Il est une légende. Ancien meneur de jeu du club, depuis son retour sur le banc il a transformé River en machine à victoires. Quelques mois avant de prendre ses fonctions, Marcelo Gallardo avait accordé un long entretien à El Grafico. L’occasion de mieux connaître l’homme à la tête de la nouvelle révolution River.

Est-il vrai que tu n’aimais pas jouer au foot quand tu étais enfant ?

En partie. Je vivais à Merlo et ma famille était très foot. J’accompagnais toujours mon père à ses matchs. Le premier cadeau qu’on m’a fait était un ballon mais jusqu’à 8-9 ans, je n’en éprouvais pas le désir, je préférais jouer avec des cerfs-volants. Je crois que ce qui a tout changé c’est quand une fois, à six ans, mon cousin m’a pris dans son équipe de foot pour jouer. Ils m’ont envoyé deux ballons dans la tête, je ne comprenais rien, j’allais dans le sens opposé au jeu et ils m’ont viré au bout de 5 minutes. Ca a mis mon cousin dans l’embarras. Deux ans plus tard, la passion du foot s’est éveillée en moi et je n’ai alors plus fait que jouer avec un ballon.

Quand tu jouais au foot, tu pensais que tu pourrais alors changer la situation économique de ta famille ?

Tu sais que jamais cela ne m’a traversé l’esprit ? Si nous étions de classe moyenne basse, à la maison, nous vivions heureux et n’avons jamais ressenti le besoin. Mes parents m’ont toujours accompagné de manière inconditionnelle. Mon père aimait le football, l’aime toujours et n’a jamais fait peser quelque pression sur mes épaules.

De quelles équipes tes enfants sont-ils hinchas ?

Il y a peu de temps est sorti sur internet une photo d’un d’entre eux avec un sac à dos de Boca. C’était une photo truquée parce que le meilleur ami de Matías est supporter de Boca et ils sont toujours ensemble. Nahuel et Santino sont fous de River. Matías est encore indécis. Son parrain voudrait qu’il aime Tigre, mon beau père est Bostero et essaye de faire son travail alors que les frères aimeraient le rendre fou de River. Matías a une personnalité à part, il ne se laisse influencer par personne, mais son cœur bat pour River.

Ton fils ainé s’appelle Nahuel, comme le club de baby futbol dans lequel tu as joué ?

Au moment de chercher un prénom, j’ai regardé du côté indien et j’ai aimé ce que représentait ce prénom. En Mapuche, Nahuel signifie Tigre. La coïncidence veut que c’était le nom de mon club de baby futbol à Merlo, cela faisait un lien avec mon passé.

Il joue avec les jeunes de River, tu le vois y arriver ?

Il peut, il manie bien le ballon. Nahuel et Matías sont gauchers, Santino, droitier. Mais je ne veux générer aucune attente envers eux, je leur dis : tant que vous vous amusez, tout va bien. Le jour où le football deviendra une obligation, alors il faudra arrêter. Le plus important est que Nahuel, qui joue à River, ressente de la passion pour ce qu’il fait et non parce qu’on le lui a dit. Nahuel est toujours allé au stade et attirait l’attention car à 3 ans, il ne voulait pas s’en aller tant que le match n’était pas terminé. Ce n’est pas normal pour un enfant de cet âge. Le temps dira ce qu’il deviendra mais aujourd’hui, il joue avec la Septima de River aux côtés du fils Burruchaga et du dernier de Simeone. L’an passé, ils ont été champions sous la direction de Lavallén.

Tu mets la pression à Lavallé qui fut l’un de tes coéquipiers ?

Jamais. Je ne vais pas aux entraînements. J’assiste aux matchs en tant que supporter. Nahuel aime que je vienne et j’aime passer ce temps juste pour l’accompagner. Je l’emmène tous les jours à River puisqu’il s’entraîne et étudie à l’Institut. Il passe toutes ses journées au club, de 8 heures du matin à 18 heures.

Tu as demandé à Lavallén ce qu’il pense de ton fils ?

Non, je ne veux mettre aucune forme de pression sur l’entraîneur ni sur mon fils. Quand mon genou me le permet, je vois Pablo sur les terrains quand on joue le lundi avec les séniors. Mais c’est rare parce que je souffre beaucoup avec ces blessures. Quand je joue, j’essaie de jouer dans de petits espaces pour m’éviter d’avoir à trop courir.

Rien ne change donc ?

Au contraire ! J’aimais courir et m’entraîner. C’est faux cette croyance générale qui veut que les 10 n’aiment ni courir ni s’entraîner.

