deportivo Municipal, il était très curieux de voir une dame de la tribune ouest applaudir l'équipe de Rímac…. La voir debout applaudir, applaudir, crier tous les buts de l'équipe céleste. Cette dame s'appelle Esther Grande de Bentín […] s'est levée et a crié aux hommes, dirigés par le Chilien Lucho Tirado, Fuerza, Fuerza, Fuerza Cristal !! »

De nos jours encore, Doña Esther est communément appelé « la mère de la hinchada celeste ». Il existe de nombreuses anecdotes sur la bonté de Doña Esther, mais peu de traces écrites car elle ne recherchait pas la notoriété. Elle recherchait avant tout le bien être des employés du club jusque dans les moindres détails. Un mariage d’un joueur, une naissance ou un baptême d’un enfant d’un joueur était une occasion pour Doña Esther de montrer sa bonté et son affection pour les gens mais toujours dans la discrétion. Elle ne voulait surtout pas que son nom apparaisse dans les œuvres de charité ou autre. Doña Esther était également directement impliquée dans le club en imposant par exemple la couleur des maillots de l’équipe première, un bleu ciel foncé. En son honneur, fut créé l’académie EGB consacrée essentiellement à la formation. Des joueurs internationaux comme Luis Advincula, Renato Tapia et André Carillo ont fait leurs classes dans cette académie avant de connaitre le succès que l’on sait.

Le club qui est né champion

Pour sa première participation dans un championnat professionnel, le Sporting Cristal conserve une grande partie de l’équipe du Sporting Tabaco notamment le gardien Rafael Asca, le capitaine Alfredo Cavero et le buteur Faustino Delgado. Le club recrute le meilleur buteur du championnat Máximo Mosquera pour armer cette équipe qui s’annonce d’ores et déjà favorite. La première victoire arrive rapidement, dès la deuxième journée et un cinglant 3-0 contre Ciclista Lima. Les Celestes impressionnent déjà avec une série de quinze matchs sans défaite. À la fin de la saison, le Sporting Cristal est champion en ayant l’attaque la plus prolifique ainsi que la meilleure défense du championnat. Un monstre qui a faim de titres est né. Dans les années suivante, le club mise sur son centre de formation et souhaite développer ses propres joueurs. C’est ainsi qu’au début des années soixante, des joueurs comme Orlando de la Torre, Eloy Campos et Roberto Elías émergent du club celeste et deviendront de véritables références du football péruvien. Cette décennie voit également l’arrivée de Alberto Gallardo, considéré comme l’un des plus grands attaquants de l’histoire du Pérou et véritable idole du club celeste.gallardo Son nom entrera encore plus dans la légende lorsqu’il sera donné au stade du club en 2012. Surnommé El jet, il est l’un des principaux artisans du second titre de 1961. Mais c’est lors de la tournée mondiale avec le club que El Jet impressionne le plus avec un total de trente-sept buts inscrits en trente rencontres à travers les États-Unis, la Malaisie, l’Iran et l’Espagne. Le Sporting Cristal remporte vingt matchs, pour sept nuls et trois défaites. L’année suivante, en 1962, c’est un grand nom du football brésilien qui pose ses valises à Lima en qualité de joueur-entraineur dans le club de Rímac. Waldir Pereira, plus connu sous le nom de Didí, arrive donc, tout juste auréolé d’un titre de champion du monde avec le Brésil. Avec le Brésilien, le Sporting Cristal propose un beau jeu de possession et très offensif, mais ne gagne malheureusement aucun titre, échouant à la deuxième place en 1962 et 1963. Après une dernière tournée au Brésil, Didí raccroche définitivement les crampons pour se consacrer pleinement à sa carrière d’entraineur. C’est à ce poste qu’il retourne au Sporting Cristal en 1967 et déroche le titre de champion du Pérou l’année suivante en 1968.

