Au pays des légendes, il est un joueur qui ne laisse pas indifférent. Souvent raillé pour son allure pas toujours élégante, moqué pour son physique, Néstor Ortigoza reste un joueur aussi génial que fou. Le roi du penalty se livre et raconte son histoire. Mélange de folie et de légendes.

Tu es gros ou c’est une légende ?

C’est une légende.

Combien tu pèses ?

82-83, à Argentinos, avant d’aller à la Coupe du Monde, j’avais quelques kilos de plus et c’était l’une de mes meilleures années (rires). Je ne me sens pas gros et ça ne me complexe pas plus. Les nutritionnistes du club disent la même chose « tu n’es pas gros ». Je n’ai jamais eu le moindre problème avec la balance, jamais les entraîneurs ne m’ont demandé de me peser. La véritable unité de mesure est sur le terrain. Si tu n’es pas bon, on te vire. Et sur le terrain, j’ai toujours tout donné, d’ailleurs je cours beaucoup pendant les 90 minutes.

Mais alors pourquoi l’idée que tu es gros s’est installée ?

Parce que je suis grand, un peu vouté, mon physique est ainsi fait mais je te le dis : ma grosseur est une légende. Nombreux étaient ceux qui disaient que je ne pourrais jouer que sur le terrain d’Argentinos parce qu’il est petit. Mais depuis, j’ai joué au Gasómetro, j’ai joué avec la sélection du Paraguay….

Néstor, Jony, Orti ou Gordo ?

Ça dépend de qui tu es. Au quartier, on m’appelle Jonatan ou Jona (se prononce Yona). Si tu me dis Jony, je sais tout de suite que tu n’es pas du quartier. Mes parents et frères m’appellent Jona, ma femme Néstor, mes coéquipiers, entraîneurs et supporters Negro, Ortigoza, Orti ou Gordo. Je n’ai de problème avec aucun.

D’où vient Jonatan ?

Mes parents voulaient m’appeler Jonatan mais à l’Etat Civil, ils n’ont pas voulu. Je suis né en 1984, les Malouines étaient encore dans les esprits. Ce n’est pas grave, même si sur les documents j’apparais comme Néstor Ezequiel. Mais pour mes parents, je suis Jonatan et ils m’appellent ainsi.

Ça ne te dérange pas qu’on te surnomme « Gordo » (NDLR : gordo signifie le gros)

Pas du tout. Les supporters de San Lorenzo ont commencé avec « Gordooooo, Gordooooo » et le font encore. Ils le chantent avec beaucoup d’affection donc c’est très bien ainsi.

Tu t’es beaucoup bagarré enfant ?

Beaucoup oui.

Il parait que tu as fait du karaté ?

Mes parents m’ont mis au karaté pour canaliser mon énergie, mais ça n’a pas duré parce que je me battais beaucoup au collège et ça devenait dangereux.

Tu as donné plus que tu as reçu dans tes bagarres ou l’inverse ?

J’ai pris autant que j’ai donné. C’est ainsi que cela se passait dans les potreros (NDLR : terrains vagues sur lesquels de nombreuses parties de foot sont disputées en Argentine). Un coup de trop, un mot et on disait à l’autre « allons nous battre plus loin ». Les gens courraient et il y avait le face à face jusqu’à ce que l’un des deux tombe ou que quelqu’un crie « ça suffit » et nous sépare. C’est arrivé de nombreuses fois. Mais jamais je n’ai frappé quelqu’un au sol.

De quoi vivais-tu ?

J’ai vendu un peu de tout. Dans les trains, aux feux, on sonnait aux maisons. Des cahiers, des carnets, des glaces, des canettes de boissons, du savon…J’allais à Liniers pour acheter en gros et je gérais. Si j’étais à court de poivrons, j’allais en acheter, je faisais des sacs de 5 et je les vendais au porte à porte. Mon frère ainé en avait honte alors j’y allais seul. Tu sais combien ça se vend un sac de 5 poivrons ? Impressionnant.

Tu dois avoir mille histoires…

Une fois la police m’a arrêté à Las Heras. Il fallait une licence pour pouvoir vendre dans la rue et je savais que si la police t’arrêtait, ils te prenaient ton argent. En général, je cachais mon argent dans mes chaussures, quelques fois dans une poche ou dans un trou recouvert par une pierre. C’est ce que j’ai fait cette fois-là, ils m’ont emmené au commissariat, je leur ai dit que je n’avais rien pu vendre. Ils m’ont gardé 4 ou 5 heures. C’était un 24 décembre, je leur ai dit : « laissez-moi y aller, c’est Noël, je n’ai rien volé ni fait quelque chose de mal.. » Ils m’ont libéré, je suis retourné près du trou, ai pris mon argent et suis rentré à la maison.