J’imagine que Nahuel n’a pas eu à dire à l’entraîneur qui devait lui faire passer son essai qu’il l’avait oublié ?

C’est en référence à ce qui m’est arrivé le jour de mon essai à River ? Je ne regarde pas dans le passé mais parfois je me demande ce qu’il se serait passé si je n’avais pas eu cette réaction qui, sans aucun doute m’a marquée.

Que s’est-il passé ?

Un ami de mon père, supporter de River, m’avait vu au baby futbol et a insisté pour que j’aille faire un essai car il connaissait quelqu’un. C’était un mardi de novembre, je m’en souviens, avec deux amis de Merlo. Il y avait environ 70 enfants. Deux heures sont passées, mes amis ont fait leur essai, pris leur douche et sont rentrés. Je suis resté là, seul, contre le mur de Figueroa Alcorta. Mon père est venu deux fois me dire qu’on allait rentrer, qu’ils ne me donneraient pas ma chance. Mais je voulais rester, je ne partirai pas sans m’être montré. Il faisait presque nuit quand Gabriel Rodríguez m’a vu et m’a dit « excuse-moi, je t’ai oublié. Tu joues quel poste ? », « je suis 8 », lui ai-je répondu.

Tu es 8 ?

En réalité, je jouais 8, 10, 9…dans le quartier tu joues partout. Il m’a fait jouer avec les jeunes du club, pas ceux qui faisaient un essai. Au bout de 5 minutes, je n’avais pas encore touché le ballon. J’étais anxieux parce qu’il faisait presque nuit. Alors je suis allé voir Gabriel et lui ai demandé si je ne pouvais pas changer d’équipe. Il m’a regardé. « Vous êtes là pour me voir jouer et avec eux, j’ai pas un ballon » lui ai-je expliqué. J’ai vu que ce geste avait attiré son attention et qu’il pensait « qu’on donne le ballon à ce petit con d’effronté ». Alors il a demandé aux autres de me faire des passes, j’ai vu qu’il avait une idée en tête. Il a dit à mon père de me ramener le jeudi pour mieux m’observer. Le jeudi, j’ai joué un peu et j’ai signé.

Qui t’a baptisé « Muñeco » (NDRL : la poupée) ?

C’était Hernán Díaz et Zapata quand j’ai commencé à m’entraîner avec l’équipe première. J’étais petit, j’avais un visage de bébé, pas le moindre grain sur la peau et ils ont commencé à dire « voilà la poupée, voilà la poupée ». C’est resté.

Qui t’a mis le plus de coup quand tu es arrivé en équipe première ?

Il était compliqué de me mettre des coups parce que je jouais en une ou deux touches et ne me laissais pas attraper. Avec Ortega cependant on se battait à chaque fois. Parce qu’el Burro te menaçait, t’attrapait, te freinait. Comme les autres, j’ai aussi souffert des coups aux chevilles d’Astrada. El Negro ne te prenait pas en traître mais quand il s’approchait, ce n’était pas pour jouer le ballon mais pour te mettre des coups aux chevilles. Ces petits coups faisaient vraiment mal et ne se voyaient pas.

Est-il vrai que tu étais aussi très bon pour esquiver les contrôleurs du train ?

Disons que même dans le train, j’étais attentif au jeu. C’est aussi ce que t’apprends la rue. C’était une affaire de logistique. Je connaissais les horaires, à quel moment les contrôleurs arrivaient, et je changeais de wagon. Je prenais le Sarmiento de Merlo à Liniers et le 28 jusqu’à River. J’avais entre une heure quarante et deux heures de voyage au total. La bonne chose est que je retrouvais mes copains le long du parcours.

Le River de 96/97 était en autogestion ?

Aucune équipe n’est en autogestion. Après, tu peux me demander si l’entraîneur jouait un rôle prépondérant ou non.

L’entraîneur jouait un rôle prépondérant ou non ?

Tout entraîneur a une influence sur l’équipe et Ramón avait compris que ce groupe avait besoin d’être libre pour exprimer son potentiel. Si vous travaillez bien ou pas, cela peut se discuter. Mais comprendre qu’un groupe de grands footballeurs a besoin de liberté pour s’exprimer n’est pas chose aisée et sur ce point, avec les années, j’ai compris que Ramón avait été très intelligent. Aussi, il était facile de manager un vestiaire avec autant de bons joueurs parce que si onze joueurs seulement pouvaient jouer, la qualité humaine de ce groupe était immense.

Le leader au sein du groupe avait alors une énorme importance.

