Ce week-end, près de trois ans après son titre et une saison après une défaite sur le fil au même stade, Flamengo peut de nouveau renouer avec son histoire à l'occasion de la finale de la Copa Libertadores 2022.
Dans son livre Os 11 maiores camisas 10 do futebol brasileira, Marcelo Barreto revient sur le moment fondateur de la période dorée de Flamengo, en 1978. « Encore aujourd’hui, certains disent que la génération qui a donné naissance à l’expression “Les cracks, Flamengo les fait à la maison” n’a pas été démantelée seulement grâce au championnat carioca 1978, remporté avec un but de la tête du défenseur central Rondinelli à la 86e minute du match décisif contre Vasco – dans une action où Zico, sous les sifflets des supporters, est allé tirer le corner au lieu d’aller dans la surface pour tenter de marquer ». Zico, qui prend dix-sept centimètres et treize kilogrammes entre 1969 et 1974, est le symbole de cette génération du Flamengo, qui s’appuie alors sur son centre de formation pour fournir l’équipe première. Ainsi, pour le match décisif de la finale de la Copa Libertadores 1981, seulement trois titulaires ne sont pas passés par les équipes de jeunes du club rubro-negro.
L’année 1978 marque les débuts victorieux du club qui décrochera la Copa Libertadores trois ans plus tard. En 1979, Flamengo remporte le championnat carioca et le championnat carioca especial, s’offrant ainsi son premier tricampeonato depuis 1955. Flamengo confirme sur la scène nationale en décrochant en 1980 le premier Brasileirão de son histoire après une finale tendue face à l’Atlético Mineiro de Reinaldo. Flamengo participe donc à la Copa Libertadores l’année suivante, une première pour le club carioca, qui devient ainsi le quatorzième club brésilien à participer à l’épreuve-reine d’Amérique du Sud. Flamengo débute 1981 par des changements, le président Márcio Braga, qui avait placé la formation au cœur de sa politique, est remplacé par Antônio Augusto Dunshee de Abranches. L’entraîneur Cláudio Coutinho quitte également le club après avoir permis à l’équipe de grandir tactiquement et physiquement. Surnommé Capitão, son grade à l’armée, Coutinho a également été préparateur physique de la Seleção lors de la Coupe du Monde 1970 puis sélectionneur pour la Coupe du Monde 1978. Coutinho est remplacé au Flamengo par Paulo César Carpegiani, qui connaît à trente-deux ans sa première expérience d’entraîneur. Carpegiani connaît très bien le groupe pour avoir joué au club en tant que milieu de terrain entre 1977 et 1981, et reprend les préceptes de Cláudio Coutinho avec un jeu à base de passes courtes et un apport offensif des défenseurs latéraux.
Polémiques avant la finale
La phase de groupes de la Copa Libertadores 1981 consiste en cinq groupes de quatre équipes. À l’époque, deux équipes de chaque pays sont qualifiées et les équipes d’un même pays sont dans le même groupe. Flamengo hérite du groupe 3 en compagnie donc de l’Atlético Mineiro et des clubs paraguayens du Cerro Porteño et Olimpia. Flamengo bat deux fois le Cerro Porteño et fait quatre matchs nuls dans les autres rencontres, terminant ainsi avec le même bilan que l’Atlético Mineiro. Un match d’appui, disputé à Goiânia est donc nécessaire pour départager les deux équipes. La finale du Brasileirão 1980 avait été bouillante, avec trois expulsions côté Atlético Mineiro, les retrouvailles en 1981 seront explosives. Le match bascule rapidement dans la violence, l’arbitre José Roberto Wright ne parvient pas à calmer les esprits et expulse coup sur coup Reinaldo et Éder. Après de nombreuses protestations, l’Atlético Mineiro perd deux autres joueurs sur carton rouge, et même un cinquième lorsque João Leite tente vainement de simuler une blessure. Le match n’ira même pas au terme de la première mi-temps, l’Atlético Mineiro perd sur forfait dans un match qui continue d’alimenter la polémique au Brésil.