Où as-tu commencé à jouer ?

Dans une équipe nommée Itatí, à Merlo, puis à Loma Grande. Au début, je ne comprenais rien. A cinq ans, j’ai mis un but contre mon camp et je le célébrais. Mon père s’est pris la tête et m’a fait signe avec le doigt « non, non, non ». Je l’avais mise dans la lucarne, je célébrais. Ensuite, l’équipe avec laquelle j’ai le plus joué avant Argentinos était Central del 30 : on avait le maillot de Rosario Central et 30 c’était pour le quartier, ici à Catán, les quartiers avaient des numéros.

Photo : ALEJANDRO PAGNI/AFP/Getty Images

Ça a été dur ?

Clair, à Argentinos, ils m'ont mis dans les catégories inférieures car j'ai donné plusieurs coups de pieds. J'étais un cheval qui fallait apprivoiser, je venais des potreros, j’étais sauvage. J'ai beaucoup amélioré ma technique à Argentinos, ils t’enseignaient avec beaucoup de patience. J'ai eu un mélange idéal dans ma formation, le potrero m'a appris à travailler, en mettre encore plus et bien d'autres choses, à Argentinos, ils ont mis au point ma technique. Quand je suis allé en Primera, El Checho Batista me faisait jouer en deux touches en première mi-temps et en une touche dans la seconde.

Pour que tu la lâches...

Exactement, donc j'étais obligé de jouer à une ou deux touches, mais pour moi c'était ennuyeux. Il était le seul à imposer ces règles ! J'ai fait toutes les équipes inférieures en 8 : je courrais beaucoup, je mettais de très bons centres depuis le côté ou faisais des changements d'ailes précis et à un moment El Chino Batista, le frère de Checho, m'a mis en double cinco en Tercera. El Checho m'a laissé à cette place quand il m'a emmené à Nueva Chicago. A ce moment, j’avais commencé à jouer des championnats de baby pour l’argent et je terminais de perfectionner ma technique.

Comment étaient ces championnats ?

Une équipe mettait de l'argent, l'autre également et ils pouvaient entrer. Les gens qui ne jouaient pas pouvaient parier un pourcentage sur le gagnant et celui qui gagnait récupérait et répartissait l’argent. Nous avons joué sur les potreros de González Catán, Moreno, Merlo, San Miguel, tous dans la zone Ouest, et j’étais en Primera du Bicho. C’était des terrains en terre, le ballon rebondissait dans tous les sens, il n’y avait pas de grillage, juste des gens derrière les lignes. Je jouais en semaine, la nuit, c’est en baby que j’ai fini d’acquérir une technique incroyable.

Que t’ont apporté les potreros ?

Le potrero te donne un plus : comment se comporter, quand mettre le coup de plus, quand ne pas le mettre, il te ravive, parce qu’ici ils viennent pour te frapper et personne n’est épargné. Tu dois apprendre à survivre, à être plus solide, ne jamais douter, ne pas avoir peur, à deviner d’où viendra le coup, il renforce ta personnalité.

As-tu eu peur ?

Une seule fois, à Catán : ils ont commencé à frapper, à un moment dans le tumulte des gens sont arrivés avec un revolver. Là on s’est dit : « Ici il faut perdre sinon nous ne sortons pas vivants. »  En général, je connaissais bien les endroits où nous allions jouer. Ils jouent fort, oui, mais les gars qui jouaient ces matchs n’étaient pas n’importe qui, c’était des joueurs qui jouaient la promotion, qui s’entrainaient et qui jouaient en fin de semaine avec leurs équipes.  Parce que si tu jouais comme un âne, ils te frappaient. Parce que si tu joues pour 7000 pesos, ils ne font pas jouer le chien, tu as intérêt à mettre un type qui joue bien tu comprends. Et nous avons joué des matchs à 5000 pesos alors il fallait être forts.

Le secret pour un penalty ? Rester patient et ne pas se laisser troubler lors qu’on se dirige vers le ballon.

Tes parents te laissaient aller jouer pour de l’argent ?

Je m’échappais. Mon père avait peur qu’ils me frappent alors je lançais les chaussures par-dessus le mur du voisin, à deux maisons de là, toujours après avoir regardé avant histoire que personne ne les prenne sur la tête, je sortais comme si de rien n’était, passait par la porte du voisin, tapais des mains et il me donnait mes chaussures.