C’est clair. On en avait plusieurs avec chacun ses caractéristiques. Enzo était un leader naturel qui n’avait pas besoin de parler, il était l’exemple. Astrada et Hernán (Díaz) tenaient le groupe et les autres les suivaient.

Tu t’es marié le jour du Tricampeonato de River en 1997. Que ce serait-il passé si vous aviez perdu contre Argentinos et que Boca avait réussi à arracher un desempate ?

Je me serais marié de la même manière parce que le curé m’attendait. On aurait dû reporter la fête et la lune de miel parce qu’on aurait eu un match trois jours plus tard. Mais bon, cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Cette équipe ne s’imaginait jamais perdre.

C’est comment de passer de Merlo à Monaco ?

Ce ne fut pas direct, il y a eu un passage par Buenos Aires. A Monaco, j’ai été marqué par la qualité de vie, le glamour…c’est une île. Quand j’y étais, il m’arrivait de croiser dans la rue des Magic Johnson, Michael Schumacher qui se promenaient comme si de rien n’était. Ou tu pouvais être dans un bar en train de boire avec à la table voisine Bono en train de chanter a capela. C’était des choses folles et inimaginables.

Qu’as-tu retenu de ton expérience en MLS ?

J’ai été impressionné par la quantité de garçons et de filles qui jouent au foot aux Etats-Unis. Aux quatre coins du pays. Ils sont des ligues très bien organisées, des structures de qualité et j’ai vu qu’il existe un vrai grand potentiel. Je n’ai pas vu le même niveau de passion que dans les autres pays et je pense qu’ils l’atteindront difficilement. Ils ne leur manque qu’une étape, car il y a de la place pour qu’ils y parviennent parce que j’ai vu d’excellents jeunes de 10 – 15 ans qui d’un coup disparaissent.

A notre génération, « maradoniens » par nature, ça coûte de devoir accepter que Messi puisse atteindre un stade supérieur de Maradona

On sait que Maradona est ton idole. Messi peut-il atteindre son rang ?

Non seulement je le pense mais encore je crois qu’il atteindra un stade supérieur. Ce qu’il se passe avec notre génération, aux « maradoniens » par nature, c’est que ça nous coûte de devoir l’accepter. Messi gère avec une telle facilité les situations que quand je le vois à la télé, cela me procure un double sentiment : l’admiration et la réprimande parce que créer ce type de jeu est très facile. Ensuite, quand tu prends une équpe, tu vois que c’est tout le contraire.

Tu as lui a déjà parlé ?

Oui. Lors d’un de mes voyages en Europe pour y voir du foot, je suis allé diner avec Mascherano et Lionel était à une table non loin de la notre. Au final, on a fini à diner ensemble avec nos épouses.

Et que t’a-t-il dit ?

Heuu…il ne parle pas beaucoup, nous n’avons pas parlé de football.

Dire que Maradona était ton idole ne t’a pas posé de problèmes avec Passarella quand il était sélectionneur ?

Ecoute, Maradona était l’icone de tous les argentins. Je parle de football Je n’ai jamais eu de relation avec Maradona ni n’ai jamais prêté attention à la brouille qu’il avait avec Passarella. Lui non plus ne m’en a pas parlé.

Tu as pleuré le jour où tu as raté un pénalty contre l’Australie et que tout le stade te sifflait chaque fois que tu touchais le ballon ?

Oui, par impuissance. C’est le premier grand choc que j’ai subi en foot, c’était en 1995. Jusque là, tout allait bien et à partir de là, j’ai commencé à voir que rien ne serait si facile. Il y avait certaines choses qu’un jeune ne pouvait pas comprendre. Au fond, les huées n’étaient pas contre moi mais contre Passarella.

Ca a été dur de s’en relever ?

Oui. La semaine suivant cet amical débutait la Copa América. On a ouvert contre la Bolivie et je suis entré en jeu très nerveux avec une pression que jamais je n’avais sentie jusqu’ici dans ma carrière. Aussi bien que je me souviens, j’ai joué mes pires 45 minutes.

J’ai toujours surestimé mes capacités physiques et n’ai accordé aucune importance au reste. Je l’ai payé. Grave erreur.

Quel fut ton plus beau et ton pire jour en football ?