Terre d’idoles

Les années soixante-dix marquent un tournant dans le football péruvien. Le Pérou participe à ces grandes fêtes que sont les mondiaux au Mexique en 1970 et en Argentine en 1978 et entre peu à peu dans l’esprit des amateurs de ballon rond aux quatre coins du monde. Le Sporting Cristal n’est pas étranger aux belles performances de la Blanquirroja puisqu’il apporte son lot de joueurs à la sélection nationale. Le gardien Luis Rubiño, les défenseurs Eloy Campos et Orlando de la Torre, le milieu Ramón Mifflin ainsi que les attaquants Jose del Castillo et l’inévitable Alberto el jet Gallardo au Mexique 1970. Le gardien Ramón el loco Quiroga, les défenseurs Héctor Chumpitaz, José Navarro et Rubén Diaz, les milieux Percy Rojas, Alfredo Quesada et Raúl Gorriti ainsi que les attaquants Juan Carlos Oblitas et Roberto Mosquera pour le mondial 1978 en Argentine. Dans le tournoi local, les Celestes gagnent les titres de 1970, l’année du Mondial, puis de 1972 de la main de Marcos Calderón, le technicien qui avait entrainé la sélection au Mexique. Porté par sa pléiade de stars, le Sporting Cristal entre dans les années quatre-vingts en devenant double-champion en titre pour la première fois de son histoire grâce à l’obtention des titres 1979 et 1980. De ce doublé, on en ressort le travail formidable d’un homme en particulier, Julio César Uribe (dont vous pourrez retrouver son histoire et un entretien exclusif dans le LOmag n°5). Appelé à remplacer la première grande idole du club, Alberto Gallardo, Uribe débute avec la Celeste en 1975 avant de s’imposer définitivement et d’en être le maître à jouer. Il prend également le rôle de serial buteur en 1979 avec dix-huit buts inscrits et un titre de meilleur buteur du championnat. L’année suivante, en 1980, le Sporting Cristal et son numéro 10 deviennent une machine infernale et enchaînent une série impressionnante de vingt matchs sans défaite. Cette année, le meilleur buteur du championnat est encore une fois celeste et se nomme Oswaldo Ramírez dit Cachito, légende passée par Sport Boys et Universitario avant de finir sa carrière au Sporting Cristal.

L’année 1983 marque le retour sur les terrains du Capitán de América, Héctor Chumpitaz, après une grave blessure qui lui a notamment fait rater le Mondial 1982 en Espagne. C’est donc avec son emblématique capitaine, âgé de 39 ans, que le Sporting Cristal décrochera son huitième titre national. En 1988 c’est le retour en grâce d’une autre idole, Alberto Gallardo, mais cette fois-ci en tant qu’entraineur du club de Rímac. Comme une belle histoire, el jet Gallardo décroche le titre de 1988, son cinquième avec son club de cœur.

La Máquina Celeste de Chorri Palacios

Tout comme Alberto Gallardo dans les années 60/70 et Julio César Uribe dans les années 70/80, un homme vient marquer les années quatre-vingt-dix de son empreinte : Roberto el Chorri Palacios. Véritable légende du club et de la sélection avec qui il a disputé 128 matchs, un record au pays Inca (retrouvez son portrait dans le LOmag n°8), il permet au Sporting Cristal de rafler quatre titres, en 1991 puis le premier triplé de l’histoire du football professionnel en 1994, 1995 et 1996. Les journalistes surnomment le club « La Máquina Celeste » (La Machine céleste). Une machine inarrêtable qui enchaine dix victoires sans sourciller et qui démolit tout sur son passage à l’image d’un cinglant 11-1 infligé au Defensor Lima en 1994. En Amérique du Sud, la Máquina Celeste fait également parler la poudre avec retentissant 7-0 contre les Boliviens de Jorge Wilstermann en 1995 pour le compte de la phase de groupes de la Libertadores. Aux côtés du Chorri Palacios, d’autre joueurs font également parti de la légende du club comme le Brésilien naturalisé Péruvien Julinho meilleur buteur du championnat en 1995 mais aussi Nolberto Solano, formé au club avant de faire les beaux jours de Newcastle, Aston Villa et West Ham durant près d’une décennie en Angleterre. En 1997, le club écrit l’une de ses plus belles pages en atteignant la finale de la Libertadores après une série de match aussi émouvants les uns que les autres contre Vélez, Bolivar puis Racing Club, le Sporting Cristal se hisse en finale contre Cruzeiro. Les Péruviens gardent un précieux match nul à Lima avant de perdre sur la plus petite des marges à Belo Horizonte, manquant de peu ce qui aurait pu être le premier titre péruvien en Libertadores (une histoire qui vous est racontée dans le LOmag n°9). L’année 1997 restera à jamais gravée dans les esprits des supporters. Elle précède plusieurs années moroses.