Ton père le savait ?

Je crois que oui…Il me disait « Fais attention, tu vas te blesser, tu vas le regretter » mais cela m’était égal. Une fois, j’ai reçu un énorme coup, je boitais, mais quand j’ai franchi le seuil de la porte, j’ai marché comme si de rien n’était, comme dans les films (rires).

Jusqu’à quand as-tu joué dans les potreros ?

Longtemps…même après avoir débuté en Primera avec Argentinos. Celui qui m’a attrapé la première fois a été Caruso. On jouait un dimanche contre Boca, le jour où j’ai marqué Riquelme et ait été élu homme du match par Ole. Le lundi était libre et je suis allé jouer pour de l’argent à J.J.Urquiza. Caruso l’a appris et le lendemain, il m’a engueulé fort : « Tu veux continuer à vendre des livres dans le train ? Ne sois pas stupide, tu as un grand avenir. »

Tu as nié ?

Non, ça se voit trop quand je mens. Il me l’a ordonné, j’ai réfléchis mais ça m’a coûté de m’éloigner du potrero. J’y serai allé une dizaine de fois mais je m’en suis éloigné. J’y suis retourné une fois quand j’étais à San Lorenzo et c’est devenu un évènement.

Raconte…

En 2013, trois jours avant d’être sacrés champions avec San Lorenzo. On jouait contre Vélez à Liniers, le jour où Torri nous sauve sur le dernier ballon, tu te souviens ? Bon, j’étais remplaçant avec Pizzi, la semaine précédent le match, je savais que je ne jouerais pas, j’avais besoin de garder le rythme tu vois ? Alors je suis allé jouer à Catán avec mes amis. Sauf que les gens de San Lorenzo qui étaient là sont devenus fous : « qu’est-ce que tu fais ici ? » Et bien je suis venu garder le rythme….(rires)

A quoi ressemblaient ces fameux championnats de penalties qui t’ont rendu infaillible en Primera ?

C’était des championnats nocturnes. Ça commençait à 10h le soir, quand les gens sortaient du travail et ça pouvait durer jusqu’à 5-6 heures du matin. En général, le vendredi ou le samedi, j’y allais avec mon oncle Manuel. Championnat à trois penalties, face à face, à élimination directe. Il y avait environ 100 types qui y participaient. Tu pouvais avoir un gardien capable de tirer et d’arrêter les penalties. Les plus faibles étaient éliminés jusqu’à la finale. D’en tirer autant m’a donné la technique de la frappe : sèche, avec la partie interne du pied, sans laisser le temps au gardien de réagir.

Tu les arrêtais ?

Oui parce que je ne voulais pas partager l’argent. Si je les tirais bien, mon oncle les tirait trois fois mieux et plusieurs fois nous avons terminé premier et second, tout l’argent revenait à la maison. Si on se croisait lors d’un tour précédent, on avisait : « Qui était meilleur ce soir ? Bien, alors tu continues de tirer » disait l’un des deux, il passait direct et ensuite on se partageait l’argent. Tout le monde regardait, c’était bon…

D’où venait l’argent de la mise ?

Je la gardais la semaine : de ma monnaie, de l’argent qu’on me donnait pour voyager, de ce qu’on me donnait pour vendre.

L’argent de ces paris était toujours versé ?

Oui, il n’y avait jamais de problème, tout le monde se connaissait. S’il y en avait qui ne jouaient pas le jeu, ils ne pouvaient plus participer. Ce sont les codes des potreros.

Tu jouais toujours pour de l’argent…

Oui, toujours. J’aime joueur à n’importe quoi, mais pour quelque chose, sinon, je ne joue pas.

Quel est le secret pour marquer un penalty ?

Rester patient et ne pas se laisser troubler lors qu’on se dirige vers le ballon.

A quel moment prends-tu ta décision ?

Euuuhh….je ne peux pas le dire (rires), sinon, ils vont commencer à arrêter mes tirs. Le jour où j’arrêterai, je le dirai.

On remarque que tu attends souvent le dernier moment, que bouge le gardien, pour tirer de l’autre côté…

Je veux sortir, je veux sortir (rires).  J’essaie de rester tranquille et de me concentrer à 100%, je ne peux t’en dire plus. Parfois je regarde le gardien, parfois non. C’est une bataille psychologique, la logique veut qu’il y ait but et, encore plus dans mon cas, sur un penalty, ils veulent l’arrêter.