Le jour où j’ai senti la plus belle joie fut le dernier match vécu comme footballeur. Bizarre non ? Ce jour-là, j’ai ressenti une paix intérieure immense, se dire « j’ai pu faire tout ce que je pouvais en football, jusqu’au limites que m’autorisait mon physique. » Au-delà de l’aspect sportif de cette dernière rencontre avec le Nacional, la reconnaissance de mes coéquipiers fut une des choses les plus intenses que j’ai ressenties sur un terrain. Lorsque le match s’est terminé, ils m’ont entouré et m’ont enlacé. Je savais que je n’avais plus rien à donner, que l’effort était énorme, ça n’a pas été facile de vivre avec mes blessures et je ne parle pas de la derniers mais tout au long de ma carrière.

Pourquoi tant de blessures ?

Un ami m’a toujours dis qu’on m’a donné le moteur d’une Ferrari et la carrosserie d’une Fiat 600. Après, la vérité est que j’ai appris à me conduire de manière plus professionnelle vers 24 ans, à tenir compte de l’importance du repos et de ce qu’il faut manger. Une autre raison est que j’ai toujours surestimé ma condition physique alors je n’accordais pas d’importance au reste.

Par exemple ?

J’ai eu ma première entorse du genou à 20 ans et à partir de là, il fallait que j’aille tout les jours au gymnase pour muscler mes quadriceps. Je ne l’ai jamais fait. J’avais récupéré et je voulais jouer immédiatement. J’ai donc fini par souffrir de multiples blessures. J’ai toujours surestimé mes capacités physiques et n’ai accordé aucune importance à cela. Je l’ai payé. Grave erreur.

Tu ne nous as pas dit quel était ton jour le plus triste.

Les moments tristes sont nombreux en foot et c’est un privilège que d’avoir joué avec des équipes qui ont eu tant de succès. L’un d’entre eux fut les sifflets sur le terrain de Quilmes avec la sélection. Un autre, mon dernier match avec River parce que je n’ai pas pu entrer en jeu. Je savais que c’était la dernière fois mais bon, ainsi sont les choses. Après cette énorme désillusion, j’ai vécu l’inattendu : jouer au Nacional et terminer ma carrière comme je l’ai fait.

Laquelle des deux Coupes du Monde t’a le plus frustré ?

Pour celle de 98, j’étais plein d’ambition mais comme je ne m’étais pas remis d’une déchirure, je ne pouvais pas m’entraîner tous les jours et je n’ai quasiment pas joué. En 2002, je ne suis même pas entré. La pire chose pour un joueur de foot est de ne pas être apte pour une compétition donc je me suis dit « putain, j’ai la possibilité de participer à 2 Coupes du Monde et je n’ai quasiment jamais été apte pour lutter à armes égales avec les autres ». Au niveau collectif, celle de 2002 était incroyable. On n’a pas compris comment avec une telle équipe nous n’avons pas passé le premier tour.

Tu as mis un grand nombre de buts sur coup-franc. Quelle est la recette ?

Je n’ai jamais fini de travailler ce que je pouvais travailler quant à l’exécution. Cela se joue entre comment tu te situes et la confiance que tu as en toi. Quand tu te retrouves devant le ballon avec un mur bien placé et que tu as le sentiment que ça fera but, ça fait but ou ça ne passe pas loin. La confiance est fondamentale. C’est ce que disent toujours ceux qui les frappent plus ou moins bien non ?

Tu préfères mettre un but ou faire une passe ?

Je suis né avec la passe dans le sang…mais quand tu marques un but, tu comprends le désespoir des neuf pour la mettre. C’est grand.

J'aime que mon équipe joue avec un 10. En réalité, j’aimerais jouer avec plus qu’un 10 qui sait gérer le tempo et les espaces

Le 10 est une espèce en voie de disparition ?

Le 10 classique est une référence dans notre football mais tend à ne plus l’être dans le football mondial.

Mais même ici il y en a de moins en moins...

Les maîtres sont partis et il ne reste que peu de formateurs. Même les entraîneurs se sont adaptés aux nouvelles tactiques, ont vu comment on joue ailleurs dans le monde et en conséquence, on forme moins de 10.

Ou quand il y en a, on les places sur un côté…

Mais il n’y a rien de mal à le mettre sur un côté ! Ici, on ne classe pas bien le numéro 10 parce que vous pouvez avoir besoin d’un 10 qui joue à l’intérieur ou à l’extérieur, plus en retrait ou plus avancé. L’essentiel est de savoir gérer le tempo, c’est la clé. Personnellement j’aime que mon équipe joue avec un 10. En réalité, j’aimerais jouer avec plus qu’un 10 qui sait gérer le tempo et les espaces. Vous croyez que le Barça n’a qu’un seul 10 et que c’est Messi ? Non. Xavi joue en 6 mais c’est un 10. Iniesta joue en 8 mais c’est un 10. Aucun ne joue sur les côtés mais ils cherchent toujours les espaces et comprennent toujours parfaitement ce qui est placement et distribution. Le Barça a joué avec 3 numéros 10 et plusieurs fois même avec un quatrième, Fabregas. Mais bien sûr, tu ne peux pas en avoir si facilement autant et de si bons dans une même équipe.