En 2001, la première grande idole du club, Alberto Gallardo décède à seulement soixante ans des suites d’une maladie de la rate. Parallèlement le club cours toujours après un titre qui lui échappe depuis 1996. L’ossature de la Máquina Celeste est pourtant la même avec les buteurs Luis Alberto Bonnet, Julinho et le retour de l’enfant prodige, Roberto Palacios. En 2002, le Brésilien Paulo Auturi, l’homme qui avait mené Cruzeiro au titre de Libertadores en 1997, prend les rênes de l’équipe première et redonne cette fois le sourire aux supporters des Celestes en obtenant le quatorzième titre du Sporting Cristal. L’homme de cette saison se nomme Jorge Soto, l’une des pièces maitresses de cette machine. L’année 2005 marque les cinquante ans du club et les ambitions des dirigeants sont évidemment tournée vers le titre national. Cette année-là, un joueur important fait son retour dans son club de formation : Carlos Lobatón qui n’avait pas eu l’opportunité de débuter avec les pros et avait décidé de s’engager avec Sport Boys pour débuter sa carrière professionnelle en 2000. Il signe donc pour la première fois en tant que professionnel au Sporting Cristal. Il y restera les quinze saisons suivantes jusqu’à sa retraite sportive fin 2019 avec cinq titres nationaux dans ses bagages. Le club en profite également pour recruter l’Uruguayen Sergio Leal qui s’avère être précieux dans la conquête du titre. Des mains du profe Guillermo del Solar, Sporting Cristal décroche donc son quinzième titre national pour ses noces d’or se constituant déjà un joli palmarès. S’en vient alors une période de vaches maigres avec sept longues années sans titres, pas même un tournoi Apertura ou Clausura, la plus longue période de disette de l’institution celeste. Pourtant, des entraineurs de renommée se succèdent dans la maison : Jorge Sampaoli, Juan Carlos Oblitas, Victor Rivera ou encore Juan Reynoso. Tous échouent.

Raza Celeste

Les années 2010 seront celles du renouveau. Le club décide de restructurer l’institution celeste en commençant par son centre de formation pour devenir un leader dans le pays en « fabricant » ses propres joueurs. L’autre fait marquant de ce début de décade est la retraite sportive de Roberto Palacios après la saison 2011. El Chorri jouera son dernier match avec le club de sa vie le 11 février 2012 lors de la « Noche de la Raza Celeste », un jubilé organisé en son hommage. La phrase « Raza Celeste » (La race céleste) est choisi par la direction pour renforcer l’identité du club souvent décrié par ses détracteurs comme étant un club sans âme et sans véritables supporters. Alors pour renforcer cette identité, le nom du stade de San Martin de Porres est rebaptisé « Estadio Alberto Gallardo » en hommage à leur première idole. Les tribunes prennent également le nom de trois joueurs historiques : Roberto Palacios, Julio César Uribe et Alfredo Quesada. Le décor étant planté, un nouvel entraineur est nommé pour donner forme à cette identité. Un entraineur qui connait très bien la maison pour y avoir jouer dans les années soixante-dix et pour avoir obtenu les deux titres de 1979 et 1980, premier doublé du club. Il s’agit de Roberto Mosquera qui avait également assisté Sergio Markarián lors du titre de 1996. La sauce prend rapidement et le Sporting Cristal est champion la même année. Le succès est tel que certains joueurs de cette saison sortiront du lot et auront par la suite une belle carrière. Nous pensons à Luis Advincula, Yoshimar Yotún, Jorge Cazulo, Carlos Lobatón, Renzo Sheput, Irven Ávila ou encore Iván Bulos. Yoshimar Yotún sera même inclus dans le onze idéal d’Amérique.

Les années suivantes seront également riches en trophées avec l’obtention des titres en 2014, 2016 et 2018, mais le club rate le coche pour fêter ses soixante ans avec un titre en 2015 et cette défaite en finale face à Melgar. La politique centrée sur le développement des jeunes porte également ses fruits avec le défenseur Luis Abram formé au club qui sera appelé en sélection, Pedro Aquino également formé au club et qui disputera la Coupe du Monde en Russie, ainsi que l’attaquant Beto Da Silva lancé à seize ans par Mosquera qui remportera par la suite la Libertadores avec Grêmio en 2017. Cependant, la belle histoire entre Backus et le Sporting Cristal prendra fin le 19 septembre 2019 avec la vente du club à Innova Sports, une entreprise dédiée au développement du sport dans le pays. Même si le club perd son propriétaire historique, il ne tombe pas pour autant entre de mauvaises mains. Innova Sports s’investit beaucoup dans le football de jeunes en créant par exemple le tournoi international des moins de douze ans. Avec le club Celeste, il souhaite construire sur les bases solides du centre de formation et maintenir cette identité très chère acquise en plus de cinquante ans. Le Sporting Cristal continue donc de former la jeunesse péruvienne au bon football pour alimenter dans un futur proche la sélection nationale tout en dominant le championnat local. Malgré respectivement cinquante et trente ans de moins que ses illustres ainés Alianza Lima et Universitario, le Sporting Cristal a su rattraper son retard et entrer dans le gotha des clubs péruviens mais aussi sud-américains.

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.