Rocha est en même temps une ville et un département comme cela se fait beaucoup en Uruguay. Le club de football qui y a été fondé le premier août 1999 représente tous les autres clubs de la Ligue du département de Rocha, leur histoire centenaire, leurs gloires. La céleste de l'est a déjà connu en très peu de temps au sein de l'AUF la gloire et la descente, un abrégé du football uruguayen. Voici son histoire, qui remonte à bien avant 1999.

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Comme Colonia mais aussi Cerro Largo, Salto, Tacuarembó, Rivera, Rocha est resté pendant longtemps à la marge de la fédération uruguayenne de football. L'AUF est en effet pendant le XXe siècle l’apanage quasi exclusif de Montevideo, l'intérieur des terres organisant ses propres ligues de football. Le championnat national est uniquement de Montevideo, ce qui a fait sa force (l'Uruguay a l'un des premiers championnats au monde et l'un des plus réguliers puisqu'il compte déjà cent-seize éditions terminées, en s'arrêtant à 2019). L'intérieur des terres s'est accommodé de cette situation, au vu des distances et des difficultés pour y voyager, à une époque, la première moitié du XXe siècle, où l'on fait les voyages en diligence ou en sulky, en fonction de ses moyens. Cela n'a pas empêché le football de se développer, dans tous les départements du pays, et d'avoir une importance primordiale pour le football uruguayen dès ses premiers titres comme on l'a vu avec Suppici et Plaza Colonia. Du côté de la côte atlantique, à l'Est de Montevideo et vers le Brésil, le département de Rocha ne fait pas exception à la règle. Le football y était arrivé par un employé de l'état muté en province en 1906, un certain Ernesto Fariña, qui fait diffuser une annonce dans le quotidien local « La Democracia » le 17 mars 1906, cité dans la Revista Historica Rochense et indiquant : « À la jeunesse de Rocha : vous êtes invités à la réunion qui aura lieu demain 18 à quatre heure de l'après-midi au café du Globe, pour échanger des idées au sujet du jeu FOOT-BALL et du ROCHA FOOT-BALL CLUB ». La ligue locale, fondée quelques années plus tard, regroupe à son origine seulement les clubs de la ville de Rocha, dont les noms résonnent d'influences européennes, le Racing, le Swindon-Town, le Nacional, le Reformer, le Vaterland.

Dès 1927 une Confédération du football de l'Est est organisée, regroupant les départements de l'Est du pays, les clubs de Rocha mais aussi les ligues des villes du département, de Chuy à La Coronilla en passant par Castillos, et des départements alentours comme Cerro Largo ou Maldonado. À Rocha, le football s'est déjà développé en dehors de la capitale du département. Selon Néstor Hugo Cabrera, auteur d'une histoire du football de Chuy et de Rocha, le football arrive par exemple à Chuy, ville de la frontière située à cent-trente kilomètres de la capitale Rocha, dans les valises d'un autre employé public chargé du relais de télégraphe local : Mario de San Vicente. Ce dernier s'installe en 1919 avec donc une petite valise, un ballon, et l'envie de continuer de vivre le football comme à Montevideo. Rapidement, le beau jeu est adopté par toute la ville. En 1933 sont créés un Nacional de Chuy et un Peñarol de Chuy, les deux étant fondés le 22 juin 1933, après que les habitants du village ont écouté un clásico retransmis à la radio, et qu'ils ont décidé de poursuivre la lutte sur leur propre terrain. En 1941 est fondé le Club San Vicente de Chuy, du nom de l'homme ayant apporté le football dans ces contrées. En 1942 est donc logiquement organisée la Ligue de Chuy, qui regroupe les quatre clubs de la ville, rapidement étendue à d'autres clubs jusqu'à créer deux divisions dans cette ville de quelques milliers d'âmes. Le football s'organise donc en ligue de villes, puis en ligue départementale, en Confédérations, et à partir du 14 juillet 1946, en une ligue nationale, l'OFI pour Organización del Fútbol del Interior, qui chapeaute le tout. Grâce aux progrès des transports, commence à s'organiser des championnats entre équipes locales puis des championnats entre sélections de chaque département. Le tout, hors de l'AUF, hors de la FIFA. centralpalestino

L'OFI, l'autre football uruguayen

Un prédécesseur : Central Palestino FC

À partir de 1951, Rocha (en tant que département) est souvent champion de la coupe des sélections de la confédération de l'Est (devant Maldonado ou Cerro Largo). L'équipe remporte aussi deux fois la Coupe Nationale des sélections, en 1954 et en 1984. Pour ce qui est des clubs, le vainqueur de la ligue départementale est invité à participer à une Coupe regroupant tous les vainqueurs nationaux des ligues départementales. Le Palermo de Rocha remporte le titre national en 1989, et, en 1991, le Central Palestino de Chuy arrive en finale mais s'incline au bout de trois matchs contre le FRITSA de Tacuarembó (équipe sponsorisée par une entreprise frigorifique), avant de perdre à nouveau en 1994 contre Porongos. Le Palestino de Chuy est fondé en 1987 par la forte communauté palestinienne existant dans cette ville commerçante de la frontière ou de nombreuses affaires se font sur le taux de change ou la détaxation de produits. Le club remporte à de nombreuses reprises la ligue de Chuy (devant les Peñarol et Nacional déjà mentionnés), puis parvient à remporter la ligue de Rocha 1990, et parvient à se hisser en finale de la ligue nationale des clubs en 1991 et 1994.