Quel a été ton meilleur match ?

Un match avec le PSG contre Sochaux où tout me reussissais. Et pourtant ce fut un 0-0. Ensuite, un match que je garde dans mon cœur est un 3-0 face à Independiente au Monumental, j’ai mis deux buts, un après un une-deux avec Enzo. Ce fut l’un des moments les plus forts de l’idyle que j’ai vécue avec les supporters. Cette année-là, en 1997, a été celle de mon explosion, le club a vendu Ariel et j’ai assuré la continuité. 

Le meilleur entraîneur

Ceux qui m’ont le plus appris : Bielsa et Sabella. Avec Alejandro, on n’a pas assez parlé. J’aurais aimé le faire davantage mais je ne voulais pas le déranger.

Et le pire ?

Ca doit être aucun de ceux que j’ai eus puisqu’il ne m’a rien enseigné (rire). Tu sais, quand on est joueur, on est toujours persuadé que seul l’entraîneur se trompe. C’est faux.

Quel entraîneur aurais-tu aimé avoir ?

Guardiola et Mourinho

Tu t’es battu avec plusieurs entraîneurs

Je ne me suis pas battu, j’avais des désaccords. J’ai une qualité, qui pour certains et un défaut : je dis les choses en face. Je n’aime pas mentir et certains entraîneurs m’ont menti.

Merlo t’a menti ?

Non, Merlo ne m’a jamais menti. Et moi non plus je ne lui ai jamais menti.

Pourtant, tu l’as fait partir de River…

Avec Carlos, on s’est réunis et j’ai expliqué que je ne m’identifiais pas à son projet et que comme je ne voulais pas géner, j’étais prêt à partir. Il m’a demandé si les autres pensaient comme moi et je lui ai repondu que je n’en savais rien. J’aurais pu garder tout pour moi, rester et jouer tranquille mais je préférais être direct. Je ne pouvais pas imaginer que Merlo choisirait alors de s’en aller parce que celui qui avait décidé de partir, c’était moi. Mais il a saisi ce que j’ai dit et plutôt que d’essayer de me convaincre pour que je me sente bien, il m’a exposé.

Avec Didier Deschamps aussi tu t’es disputé.

Deschamps m’a menti. Maintenant que je suis entraîneur, si je mens à un joueur, comment le regarder ensuite en face ? Quand on ment à un joueur, il n’y a pas de retour possible. C’est ainsi que j’ai appris que même si on lui annonce une mauvaise nouvelle, le joueur donne toujours tout.

Tes meilleurs amis footballeurs ?

Matías Biscay et Hernán Buján sont mes amis depuis que j’ai 13 ans, c’est une relation quasi fraternelle qui est née à River. Ce sont mes adjoints. Avec Mario Yepes, j’ai une amitié depuis Paris de même que je suis ami avec Salas avec qui je suis toujours en relation. Je suis aussi ami avec El Tecla Farías, Pablo Rodríguez, et Lucas Pusineri, avec qui je joue au tennis...

Tu t’es déjà battu avec des coéquipiers ?

Deux fois. Une fois avec Almeyda lors d’un entraînement avec la Tercera. Je l’ai taclé fort, il a alors répliqué de la même manière. Lorsque nous nous sommes relevés, on était prêts à se battre, je l’ai frappé, on s’est accrochés. Un moment chaud. L’autre fois, ça a été avec Panucci dans le vestiaire. Il aimait centrer, j’aimais jouer court. Une fois il a eu des gestes et on s’est accrochés dans le vestiaire. Depuis, on a une relation forte.

Et avec Ortega, tu t’es battu ?

Non. J’ai une affection particulière pour Ariel. On se connait depuis l’enfance, on a partagé tant de belles choses et nous sommes unis par l’affection et le respect. Nous étions copains sur et en dehors du terrain. La vie nous a fait prendre des chemins différents et nous a éloignés mais il ne s’est jamais rien passé de négatif entre nous, seules nos manières de vivre étaient différentes.

Tu savais qu’il avait des soucis avec l’alcool ? Tu ne pouvais pas l’aider ?

Hmm... (pensif) je crois que je n’étais pas la bonne personne pour. Ariel était un peu rebelle. C’était facile d’interagir avec lui, il t’écoutait, mais après, il n’en faisait qu’à sa tête.

