L'ancien avant-centre légendaire de l'Albiceleste s'est longuement entretenu pour La Nacion pour donner son avis sur le football argentin. Et Batigol ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit d’évoquer son pays.

- Comment vois-tu le football argentin ? Le jeu, l’organisation…

Sur le plan de l'organisation, le football argentin est un désastre total. Ici, personne ne sait quand on joue, c'est une honte. Il y a un mois, j'ai appelé les joueurs et les entraîneurs afin de participer à un tournoi de golf et ils m'ont répondu : « Je veux venir, mais je ne peux pas t’assurer quand je joue. » Cela vous rend nerveux : nous ne parlons pas de météo mais un mois avant tout peut arriver, tout dépend d'une décision. Quand vous allez en Espagne ou en Italie, vous savez à quelle heure se joue le dernier match du championnat. Ce n'est pas une science. Ce n’est pas qu’ils sont particulièrement géniaux. Ça commence par cela, et ce sont des choses stupides...Ainsi est notre football.

- Et en termes de football ?

Seulement deux ou trois équipes ont une idée. Le dimanche des clásicos, j’ai dormi à la maison, comme il pleuvait, je ne savais que faire. Ça a été un désastre, il n'y a pas eu deux passes. Juste un peu lors de Racing - Independiente. Si vous voulez le justifier, vous pouvez dire que les clásicos ont une ambiance particulière, il y a de la peur, une forte pression, mais il en a toujours été ainsi. Pour moi, ces matchs doivent donner le vertige. Ils croient que l'intensité a un rapport avec la vitesse et les duels. Ce n’est pas ça. L'intensité, c’est maintenir un rythme, une dynamique. Mais ils confondent tout. Ils se trompent en pensant qu’avoir des couilles c’est mettre des coups. Avoir des couilles, c’est demander le ballon : donne-moi la balle que je sois celui qui va marquer. Ici, ils pensent que les couilles c’est de mettre un coup dès la première balle pour que les tribunes t’applaudissent. Et tout le monde est infecté par cette idée.

- Tu ne vois pas de l'espoir dans la nouvelle génération d'entraîneurs ?

Si. Je pense qu'il y a des gens qui essaient de changer les idées. Guillermo, Gallardo, Pellegrino, Almirón de Lanús...j’en oublie c’est sûr. Mais je pense qu'ils essaient de donner une idée plus pacifique sur le football et le comportement. Mais ils sont coincés dans cette nasse générale et c’est difficile.  

Les Argentins protestent, mais quand il s’agit de se montrer, il n’y a plus personne.

- Compte tenu du scénario que tu décris, les élections AFA peuvent représenter un changement ?

C'est tout l’opposé...nous n'avons aucun président. Où voulez-vous aller ? Les élections de décembre dernier étaient une honte. Regardez ce qui est arrivé lorsque les résultats ont annoncé un 38-38, ça a fait rire tout le monde, une mascarade. Mais nous oublions qu'il y a quelques temps, nous avons disputé un Argentine-Brésil dans un stade où la lumière a été coupée...Argentine-Brésil, qui se regarde jusqu’au milieu du désert du Sahara, a été suspendu mais rien n’a changé. Pourquoi a-t-il été suspendu ? Parce qu'il a été organisé dans un lieu où les infrastructures ne sont pas adaptées, mais a eu lieu là-bas parce que l’ami d'un ami ...ça ne peut pas être ainsi. Tu es mon ami ? Ok, mais il faut que tout soit prêt. Ça ne l’est pas ? Je ne te donne pas le match. Dans une autre culture c'est aussi simple que cela. Mais ici, l'ami se met en colère. On ne va nulle part. Nous n’avons pas de sélections de jeunes ! L'AFA a construit un complexe d'élite, il y en a peu dans le monde, mais chaque fois que je passe par l'aéroport d'Ezeiza, c'est vide, personne, pas d'enfants qui jouent, rien.

- Tu ne penses pas à devenir dirigeant ?

Je ne suis pas fou, je n'ai pas la force d'y aller seul. Les Argentins protestent, mais quand il s’agit de se montrer, il n’y a plus personne. Et moi le premier. Je n’y vais pas parce que je ne veux pas faire partie de ce bordel et c’est ainsi que tout le monde pense. Les Argentins sont des mauviettes et je suis la plus grande de toutes. C'est dans notre culture. Je pense qu'à un moment donné les choses vont changer. Les jeunes vont arriver, envoyer chier les grands et leur dire « Assez de cette folie. Cela suffit, je ne veux plus voir mon vieux dans cet état, nous allons faire autre chose parce que sinon, on va souffrir des mêmes maux que nos pères, que nos grands-pères. » Vous pensez que je veux aller à l'AFA ? Si je dois demander quelque-chose, à qui dois-je m’adresser ? Si je dois parler à un décideur, à qui je demande ? Si je dois organiser un voyage, où je vais ? À qui je parle ? C'est un gâchis. Donc, je deviens la plus grande mauviette et je reste à observer tout ça depuis Reconquista. Et quand les gens me demandent, je leur dis « pour moi, c'est un désastre » et c’est tout. Je ne devrais pas me contenter de cela, je devrais me battre pour aller de l’avant, être comme Ayala, Almeyda, Verón, Caniggia, Maradona. Mais je n’aime pas être quelqu’un d’autre.