Le club participe en plus en 1993 et 1994 à l'une des premières tentatives de rapprochement entre l'AUF et l'OFI, le Torneo Integración, organisé en 1993 et 1994. Les quatre clubs demi-finalistes de la Coupe des clubs de l'OFI sont alors invités par l'AUF à jouer la Liguilla qualificative pour la Libertadores. Ce n'est pas la première tentative d'intégrer des clubs de l'OFI à un tournoi comprenant les équipes AUF. Ce fut le cas avec la Copa Artigas dans les années soixante, ou la Liga Mayor durant les années soixante-dix, mais aucune équipe de Rocha n'a jamais participé à ces compétitions auparavant. La participation du Palestino de Chuy est donc la première d'une équipe de Rocha a un tournoi officiel de l'AUF. Elle le fait dans son maillot aux couleurs du drapeau palestinien, avec cousu dessus, un logo de la marque de liqueur Grand Marnier (zone de Duty free oblige). Incroyablement, l'équipe est très compétitive, avec l'argent du commerce organisé à la frontière par « les turcs », l'équipe entraînée par Jorge Méndez comprend des joueurs comme Daniel Carreño (ancien du Racing Club de Lens, champion du monde des clubs avec Nacional en 1988), Jorge Giordano, Sergio Recoba... Cerro se déplace d'abord à Chuy, et obtient le match nul un partout. Au retour, Chuy arrache également le nul au Tróccoli, mais s'incline aux tirs au but. Malgré tout le match est une fête, trente mille pétards sont lancés dans le ciel du quartier du Cerro. En 1994, l'équipe s'incline deux fois contre River Plate au même stade de la compétition et, malheureusement, dès la fin 1994, une réforme monétaire au Brésil ruine les commerçants de la frontière côté Brésil, où de nombreux négociants avaient leur enseigne. Le Central Palestino disparaît définitivement à la fin des années quatre-vingt-dix.

Rocha Fútbol Club

À partir de 1995-1996, la démarche de l'AUF visant à intégrer des clubs de l'intérieur s’accélère. En 1995, le Deportivo Maldonado, anciennement enregistré auprès de l'OFI, intègre la deuxième division de l'AUF et Porongos, équipe de Trinidad, département de Flores, se qualifie grâce à la Copa Integración à la Copa CONMEBOL 1996. Pour la première fois, une équipe hors AUF se qualifie à un coupe continentale. En 1997, c'est le club Frontera de Rivera qui est intégré à la deuxième division, puis le Bella Vista de Paysandù et le Tacuarembó Futbol Club en 1999. L'AUF cherche à organiser ce mouvement par ses championnats et propose des accords aux ligues départementales pour qu'ils créent une nouvelle équipe, exclusivement pour jouer dans les championnats AUF, qui gagnera dans ses débuts le droit de ne pas descendre en troisième division (pour conserver, malgré les difficultés initiales, le statut professionnel). En 1999, le 1er août, les clubs du département de Rocha se réunissent pour valider la création du Rocha Fútbol Club. Sont présents une trentaine de club, dont les clubs de Rocha capitale, du vieux River Plate au Palermo mais aussi les autres clubs du département dont les clubs de Chuy, San Vicente, Peñarol et Nacional entre autres. L'accord comprend notamment un certain nombre de matchs à jouer dans les villes de l'intérieur du département, dont le stade Samuel Priliac de Chuy. En novembre 1999, Eugenio Figueredo, président de l'AUF, accepte l'affiliation de Rocha FC à l'AUF.

La première grande recrue du club est un certain Juan Ramón Carrasco qui signe à quarante-quatre ans, et après une large carrière qui l'a vu passer par Nacional ou Peñarol et Uruguay et River Plate en Argentine. Carrasco signe en tant qu'entraîneur-joueur. Comme convenu dans l'accord avec l'AUF, l'équipe participe immédiatement à la première division. Avec notamment Sergio Recoba, ancien du Central Palestino de Chuy, Rocha termine d'abord quatorzième sur dix-huit équipes en 2000, avant de terminer avant dernier en 2001 et de descendre, déjà, en deuxième division. Carrasco quitte le club en n'ayant gagné que neuf des quarante-sept rencontres disputés avec l'équipe. Rocha repart de la B, avec uniquement des joueurs du département, et un nouveau président, l'ancien également du Palestino, Jesus Ramos. Le club obtient le retour dans l'élite le 27 novembre 2003, grâce à un but de Sergio Recoba et réussit à se maintenir en 2004. En 2005, lors du premier semestre et d'un tournoi spécial (puisqu'il ne dure que six mois pour changer le calendrier en mode européen), Rocha termine cinquième, perdant le dernier match contre Nacional sur une action plus que litigieuse, à la 95e, qui fera que Defensor refusera de jouer la finale contre Nacional. L'année étant tronquée, les qualifiés pour la Copa Libertadores 2006 seront le vainqueur de ce tournoi spécial (Nacional) mais aussi le vainqueur de l'Aperturavache