C’est juste de dire « en force plein axe pour assurer » ?

Je ne tire jamais dans l’axe, et quasiment jamais en force. Les joueurs d’Huracán les ont tiré forts et au milieu en Colombie et les ont mis soit sur la barre, soit à côté. Je reste droit pour ne pas dire au gardien où je vais tirer et j’ai ma façon de tirer, apprise dans les championnats, je bouge la cheville et la place.

Il t’arrive d’être anxieux avant un tir ?

Une seule fois. Contre Instituto le jour où nous jouions la montée. On perdait 1-0, on n’était pas bons, le résultat n’était pas bon et donnait des maux de tête. Les gens étaient énervés par le but d’Instituto, on a eu un penalty, je me suis approché et j’ai regardé sur le côté, vers la platea, il y avait un enfant qui pleurait et serrait son père, je me suis dit « non mais qu’est que je fais ici ? » J’ai pensé que je tirerai fort et haut, j’ai ouvert la jambe et l’ai mise dans le petit filet, dans l’angle.

Contre le Nacional en finale de la Libertadores, tu n’étais pas nerveux ?

Non, rien. Aucune nervosité.

Mais tu ne t’es jamais dit : « j’ai mis tous mes penalties, que va-t-il se passer si je manque celui-là… » ?

Nooooon. Si ce genre d’idée me passe par la tête, je irai voir mes coéquipiers et leur dirai : « que quelqu’un d’autre tire ». Aucun doute, j’étais tranquille, je savais que le gardien allait bouger pour anticiper et j’allais la mettre de l’autre côté. Je joue avec les nerfs des gardiens, le stade était plein, peuplé de Cuervos (NDLR : surnom des supporters de San Lorenzo), je me suis dit: « Amène les avec toi ». Je me suis concentré. Pendant que les autres joueurs discutaient avec l’arbitre, j'ai pris le ballon, je me suis dit « je suis le meilleur, je suis le meilleur ». Je te juste que je l’ai dit comme ça et les gens ont commencé à crier « Gordooooo, Gordooooo », j’ai dit à voix haute « je suis le meilleur.»

Tu as failli être forfait pour ce match

Je me suis fait une contracture au Paraguay et j’ai demandé à Bauza de sortir mais à aucun moment je n’ai envisagé manquer le retour. J’aurais préféré mourir sur le terrain (rires).

Un entraîneur peut changer ta vie. Ramón Díaza changé la mienne en me faisant venir à San Lorenzo.

On peut jouer avec une déchirure ?

Il y a déchirure et déchirure. Ça dépend aussi du joueur et de l’endroit déchiré. Si tu es un joueur explosif, tu ne peux pas jouer. J’ai joué avec une distension de l’adducteur et j’ai essayé de ne pas trop frapper, au mollet en revanche, c’est impossible parce que tu travailles toujours dessus.

Tu sais combien de penalties tu as manqués ?

Depuis que je suis en Primera, il n’y a qu’Ibáñez qui m’en a arrêté un (NDLR : l’entretien a été réalisé avant le raté face à Huracán). A Dubai, j’en ai tiré une quinzaine et n’en ai raté aucun. Une fois, on jouait un derby et il y avait Diarra. On a eu un penalty et il m’a pris le ballon. Je suis resté ferme et on a eu une discussion. Au final, j’ai tiré.

Lors du Paraguay – Espagne de la Coupe du Monde 2010, si tu avais été sur le terrain, tu l’aurais laissé à Cardozo ?

Je l’aurais tiré je crois. Dans une équipe, tout le monde sait qui tire le mieux les coups francs, les penalties. J’aurais été voir Cardozo et l’aurait tiré parce que si tu y vas timidement pour demander à le tirer, tu ne le tires pas.

En d’autres termes, si tu avais été sur le terrain ce jour-là, l’Espagne n’aurait jamais été championne du monde ?

Qui sait ! J’ai joué un seul match lors de cette Coupe du Monde, face au Japon en huitièmes. J’ai joué 75 minutes parce que Cáceres avait pris deux jaunes. J’étais bien ce jour-là, j’ai tout fait, j’étais partout. Après ce match, les gens ont poussé en ma faveur, je pensais que je serai titulaire face à l’Espagne, mais Tata voulait plus de marquage. Il m’a demandé de m’échauffer en première mi-temps, m’a appelé pour un changement et à mi-chemin, s’est ravisé, m’a dit « non, non », j’ai continué à m’échauffer.

Tu pensais jouer plus lors de cette Coupe du Monde ?