Avec quel coéquipier t’es-tu le mieux entendu ?

Avec Ortega on se regardait et on savait où il fallait mettre le ballon. Avec Salas aussi on avait une vraie bonne relation. Avec Trezeguet et Simone à Monaco, on avait l’impression d’avoir toujours joué ensemble. Ce sont des choses qui se produisent parfois. Il y en a un avec qui j’ai peu joué mais qui était un putain de buteur, c’était le portugais Pauleta.

Pourquoi as-tu griffé Abbondanzieri, tu es devenu fou ?

J’ai été exclu avec Cascini parce qu’on s’est bousculés et j’ai mesuré toute mon impuissance, j’ai compris que je venais de perdre non seulement ce match mais surtout le retour. C’était une demi-finale de Libertadores, contre Boca ! Un moment d’histoire. Quand ça chauffait, la seule chose que je détestais c’est quand l’adversaire me touchait. Et quand c’est par derrière, c’est pire. Donc quand on m’a attrapé dans le dos, la première chose que j’ai faite fut de giffler. Ce qui est sûr c’est que j’ai perdu le contrôle, je n’étais plus conscient de ce que je faisais. Ensuite, ils nous ont éliminés et j’ai vu quelques attitudes de joueurs de Boca qui nous ridiculisaient, y compris de la part d’el Pato et ça ne m’a pas donné envie de m’excuser. Sinon, je l’aurais fait.

Tu t’es reproché cette expulsion ?

Je ne me reproche jamais rien. Je ne regarde pas ce qui s’est passé, je le fais là parce que tu m’en parles sinon je préfère regarder le présent et penser à demain. Te dire que je me vois perdre le contrôle me fait honte.

Et pourquoi as-tu mordu Medel ?

Ecoute, s’il y a une personne qui mérite d’en prendre une, c’est bien Medel. Il se comporte mal.

C’est-à-dire…

Il est irrespectueux…Tout ce qu’il se passe sur le terrain ne se raconte pas mais il m’a mis le doigt dans la bouche, a eu une attitude de merde et donc il n’y avait que deux solutions : le frapper ou le mordre.

Qu’as-tu pensé quand l’affaire Ameli – Tuzzio a explosé (NDRL : en 2005, Eduardo Tuzzio a appris que son coéquipier de l’axe central de River, Horacio Ameli, avait une relation avec sa femme) ?

La première chose qui m’est passée dans la tête était de savoir comment on allait gérer ça. Ensuite, comment l’entraîneur allait gérer ça et enfin, comment on allait vivre de la meilleure des manières possible dans une atmosphère qui n’était pas facile.

Qu’as-tu ressenti quand River est descendu en B ?

Nahuel voulait aller au stade, mais je ne voulais pas. On l’a regardé ensemble à la maison. C’était une sensation…une sensation…de merde, de merde. Je ne pouvais croire ce qu’il venait de se passer. Nahuel est resté au sol, s’est tourné sans rien dire. Nous pleurions en silence.

Et quand Trezeguet est arrivé à River ?

Je me suis dit qu’il avait accompli son rêve. Parce que je savais depuis longtemps que c’était l’un de ses rêves.

Qu'apporte Enzo Francescoli à River ?

Il a toujours été un homme mesuré, sensé et il apporte toujours énormément. Je suis heureux de voir que les idoles du club reviennent toujours pour apporter quelque chose

Passarella a fait fuir les idoles ?

Je ne pourrais te dire quele est sa relation avec les autres. Je peux juste parler de la notre : il n’y en a pas.

Depuis quand est-elle rompue ?

Au Mondial 98, un peu après pour dire vrai. Et je ne l’ai plus revu depuis qu’il est revenu comme entraîneur en 2006. Voilà pour les génies qui veulent faire passer l’idée d’un complot que j’aurais fomenté pour faire virer Merlo et revenir Passarella.

Tu ne regrettes pas d’en avoir fait le parrain de ton fils Nahuel ?

Non, parce qu’à cette période, je le souhaitais. Après, la vie continue.

Et ton fils ne réclame pas son parrain, ne l’appelle pas ni ne va le voir pour son anniversaire ?

Nahuel est très intelligent. Et il y a des gens dans la famille qui l’aiment et jouent ce rôle.

Tu es toujours en colère contre Cappa pour ne pas t’avoir fait entrer lors de ta dernière avec River ?

C’était un match terrible. Personne ne pouvait penser que Tigre allait pouvoir nous en mettre trois en 15 minutes au Monumental. Son explication, qui a été que je ne méritais pas de jouer ma dernière partie avec River avec un score aussi défavorable, était logique. Je n’en garde aucune rancœur, mon sentiment n’était qu’une profonde tristesse mais rien de plus.

Les deux dernières fois que tu as quitté à River en 2007 et 2010, c’était contre ta volonté ?

Je suis revenu en 2003 pour un an et je suis parti au bout de trois ans et demi. Chaque année, j’ai eu des opportunités pour partir, retourner en Europe, mai à chaque fois, j’ai renouvelé à River, à la recherche de la gloire sportive. Mi-2006, je reçois de nouvelles offres et on jouait le match aller des quarts de la Libertadores juste avant la Coupe du Monde. Je voulais une revanche. J’ai parlé de l’offre à Passarella et il m’a dit « tu ne peux pas partir, s’il le faut, j’irai parler à ta femme ». Je suis resté et quatre mois plus tard, il décidait de changer de système et jouer sans enganche. Alors je suis parti.

Et en 2010, que s’est-il passé ? Parce que tu voulais finir ta carrière à River non ?

Si, mais les désirs ne sont jamais réalité. Ils ont mis cette banderole en tribune et j’ai réalisé qu’il y avait des gens au club qui voulaient que je m’en aille. C’est simple.

La fameuse banderolle “Muñeco Gallardo ortiva y golpista” (Gallardo, traitre et putchiste).

Il y a des gens au club qui avaient pris la décision de me faire partir.

Qui ?

Ceux qui prennent les décisions au club sont les dirigeants. A ce moment, je ne m’identifiais à rien de ce qu’il se passait au sein de l’institution. 

Je n’ai pas vraiment compris pourquoi tu as arrêté…

Je n’avais plus envie de continuer à me battre. La dernière blessure a été rude. Je me suis rompu le tendon d’Achille. Je suis revenu au bout de 5 mois par orgueil pour prendre ma retraite sur un terrain. Et vous remarquez à quel point le mental compte sur un terrain. J’étais motivé pour revenir sur un terrain, même sans être physiquement bien. Avec cela en tête, un jour j’ai fait 20 minutes, je me suis levé pour en faire 30 autres et ainsi j’ai pu jouer des bouts de matchs de 30, 45, 60 minutes. Ce qui est surprenant c’est que j’arrivais à conserver un bon niveau. J’ai pris ce qu’il restait, jusqu’à la dernière goutte. Et j’ai arrêté.

N’est ce pas compliqué de vivre en continu pour le foot et de rester 2 ans sans rien faire ?

Avant d’être des entraîneurs ou des joueurs, nous sommes des personnes. Je suis un père, un époux, un fils, donc j’essaie de profiter au maximum de ces moments que je n’ai pas pu vivre pendant toutes les années qu’a duré ma carrière. J’ai appris une chose : quand tu es joueur de foot, tu ne penses qu’à toi, rien d’autre de plus et tu as énormément de temps libre. Quand tu es entraîneur, tu ne penses plus uniquement à toi mais surtout aux autres et ton temps libre devient presque nul, les moments que tu peux alors vivre avec les tiens en dehors du foot se réduisent drastiquement. De plus, si tu mets toute la passion requise par ce métier, le coaching t’épuise tant, au point que cela peut te rendre fou. C’est ainsi que je pense avoir pris la bonne décision en faisant un break.

Une seule année sur un banc t’a épuisé à ce point ?

Quand j’ai mis fin à ma carrière de joueur, j’avais l’intention de faire une pause, prendre un peu de temps, en discuter avec ma famille, mais je n’ai pas pu parce qu’à 10 jours de rentrer d’Uruguay, le président du Nacional est venu me voir pour me demander de devenir l’entraîneur de l’équipe. J’ai pris cela comme une chance. Celle de commencer dans un club que je connaissais, qui était bien structuré, dirigé par des gens sensés et, plus important, qui possédait de bons joueurs. Je connaissais toute l’équipe. J’ai réfléchi quelques jours et je me suis lancé.

Gagner le tournoi dès ton premier semestre et en six mois la finale du championnat avant de partir, c’est rare ?

J’ai eu d’autres priorités. Ma famille vivait à Buenos Aires, je n’en avais pas eu la possibilité à la fin de ma carrière alors cette fois, j’ai décidé de ne pas être égoïste, de donner la priorité à d’autres choses. J’ai le sentiment d’une année parfaite sur le plan du travail avec un championnat qui est finalement anecdotique. Car l’expérience vécue m’a confirmé que j’avais fait le bon choix dans ce choix professionnel. Ce fut une année intense qui est venue s’ajouter aux presque 20 autres qu’a duré ma carrière. J’ai donc voulu stopper.

Quand Bielsa s'approche pour vous parler, vous apprenez

Quand as-tu su que tu serais entraîneur ?

A 28 ans. A cet âge, j’ai commencé à m’intéresser plus à ces aspects et j’ai commencé à poser des questions aux entraîneurs et autres éducateurs.

Qui t’a le plus aidé ?

Malheureusement, peu d’entraîneurs sont disponibles pour vous pour répondre à vos questions. En tant que coach j’aimerais qu’un joueur vienne me voir et me demande pourquoi on fait tel exercice ou pourquoi est-ce que je veux jouer de telle façon. J’aimerais, cela voudrait dire que le joueur s’implique dans le projet. Mais pour bon nombre d’entraîneurs, ces questions sont vécues comme des attaques. Je ne sais si c’est un sentiment d’insécurité mais au final, trop peu ont été au service de mes questionnements.

Il n’y en a donc aucun ?

J’aurais aimé avoir Bielsa plus tard, à 29 – 30 ans parce que j’ai croisé sa route trop jeune et même sans partager énormément, il est celui qui m’a appris le plus de choses. Attention : Bielsa n’est pas facile à approcher car il impose une certaine distance, mais quand il s’approche pour vous parler, vous apprenez. J’ai aussi appris de Sabella car il était généreux avec moi. Il m’a fait débuter avec la réserve de River quand j’avais 15 ans et était toujours disponible pour le dialogue. Bien qu’il n’était pas expansif, il m’a toujours soutenu, toujours aidé à me faire grandir, me faire réfléchir. Ce sont les deux meilleurs à qui je dois énormément.

Que t’a appris Pellegrini ?

Je l’ai peu eu mais je me souviens d’une méthodoligie de travail qui n’était pas commune ici et que je n’avais pas vu non plus en Europe. Même si à River il n’a pas eu de reconnaissance, je le voyais comme un homme organisé et respectueux qui ne t’accablait pas d’informations. C’est une bonne chose. Le joueur aime savoir mais ne veux pas crouler sous les infos.

A quoi ressemble la vie quotidienne d’un entraîneur sans travail ?

Je m’occupe de mes trois fils, je les emmène à l’école, les accompagne au foot, je suis un père présent. Je joue au tennis et au golf deux fois par semaine. Et je regarde énormément de foot bien entendu.

Ce n’est pas compliqué d’avoir autant de temps libre ?

Non parce que c’est le fruit d’une décision personnelle et parce que je n’ai pas besoin d’être dans la lumière pour exister. Je reviendrai entraîner quand je trouverai un défi qui me donne envie, un projet en lequel je m’identifie.

Si on t’appelle…

On m’a appelé quelques fois en deux ans mais je n’ai jamais été convaincu par les propositions. Aujourd’hui, je me sens prêt. Ma priorité est de rester au pays mais si une offre se présente de l’étranger, je l’évaluerai avec la même intention parce qu’ici nous vivons dans un climat d’hystérie impressionnant. Il y a trop d’agressivité. Les gens vont au stade pour évacuer et non pour profiter du spectacle. Et il y a peu de spectacle…

L’Uruguay est plus tranquille ?

Bien plus. On vit à un autre rythme, les gens sont différents, il y a un autre respect, une autre éducation.

Comment te définierais-tu comme entraîneur ? Qui t’as le plus influencé ?

J’ai appris et pris de tous ceux que j’ai rencontrés. Mais je ne me sens pas dans la ligne droite d’un entraîneur en particulier. Je pense que mon influence principale est la façon dont je sentais le jeu.

L’entraîneur doit-il en savoir plus sur le foot ou plus sur la gestion d’un groupe ?

Vous devez en savoir un peu des deux mais je ne saurais dire à quel pourcentage. Pour certains techniciens, la question principale reste la gestion du groupe, pour d’autre c’est le message qu’ils veulent faire passer, pour d’autres la personnalité et la façon dont ils feront basculer un match par des changements. Pour moi, le plus important est d’avoir un objectif commun. Je suis poussé autant par l’intuition que par la perception des choses. Je suis plus observateur, j’aime écouter, mes dirigeants et mon groupe. J’ai une éthique et je veux prêcher par l’exemple et convaincre mes joueurs avec un message. Ce sont les clés pour moi.

 

Entretien accordé à El Grafico (n°4444, mars 2014), traduit de l'espagnol par Nicolas Cougot

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.