Flamengo se qualifie ainsi pour la demi-finale, jouée dans un groupe de trois équipes, plutôt abordable puisque Famengo retrouve le Deportivo Cali et Jorge Wilstermann. Quatre matchs, quatre victoires, Flamengo se qualifie tranquillement pour la finale face à un club fondé seulement quatre ans plus tôt à Calama, le Club de Deportes Cobreloa. Le club chilien de Cobreloa croît rapidement grâce à l’appui de la CODELCO, qui exploite la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde. Avec des joueurs comme le gardien Óscar Wirth et les défenseurs Mario Soto et Enzo Escobar, tous trois sélectionnés à la Coupe du Monde 1982, Cobreloa atteint à l’image de Flamengo la finale pour sa première participation à la Copa Libertadores. Comme Flamengo, Cobreloa n’a pas perdu un seul match au cours du tournoi avec six victoires et quatre matchs nuls. La finale s’ouvre sur une polémique, le président de Cobreloa, Sérgio Stoppel García, propose au Flamengo de délocaliser le match au stade Nacional de Santiago afin de faire une meilleure recette à la billetterie, en échange de « recevoir » au match retour, le changement de stade évitant en effet au Flamengo un déplacement à Calama et ses 2 800 mètres d’altitude. Dans son livre 1981, O ano rubro-negro, Eduardo Monsanto écrit que « seulement la pression des supporters et de la presse a forcé le président de Cobreloa à revenir sur sa décision de jouer à Santiago. Le recul des Chiliens a fait que le vice-président de Flamengo, Adonira Araújo, a menacé de changer le match du Maracanã à Gávea en représailles ». La CONMEBOL maintient cependant le match à Santiago, jugeant le stade de Calama trop petit pour accueillir un tel événement.
La finale de la Copa Libertadores 1981 débute donc au Maracanã, avec les craques de Flamengo. Les quatre défenseurs sont formés au club et trois seront internationaux sous le maillot brésilien : Leandro, Júnior et Carlos Mozer. Dans les buts, Raul Plassmann fait figure de joueur le plus expérimenté du groupe à trente-sept ans et une Copa Libertadores à son palmarès, en 1976 avec Cruzeiro. Le milieu de terrain répond parfaitement à l’expression « Craque o Flamengo fez em casa » avec trois joueurs formés au club et qui forment le plus beau milieu de terrain de l’histoire du club : Andrade, Adílio et Zico. L’attaque est composée de Lico, ainsi que Tita et Nunes, deux joueurs passés par le centre de formation avant de revenir au Flamengo pour s’imposer avec l’équipe première. Devant 93 985 spectateurs au Maracanã, Zico ouvre le score après seulement douze minutes de jeu, profitant du bon travail d’Adílio. « On échangeait toujours de postes » se souvenait Adílio pour le livre d’Eduardo Monsanto. « Zico était bien marqué, il venait derrière pour faire ce que je faisais, et je faisais ce qu’il faisait. En un rien de temps, il m’a donné le ballon, j’ai trouvé un moyen de lui rendre en pleine course pour qu’il marque. J’ai fait une petite protection, ce qu’on apprend au futsal quand on est enfant, ça a éliminé deux défenseurs, il a tiré et marqué ». Zico inscrit son huitième but dans la compétition et bientôt son neuvième, prenant à contrepied Wirth sur un penalty provoqué par Lico. En seconde période, Flamengo est moins dangereux et Lico est impliqué dans un nouveau penalty, cette fois contre Flamengo. Merello réduit l’écart, mais c’est bien Flamengo qui remporte ce match aller, obligeant Cobreloa à l’emporter au retour.
La violence au match retour
Dans son livre 1981, O ano rubro-negro, Eduardo Monsanto revient sur le match retour, au Chili. « Flamengo est entré sur le terrain avec son deuxième jeu de maillots. Ces maillots blancs qui pour certains allaient être tachés de sang tout au long du match. Le son puissant et strident d’une sirène participait à l’atmosphère hostile créée au stade Nacional, rempli de 61 721 spectateurs. Dans les tribunes, les supporters des principales équipes de la capitale chilienne s’unissaient avec des banderoles de soutien à Cobreloa, qui en quatre ans d’histoire n’avait encore aucune rivalité avec les grands clubs du pays. Le général Pinochet était également au stade Nacional. Cette fois, pour supporter ». Le stade Nacional de Santiago a en effet été utilisé après le coup d’État militaire de 1973 comme lieu de concentration où les opposants politiques sont torturés et assassinés. Huit ans plus tard, les joueurs du Flamengo sont eux menacés par les policiers armés de mitraillettes. L’équipe de Cobreloa est inférieure techniquement et applique sa tactique déjà utilisée à domicile au cours de cette Copa Libertadores : intimider physiquement l’adversaire. À la 20e minute, le capitaine Mario Soto tacle violemment Nunes et frappe Adílio, lui ouvrant l’arcade. Un geste qui ne sera pas puni par l’arbitre uruguayen Ramón Barreto alors que Soto était armé d’une pierre selon Adílio. « C’était une grosse pierre, plus ou moins de la taille d’un citron. Quand il y avait un corner, on voyait la pierre dans sa main. Et l’arbitre le voyait ! J’allais me plaindre et il disait : “Rends les coups !” Il voulait que je rende les coups ! Il était acheté, on va dire ça comme ça. La marque de la pierre est encore visible sur mon sourcil aujourd’hui ». Cinq minutes plus tard, Soto atteint cette fois à l’œil Lico, qui est obligé d’être remplacé. Les joueurs de Cobreloa multiplient les violentes fautes, avec une explication simple selon Leandro. « Ils ont joué dopés, c’est sûr et certain. Ils bavaient, ils avaient les yeux écarquillés ». Flamengo est impressionné et attend le match nul en seconde période. Le club carioca n’est pas non plus aidé par l’arbitrage, Zico étant signalé hors-jeu sur un ballon en profondeur alors qu’il est cinq mètres devant les défenseurs au départ du ballon. À douze minutes de la fin du match, un coup franc puissant de Merello est dévié par Leandro et termine sa course au fond des filets. Cobreloa vient d’arracher un match d’appui dans la violence et le sang.