A dire vrai oui. Je venais d’être sacré champion avec Argentinos, de jouer à un grand niveau, Boca, River, San Lorenzo et le Racing me voulaient mais à la fin des éliminatoires, Martino ne m’a pas pris.

Tu lui as dit quelque chose ?

Nooon, je ne dis rien aux entraîneurs. Quand je chauffe, je vais courir. Depuis, j’ai joué la Copa América argentine de bout en bout, de même que celle au Chili avec Ramón Díaz.

Ça t’a surpris quand Ramón Díaz t’a donné le capitanat ?

« Je voudrais que tu sois mon capitaine, tu l’as gagné tout seul, je te félicite ». C’est ce qu’il m’a dit. Toute ma vie je remercierai Ramón. Il est le coach qui m’a fait venir à San Lorenzo, qui me voulait vraiment. Quand il était à River, il me voulait aussi. Maintenant il me donne le capitanat après un temps sans avoir joué avec la sélection. J’ai eu de nombreux entraîneurs mais il est le seul qui a vraiment dit « j’aime Ortigoza ». Un entraîneur peut changer ta vie. Il a changé la mienne en me faisant venir à San Lorenzo.

Maradona aussi te voulait en sélection argentine non ?

C’était fin 2008. Mon téléphone sonne. « Salut Orti, c’est Diego » me dit-il. Je demande « Quel Diego ? » « Diego Maradona. - Allez c’est bon idiot, t’es qui ? » Il me répond encore « Diego Maradona ». Sur les nerfs, je raccroche. Je cours voir mon père et lui dit que Maradona m’a appelé « attendons de voir s’il rappelle » lui dis-je. Il a rappelé, j’ai eu honte. Il m’a dit qu’il voulait que je participe aux entraînements avec la sélection qui devaient se dérouler à la fin de l’année. Au final, il y a eu la triangulaire entre San Lorenzo, Tigre et Boca. Les entraînements ont été annulés et donc je n’ai jamais pu m’entraîner avec Diego.

Photo : JUAN MABROMATA/AFP/Getty Images

Et Martino t’appelle.

Claudio Vivas, qui était mon coach à Argentinos et connaissait bien Martino et son entourage, me demande si j’aimerais jouer pour le Paraguay. Quelque temps plus tard, on me demande si cela m’intéresse. J’ai beaucoup de famille au Paraguay : mes parents, grands-parents, oncles, neveux, tous sont paraguayens.

La décision a été dure à prendre ?

Maradona m’a appelé pour une sélection locale, Martino pour la sélection réelle. Tu vois ? J’en ai parlé avec mes parents, mes frères, mon agent, qui ne voulait rien savoir, me disait d’attendre Maradona, mais Diego a essayé cent joueurs et j’ai pris ma décision.

Tu parles guaraní ?

Je le comprends mais ne le parle pas. Mon père le parle donc depuis tout petit je l’ai entendu.

Et tes coéquipiers ne le parlent pas entre eux quand ils ne veulent pas que les argentins comprennent ?

Non. Mes coéquipiers sont de bons gars et me traitent de manière grandiose. De plus, comme je te l’ai dit, je le comprends. Sur le terrain en revanche, on l’utilise quand on ne veut pas que les adversaires comprennent.

Qu’est ce qui a été le plus dur : être champion avec Argentinos ou remporter la Libertadores avec San Lorenzo ?

Champion avec Argentinos. San Lorenzo avait des joueurs de renom, une hinchada qui te soutient toujours et te porte. Tu entres sur le terrain et tu vois les gens… ça me rend toujours fou.

Quel souvenir gardes-tu de tes débuts ?

Contre San Martín de Tucumán en Nacional B. Batista me dit de commencer par un petit pont histoire de prendre confiance. Au final, je n’ai pas fait de petit pont mais un coup du foulard près du corner. Je garde un grand souvenir d’el Checho Batista et d’el Chino son frère, des personnes qui m’ont énormément aidé. Domenech aussi. Il m’aimait et me parlait beaucoup.

Pourquoi es-tu allé jouer aux Emirats ?

Mon frère avait reçu une offre et je lui avais dit que je ne voulais pas y aller mais on avait vécu une année épuisante avec San Lorenzo pour se maintenir en Primera. Je me suis dit : « ok sur le principe ». Mon frère a demandé une fortune histoire de ne pas y aller et ils ont accepté. Ça m’a servi à changer d’air. Avec mes coéquipiers, on parlait par signes, j’étais comme Bernardo dans Zorro.

