Ce mardi, l’Asociación del Fútbol Argentino a réélu Claudio Fabián Tapia à sa tête. Et avec cette réélection est également entériné le nouveau championnat argentin.

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C’est un petit moment d’histoire qui s’est déroulé ce mardi en Argentine. Pour la première fois en près de quatre décennies, un président de sa fédération a été réélu et ne s’appelle pas Julio Humberto Grondona. Claudio Tapia, en poste depuis 2017, va donc poursuivre son aventure à la tête de la fédération jusqu’en 2025. Loin encore des 35 ans de Don Julio, mais pas si anodin quand on connait l’héritage laissé par le parrain du football argentin sur Tapia.

Héritier de Grondona

Claudio Fabián Tapia, Chiqui pour les intimes, arrive à la tête d’une fédération qui vient de passer deux ans de troubles. Après le décès de son parrain, l’AFA se retrouve présidée par Luis Segura, accompagné de Daniel Angelici, alors président de Boca. Le duo sera impliqué dans quelques jolis scandales à l’argentine, et saute après l’incroyable mascarade que seront les élections de 2015. Devant un tel bazar, la FIFA mettra alors en place un comité de normalisation en 2016 qui mettra une bonne année pour organiser de nouvelles élections, celles où va donc surgir Tapia. Reste qu’il n’est pas aussi inconnu que certains veulent le faire croire. Ancien joueur de Barracas Central et de Dock Sud, Chiqui était devenu président de son petit club de troisième division, donnant son nom au stade. Cela vous rappelle quelque chose ? Julio Grondona et son Arsenal (qu’il avait pour sa part créé). Ce n’est pas tant un hasard.

Car Chiqui Tapia n’a jamais caché son respect pour l’ancien patron, celui dont il se sent « privilégié d’avoir été à ses côtés, d’avoir appris tant de choses » et qui « a fait tant de bien au football argentin ». Ce supporter affirmé de Boca, numéro deux de la liste Segura lors de la mascarade de 2015, s’entoure alors du président de l’institution xeneize, Daniel Angelici et de son beau-père, proche de Don Julio et président d’Independiente, Hugo Moyano. Le tout avec l’ombre de Mauricio Macri, ancien président de Boca devenu celui de la République, son ancien patron. C’est ainsi qu’après la mise à mort de Fútbol para Todos sera créée la Superliga (SAF), sorte de LFP sauce argentine, entité indépendante de la fédération voulu notamment par Marcelo Tinelli (président de San Lorenzo) et Rodolfo d’Onofrio (président de River) dans le but prendre le contrôle du football professionnel loin des tourments de la fédé et de sortir de l’héritage de Don Julio, notamment en mettant fin à cet improbable première division à trente (lire Superliga : l'Argentine vers une scission ?). L’affaire n’aura donc duré que trois ans, le temps pour Tapia de reprendre les commandes.

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Marche arrière

En septembre 2015, Rodolfo D’Onofrio envoie un message fort : « il faudrait poser une bombe à l’AFA, la faire voler en éclat et recommencer à zéro ». Quatre ans plus tard, son River Plate est le seul des quarante-trois représentants à ne pas voter en faveur de la modification des statuts permettant aux membres du comité exécutif de pouvoir briguer trois mandats et non deux. Six mois plus tard, D’Onofrio, l’un des plus farouches opposants à la fédération (les théoriciens du complot y voient l’une des raisons à l’improbable perte du titre de River en mars dernier), adversaire politique de Tapia, est…vice-président de la nouvelle AFA. En bon héritier de Grondona ou, pour les amateurs de football brésilien, suivant la même logique que João Havelange, Chiqui Tapia a profité des dissentions de fin 2019 pour asseoir son pouvoir. Comment ? En offrant des postes à ses principaux adversaires. Début 2020, il a donc discuté avec D’Onofrio pour lui offrir la vice-présidence en plus d’une place dans le comité directeur de la nouvelle ligue professionnelle (nous allons y revenir). Et ainsi gagné son soutien. Même stratégie avec Marcelo Tinelli, l’adversaire des élections 2015, un temps allié de D’Onofrio dans la lutte contre l’empire Macri, nommé président de la Superliga en mars dernier. Il sera désormais à la tête de la Liga Profesional de Fútbol (LPF), la « nouvelle » entité qui va gérer le championnat mais qui n’a pas grand-chose de nouveau.

La décision de mettre fin au projet de Superliga a été prise fin 2019 lors d’un dîner organisé par Tapia chez lui avec une douzaine de présidents (dont Tinelli) auquel D’Onofrio n’avait pas été convié. Le constat a donc été que ce que l’entité indépendante devait permettre (meilleure négociation des droits commerciaux et TV, meilleure répartition des gains notamment), n’a pas fonctionné. Alors, l’idée a été de faire marche arrière, revenir sous le giron de l’AFA. Le siège de la nouvelle entité sera donc dans les locaux de calle Viamonte, elle sera présidé par Tinelli (l’ancien rival de 2015) et aura un comité directeur composé d’Hugo Moyano (Independiente), Víctor Blanco (Racing), Rodolfo D Onofrio (River) et Jorge Ameal (Boca). Les cinq grands sont là, tout le monde est servi. La LPF sera donc décisionnaire sur les questions de droits commerciaux et TV et l’organisation du tournoi. En sachant que son comité directeur est composé uniquement de membres du board de l’AFA (trois vice-présidents + le secrétaire général), l’Argentine crée ainsi la notion d’« indépendance sous le protectorat de l’AFA ».

Quels changements sur le terrain ? Premièrement, on oublie l’idée de se calquer sur le calendrier européen, l’une des nouveautés de la SAF. La première division se jouera entre janvier et décembre, comme autrefois, ce qui implique qu’en cas de retour au football en 2020, un tournoi de transition sera créé. Les formats ne sont évidemment pas encore connus. Ce que l’on sait tout de même c’est que le nombre de participants ne va faire qu’augmenter au cours des prochaines saisons. Comme annoncé, il n’y aura pas de relégations cette année, ni en 2021. On va donc débuter à vingt-six l’an prochain pour jouer à vingt-huit en 2022. Mais à l’issue de l’édition 2022, juste avant la Coupe du Monde qatarie, on recourra aux promedios (moyenne de points pris par match) lors des trois derniers tournois (2019/20, 2021 et 2022). Les deux derniers de ce classement seront alors relégués. On se retrouve ainsi avec le retour d’un championnat à vingt-huit après quelques saisons passées à essayer de revenir à vingt (à l’horizon 2020 à l’époque). L’occasion de se rappeler que la Superliga avait aussi été créée dans l’idée de mettre fin au championnat à trente, que l’on pensait être alors le dernier héritage de Grondona. Il semble que non.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.