- Pourquoi autant d'indifférence ?

Pour deux raisons. La première est que personne ne veut aller dans un tel bordel. Et la seconde est que cela n’intéresse personne que nous soyons là. Voir nos têtes là, ça dérange. Et voilà comment on finit, sans sélection de jeunes, sans président…quand seront les élections ?

- Le 30 juin

Enfin ! Je ne savais pas, et on ne connait pas encore les candidats.

- Tu penses être capable d’entraîner ? Tu serais prêt à risquer ta réputation ?

Oui, je veux entraîner une équipe, mais pas ici. Ici, j’ai été appelé de partout mais non. Il y a des personnages comme moi pour qui ont un statut particulier. Donc le seul point négatif qui peut arriver est qu’ils te disent que tu n’aies pas la capacité, mais ils ne te diront pas que tu es un crétin. Nous sommes à l’abri des mauvais traitements. C’est ainsi que cela se passerait pour moi….je crois. C’est ce qu’il s’est passé pour el Muñeco, Guillermo ce sera pareil. Si el Vasco va sur le terrain, il sera ovationné plus qu’avant.

II y a longtemps que nous ne gagnons rien, mais notre exigence est celle d’une nation habituée à gagner.

- Alors tu entraînerais où ?

J'aimerais bien dans un championnat comme les Etats Unis, s'ils m’appellent, j’y vais. C'est un lieu agréable, qui répond à toutes les conditions. Je suis comme quand tu es célibataire, si tu restes longtemps seul, alors tu ne te marries pas parce que tu ne veux pas qu’on te dise ce que tu dois faire. Et plus le temps passe, plus tu es délicat. A un moment, je serais allé n’importe où. Maintenant, je choisis. Je regarde la ville, j’étudie tout. Mais la vérité, c’est aussi que maintenant j’ai faim. Quand j’ai arrêté, j’étais stressé, j’étais mal, je devais porter un nom toujours plus grand avec un physique de plus en plus petit. Je devais porter ce nom et chaque jour j’avais moins de jambes. Mais aujourd’hui c’est passé, cela fait 10 ans que j’ai arrêté et j’ai hâte de revenir.

- Crespo ou Batistuta a été un débat national. Que serait-il arrivé de nos jours : Batistuta ou Agüero, Higuain, Tevez, Dybala, Icardi ?

C'est mieux quand il y a de la concurrence. Avec Hernán cette polémique n'a jamais existé. Les garçons d'aujourd'hui sont très bien, les pibes se conduisent bien. Il y en a certains qui ne jouent jamais ou très peu et qui ne disent rien.

- Avec qui tu te sentirais le mieux sur le terrain ?

Avec n'importe lequel. La vérité est qu'ils jouent tous bien. Ils sont très intelligents, ils se déplacent bien, le football européen change votre mentalité. Mais il a toujours été ainsi. En Europe, le football est un travail, ce n'est pas un jeu. Celui qui veut jouer, il doit rester à la maison. Ici, cette mentalité n'existe pas. As-tu vu le corps des joueurs là-bas quand ils enlèvent leur maillot pour fêter un but ? Ils s'entraînent probablement plus, mangent des pâtes, se reposent, prennent de l'eau minérale et vont au gymnase. Ici c'est les apéros, le Coca Cola et les asados. Une autre mentalité. Pas besoin d'être né en Australie pour comprendre que si vous faîtes 200 abdominaux et vous prenez ensuite un verre de Coca, les 200 abdos vous venez de les mettre à la poubelle. Pas besoin d'être un génie.

- Tu aurais imaginé que ton but contre le Mexique en finale de Copa America 93 serait le dernier titre de l'Argentine ?

Nooon, c’est oublié. Surtout parce que je voulais gagner une Coupe du Monde. C’est triste. Ce fût un joli but au moins ? Cela devrait nous servir à rester humbles, nous les fans argentins. Cela fait déjà 25 ans que nous n'avons rien gagné, pas même au niveau régional.  Maintenant, tout est plus équilibré car les colombiens, chiliens, équatoriens ont commencé à jouer en Europe et ont progressé. Mais cela s'est passé lors des cinq ou six dernières années et nous n'avions rien gagné non plus. Alors arrêtons un peu, vous ne pouvez pas être maire de la ville et vouloir être président de la République ! Ce que je veux dire ? Nous allons à la Coupe du Monde et nous sommes tous convaincus que nous devons la gagner. Nous avons des phénomènes. OK, c'est vrai, mais les autres aussi ont des phénomènes dans leur équipe.

- Le poids devient lourd pour cette génération ?

Je ne sais pas. Il faut être dans leur tête. Si l’occase de Pipita au Brésil et au Chili est au fond, nous serions en train de parler d’une Argentine championne. Tout est relatif.  La seule vérité est qu'il y a longtemps que nous ne gagnons rien, mais notre exigence est celle d’une nation habituée à gagner.

 

Traduction JC Abeddou pour Lucarne Opposée

JC Abeddou