Le titre et la vache

Pour l'Apertura qui suit, fin 2005, le club ne recrute aucun joueur et voit même partir à la retraite l'un de ses joueurs historiques, Sergio Recoba. Le club réussit un magnifique tournoi avec de nombreuses victoires qui lui permettent d'être leader lors de la onzième journée pour la réception de leur principale menace, Nacional, au Mario Sobrero. Rocha mène deux buts à rien à trente minutes de la fin, avec des buts de José Cardoso et Mauro Aldave, face au Nacional d'un petit jeune nommé Luis Suárez. Mais l'expérience de Nacional parle et le club bolso marque quatre buts en vingt minutes pour, et on le pense alors, rompre le rêve de Rocha. Mais Nacional ne confirme pas lors des matchs suivants, alors que Rocha se reprend et se retrouve avec la possibilité d'être champion du tournoi Apertura à une journée de la fin du tournoi, si l'équipe domine Rampla Juniors, et que Nacional ne gagne pas contre Miramar Misiones. Le Mario Sobrero se remplit de cinq mille supporters et grâce à deux buts de Luis Magureguy. Nacional faisant match nul à cause d'un but de Miramar Misiones de Sebastian Papelito Fernández (fan absolu de Nacional), Rocha emporte le trophée, une première pour un club de l'intérieur du pays pour une coupe de l'AUF. Rocha peut chavirer, en plus de la coupe, l'équipe pourra participer à la Copa Libertadores 2006. La mascotte de l'équipe, une vache, fait deux fois le tour du stade avec les joueurs, devenant l'un des tours d'honneur les plus atypiques de l'histoire. Quelques jours plus tard, l'équipe va jouer le dernier match du championnat contre Peñarol, match nul quatre buts partout, dont trois buts du meilleur buteur du championnat, José Cardoso. L'équipe de Rocha a fait le déplacement de deux cents kilomètres à Montevideo avec sa vache.

En 2006, pour la première fois de l'histoire, une équipe de l'intérieur participe à la Libertadores. Cerro Largo fera de même en 2020, mais uniquement en tour préliminaire alors que Rocha participe à la phase de groupes, un groupe composé de Vélez, Liga de Quito et Universitario. Malgré quelques bons matchs dont une victoire au Campus de Maldonado (le Sobrero n'étant pas homologué par la CONMEBOL) sur Liga de Quito et deux matchs nuls contre Universitario, Rocha ne termine que troisième et ne passe donc pas à la phase à élimination directe. En même temps, l'équipe souffre en championnat n'étant pas armée pour faire face aux deux compétitions et ne termine que quinzième sur dix-sept en championnat lors du Clausura.

Malgré tout, grâce à l'Apertura remporté, Rocha peut participer à des finales contre le Nacional de Martín Lasarte. Comme lors de l'Apertura, Nacional emporte les deux matchs et devient logiquement champion d'Uruguay 2005-2006. Rocha termine malgré tout une saison historique, avec un premier titre pour une équipe de l'intérieur, un titre qui ne sera qu'égalé par Plaza Colonia lors du Clausura 2016. Dès l'année suivante, et après un match d'appui contre Progreso, Rocha redescend en deuxième division. L'équipe passe ensuite neuf saisons au sein de la deuxième division, avant de descendre en troisième division, au sein de la Segunda División amateur. Alors que cette division ne devait être que pour les clubs de Montevideo et Canelones (département de la banlieue de Montevideo qui n'est pas considéré comme l'intérieur), Rocha obtient une dérogation pour jouer et espérer remonter en deuxième division rapidement, au statut professionnel. Après trois saisons, en 2019, l'équipe remporte finalement cette division et obtient son billet pour remonter en deuxième division professionnelle. Rocha est de retour.

La modernité

Depuis quelques années Rocha semble revivre. Alors que les ligues locales sont de plus en plus abandonnées, avec moins de clubs amateurs qu'avant au sein des ligues des petites villes, le club du département a lui retrouvé une certaine stabilité, continuant de former beaucoup de joueurs locaux, modernisant son stade en y ajoutant un système d'illumination. Son gardien, Martín Barlocco, quarante-deux ans, a fait parler de lui en Amérique du Sud l'année dernière pour une série de quatre arrêts d'affilé qui a fait le tour du web. Le stade était prêt pour la deuxième division, après un match de gala et de ré-inauguration joué en février 2020 contre Danubio, un match qui a permis à la télé locale, Télé 9, de Rocha, de retrouver des interviews des champions des tournois de sélections de l'OFI de 1954 ou 1984. Toute une histoire.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba