Deux ans que tout un peuple attend. Avant de retrouver le Centenario avec le maillot Celeste sur le dos, Luis Suárez va retrouver les terres brésiliennes pour son grand retour en sélection. L’occasion pour el Pistolero d’accorder un entretien vidéo pour Ovacion que LO vous propose en version française.

L’heure du retour en sélection est enfin arrivée.

Les choses n’arrivent pas par hasard. En football, la roue ne fait que tourner. On me donne la possibilité de revenir pour affronter le Brésil, au Brésil, là où j’ai joué pour la dernière fois de manière officielle avec la sélection. C’est pour cela que cela génère autant d’attente. Mais je suis tranquille parce qu’aujourd’hui, la sélection dépend de son groupe et non de ses individualités. C’est pour cela que je le vis tranquillement et sans pression particulière. Les uruguayens ont été blessés dans leur orgueil après la Copa América quand il a été dit que sans Suárez, l’Uruguay n’était rien. Et quand l’Uruguayen est blessé, il a cette révolte qui lui permet d’avancer et l’équipe a alors montré une union collective spectaculaire de Diego son capitaine jusqu’aux derniers arrivants. Ils ont démontré que l’Uruguay ne dépend de personne et s’engage comme il l’a toujours fait. L’Uruguay peut contrôler des parties avec un beau football comme il peut se battre. On est Uruguayens, on connait notre façon d’être, notre façon de jouer et nous sommes conscients que l’Uruguay est un groupe, une union qui ne dépend de personne et c’est pour cela que je suis heureux de ce qu’il s’est dit durant la campagne éliminatoire.

Je suis là pour prendre place dans ce groupe, apporter ma pierre à l’édifice. Dans cette campagne, l’Uruguay a pris 9 points sur 12 sans Suárez, a joué deux parties sans Cavani. L’Uruguay ne dépend de personne et je l’ai dit au Maestro et je le dis aussi aujourd’hui, il est clair que je n’ai aucune pression, bien au contraire, je suis là uniquement pour apporter ma pierre, apporter ce que je peux apporter avec mon football et faire en sorte de me sentir le mieux possible pour que l’Uruguay ne dépende de personne.

Photo : MIGUEL ROJO/AFP/Getty Images

Cela va être tout de même un sentiment unique.

Il est clair que beaucoup de temps a passé et que personnellement cela va être un sentiment étrange, une joie aussi de revenir, de retrouver tout le monde, non seulement l’encadrement technique mais aussi les coéquipiers. Même si j’en vois certains ici, il y en a que je n’ai pas revus depuis longtemps tout comme je n’ai pas encore vu les gens qui m’ont toujours écrit, j’ai passé 2 ans sans les voir. C’est une sensation rare de revenir les voir mais c’est surtout de la joie d’avoir passé ces étapes et de pouvoir revenir et profiter de ce retour.

Début janvier, Walter Ferreira s’est éteint. Ton prochain but sera aussi pour lui (NDLR : le dernier but de Luis Suárez en sélection lors d'une rencontre officielle a été inscrit face à l’Angleterre. Ce jour-là, el Pistolero avait été le célébrer avec Ferreira) ?

Il y a eu des moments difficiles et compliqués mais ce qui s’est passé avec Walter est inoubliable pour tout ce qu’il a fait pour moi, il connaissait ma situation, savait que ma blessure rendait ma participation à la Coupe du Monde quasi impossible et le peu d’énergie qui lui restait à ce moment-là, il me l’a transmise pour que je puisse y être. C’était une façon de lui rendre hommage, je me souviendrai toute ma vie de comment il m’a traité, comment il a aidé ma famille, ce qu’il a fait alors que tout le monde savait dans quel étant de santé il était, même s’il disait le contraire. Jamais je ne pourrai oublier, le prochain but sera aussi pour lui. Chaque partie jouée avec la sélection le sera pour lui car tout est grâce à lui.

Photo : Matthias Hangst/Getty Images

Quelle est ta relation au quotidien avec Messi et Neymar ?

On passe notre temps à rire en semble. Pas seulement sur le terrain mais aussi dans le vestiaire. On passe notre temps à se faire des blagues, il se passe toujours quelque chose, en dehors, sur le terrain, pendant le match, tout est occasion de rire. Ney est un gars qui aime rire, toujours à profiter au maximum des choses, Leo aussi, les gens pensent que ce n’est pas le cas mais c’est un type spectaculaire. Pour établir une relation sur le terrain, tu dois connaître la personne, pas seulement au niveau du football mais aussi en dehors. Leo a un enfant qui est à peine plus âgé que Benja et un autre plus jeune que Delfi (NDLR : Benjamin et Delfina, les deux enfants de Suárez), les enfants jouent ensemble, Masche aussi est très présent. Le fait est que la relation Messi – Suárez fait plus vendre que la relation Mascherano – Suárez ou Mascherano – Messi, mais nous sommes argentins et uruguayens, lui aussi a deux filles. A chaque fois qu’on est entre argentins et uruguayens, cela se passe bien. C’est la même relation qu’avec Maxi à Liverpool ou Cvitanich à l’Ajax. Cela vient de notre culture, de notre façon d’être. Avec Leo on parle de chose que l’on faisait quand nous étions petits par exemple et cela permet d’entretenir de fortes relations. Nos femmes s’entendent bien également et on profite à la fois au sein du club mais aussi en dehors.

Tu te vois assis aux côtés de Messi en train d’assister à un match de la Coupe du Monde 2030 en Argentine ou en Uruguay ?

En réalité je ne me l’imagine pas mais ce serait magnifique. La réalité est que l’Uruguay n’a pas la capacité d’organiser un mondial. Il y a des discussions avec l’Argentine, ce serait magnifique, ce serait grand mais bon, personne ne sait comment les situations des uns et des autres vont évoluer.

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Pourquoi penses-tu qu’il y a des joueurs comme toi, qui avec leur talent parviennent à triompher quand d’autres non ?

Il y a une part d’instinct et de chance mais cela repose aussi sur la difficulté qui doit être croissante. Pour un joueur qui a 15, 16 ou 17 ans, qui possède de bonnes qualités techniques, si on lui donne la facilité d’avoir 10 000 – 15 000 dollars par mois, il commence à se relâcher, à être tranquille. Si à un autre, comme ce fut le cas pour moi, tu lui donnes 2 000 – 3000 pesos uruguayens pour continuer à se battre, continuer à lutter, continuer à progresser pour sa famille, pour aller de l’avant, cela va générer plus d’impatience, plus d’ambition. Je vais prendre un exemple. Ma première voiture, je l’ai achetée lors de ma quatrième année chez les pros, ma première voiture, après quatre ans. Aujourd’hui, à 17 – 18 ans, l’un préfère acheter une voiture, l’autre une maison. Ce sont des facilités qui leur font bruler des étapes non pas pour rester ambitieux sportivement mais uniquement pour acquérir un certain confort. Je me souviens d’un autre exemple. Quand j’avais 17 ans, mon agent était Daniel Fonseca et j’ai vu un autre agent qui m’a promis énormément d’argent. J’ai douté et aujourd’hui je pense que de n’avoir signé avec lui est mon meilleur choix. Je suis resté avec mes 3-4 000 pesos uruguayens pour continuer à chercher à triompher et j’ai aimé y parvenir. J’aimerais vraiment faire passer ce message, tout n’est pas une question d’argent – évidemment qu’avec une ambition grandissante, tu gagneras plus d’argent, le football est ainsi – mais à 17-18 ans, le joueur ne doit penser qu’à gagner, à gagner pour avancer et ensuite viendra le moment où il touchera ce dont il rêvait. Il faut franchir les étapes dans le bon ordre.

En quoi le Suárez du Barça est différent de celui de la sélection ? En quoi changes-tu ?

Je suis habitué à un football totalement différent. Je sais parfaitement comment joue la sélection, ce qu’on ressent quand on enfile le maillot de la sélection. On doit être conscient que ce que génère la sélection d’Uruguay est différent. Mais j’y vais avec beaucoup de calme et l’envie de profiter de ce moment qu’est le retour avec la sélection.

Comment appréhendes-tu l’accueil des supporters de la Celeste ?

Je pense que ça va être compliqué par rapport à l’émotion que cela va générer, pour le soutien que j’ai eu de la part du peuple uruguayen ces derniers temps et comment ils ont été à mes côtés suite à ce qu’il s’est passé. Je leur suis reconnaissant de la façon dont ils m’ont traité en Uruguay. Ça va être un moment magnifique, compliqué et émouvant par rapport à toute l’affection que j’ai reçue et toutes les espérances que cela génère.

 

Traduit de l'espagnol par Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée - Photo une : Julian Finney/Getty Images

 

 
Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.