Sacré au Centenario
Le match d’appui a lieu seulement trois jours plus tard au Centenario de Montevideo. Les organismes sont encore marqués, Júnior a toujours la marque des crampons de Puebla sur la cuisse. Lico est obligé de déclarer forfait, tout comme le défenseur central Figueiredo. « Formé au club, passionné par Flamengo, il n’arrivait pas à croire qu’il était forfait au moment le plus important de la compétition. Pendant une heure, Figueiredo a pleuré, inconsolable. L’option à son poste était Marinho, qui était revenu récemment d’une blessure et était encore loin de sa forme idéale » écrit Eduardo Monsanto. Dans la presse, les joueurs de Cobreloa continuent leurs provocations, comme se souvient Andrade. « Ils parlaient dans la presse, en disant que les Brésiliens avaient peur, qu’ils ne mettaient pas le pied dans les contacts. Ils disaient que leur équipe était plus solide. La semaine avant le match a été une semaine de provocations. Ils savaient qu’ils avaient une équipe plus faible que la nôtre alors ils ont essayé d’attaquer le côté psychologique et affectif ». Le buteur du match aller, Merello, assure ainsi que l’équipe sera formée par onze joueurs avec l’esprit d’Obdulio Varela, le bourreau du Brésil lors de la Coupe du Monde 1950. Les joueurs les plus expérimentés craignent que les jeunes joueurs ne se fassent déborder par l’émotion. Zico réunit alors l’équipe pour dire que Flamengo sera le perdant en cherchant à se venger de la violence du match au Chili, que Flamengo a la meilleure équipe et gagnera en jouant seulement au football.
Zico joint le geste à la parole puisque dès la 13e minute, il reprend en une touche un ballon qui traînait dans la surface. Les deux équipes sont bientôt réduites à dix, Alarcón est expulsé pour un violent tacle sur Júnior alors qu’Andrade vient venger son coéquipier et connaît la première expulsion de sa carrière, obligeant Leandro à se démultiplier sur le terrain. « Après l’expulsion d’Andrade, je suis monté au milieu de terrain. J’ai dû courir comme un forcené. Carpegiani a dit que c’était peut-être le meilleur match de ma carrière, que Zico et moi avions été les meilleurs de ce match ». Flamengo domine le match, sans parvenir à marquer le but qui le mettrait à l’abri, jusqu’à la 79e minute. Lancé en profondeur par Adílio, Tita oblige Óscar Wirth à une intervention de la main en dehors de sa surface. Coup franc. Zico prend deux pas d’élan, tire du pied droit et laisse Wirth sans réaction. 2-0 pour Flamengo, à dix minutes de la fin. Le premier titre continental est de plus en plus proche, Flamengo peut désormais exercer sa vengeance sur Soto. « C’était décidé avant le match. C’était un coup que Carpegiani a monté avec mon approbation » se souvenait le président du club, Antônio Augusto Dunshee de Abranches. Carpegiani fait entrer Anselmo avec une consigne simple : trouver Mario Soto et le frapper. Alors que Cobreloa attaque, Anselmo identifie Mario Soto. Le photographe du Jornal do Brasil, Almir Veiga, trouve le changement étrange et ne quitte pas des yeux Anselmo, qui donne un seul coup à Soto, mais suffisant pour le mettre KO. Anselmo est expulsé en même temps que Jiménez et Soto mais devient une idole du club. « Le Brésil entier voulait frapper le mec pour tout ce qu’il avait fait » rappelle Zico. Avec cette fin chaotique, Flamengo décroche la Copa Libertadores au Centenario et devient le premier club depuis Estudiantes en 1968 à décrocher le titre pour sa première participation au tournoi. Zico marque deux doublés en finale, termine meilleur buteur de la Libertadores avec onze buts et entre un peu plus dans la légende du club, mais les festivités seront ensuite perturbées par le décès brutal de l’ancien entraîneur Cláudio Coutinho dans une noyade. Coutinho avait été l’idéalisateur de cette équipe et pour les joueurs, dirigeants et supporters, ce succès lui appartient aussi. L’année 1981 reste la meilleure du club, devant l’année 2019 et le fabuleux doublé Libertadores – Brasileirão. En 2022, déjà vainqueur de la Coupe du Brésil, Flamengo a les moyens de réaliser une nouvelle saison historique.