Il est si mauvais le championnat ?

Il n’y a pas grand-monde et le peu de gens qui sont au stade sont froids, il fait très chaud, la nourriture est différente. Ils m’ont bien accueilli mais une fois, mon partenaire de chambre, un arabe, se lève et se change. Je me dis « putain, je me suis endormis ! », je saute du lit, m’habille et demande où était le petit déjeuner. Il était 4h du matin, il allait juste prier. Ils se sont bien moqués de moi…

Si c’était à refaire, tu alignerais la même équipe face au Real Madrid ?

Oui. El Patón la répèterait et el Patón la gagnerait, c’est un homme très intelligent.

C’est très bien que tu le referais, mais je veux juste savoir si tu irais de nouveau affronter le Real avec l’unique intention de ne pas en prendre trop….

Ce n’était pas notre idée ! Ce que nous voulions faire c’était de réduire les espaces parce que s’il y a le moindre trou face au Real, ils t’en mettent cinq. Et puis l’arbitre a tout sifflé en leur faveur. Déjà que ce sont des cracks, si en plus l’arbitre leur donne tout, tu ne peux pas les battre. C’était impossible de la battre.

Tu as vraiment dit à Cristiano « Viens donc faire le beau à Catán ! » ?

Non, je ne lui ai pas parlé mais j’ai fait un sprint avec lui et j’ai gagné, regarde la vidéo, elle est sur twitter « Ortigoza a battu Cristiano Ronaldo », vas la voir, ils ont mis la photo…

Tu parles à tes adversaires sur le terrain ?

Je parle peu et quand on me frappe, j’essaie de ne pas pleurer, c’est pour cela que ça m’énerve quand quelqu’un se plaint pour un coup.

Photo : ALEJANDRO PAGNI/AFP/Getty Images

Ton meilleur et ton pire entraîneur ?

Asad fut le pire et de loin. Les meilleurs : Borghi, Ramón et el Patón (NDRL : Bauza).

Ce que tu as préféré chez Bauza ?

Jamais il ne désespérait, restait toujours calme. Il laissait le joueur décider : il te donnait l’idée, sans te faire devenir fou et tu pouvais changer d’idée en cours de match, il était un coach qui te laissait décider.

Le pire ?

Ahhh les séances vidéo de 30 minutes, il éteignait la lumière et plusieurs d’entre nous s’endormaient.

Tu as pensé arrêter le foot un jour ?

Oui à Argentinos, juste avant d’arriver en Primera. Je voyais mes coéquipiers comme Pisculichi et Lucas Barrios a qui ont donnait leur chance et pas à moi. Dans ma catégorie, j’étais l’un des meilleurs et ils ne me donnaient pas ma chance alors qu’aux autres oui. J’ai dit à mon père : « le jour où ils vont me donner ma chance, je vais tout casser, » mais la chance n’arrivait pas jusqu’à ce que j’explose et dise « j’arrête ». Mon père m’a dit « attends un peu, ne mets pas ta carrière sur le flanc ». Il m’a sauvé.

Quand as-tu connu Riquelme ?

Un intendant d’Argentinos était très ami avec Román et c’est par lui qu’on a été invité à manger un jeudi : Caruzzo, Peñalba, Prósperi. Le dimanche on joue contre lui à la Bombonera. Je ne pouvais l’arrêter et à un moment il court et dribble. Je me lève et tire la main. L’arbitre ne dit rien. « Que fais-tu ? » me dit-il à moitié en colère. « Que veux-tu que je fasse si je ne peux pas t’arrêter ? Tu préfères que je te mette un coup et te blesse ? » lui ai-je répondu. Il m’a regardé et a continué. Ensuite, il m’a donné son maillot dans les vestiaires. Un crack. J’ai quatre maillots de Riquelme, ce sont les seuls que je ne changerais pour rien au monde. Je ne peux pas croire qu’il ait arrêté.

Mais il a 37 ans…

La façon dont il s’est retiré. C’est une idole. Je ne peux pas croire qu’il se soit retiré de la sorte. J’allumerais la télé pour le voir jouer. Tout le monde dit « quand Maradona ou Messi joue… » moi c’est Riquelme.

Tu as connu San Lorenzo dans un état catastrophique et tu le vois maintenant. Comment les choses peuvent autant changer au sein d’un club ?

Pour moi on doit beaucoup à Abdo (NDLR : Carlos Abdo, ancien président du club), je lui en serai toujours reconnaissant. C’est une personne droite, transparente qui aimait énormément le club mais je pense qu’il était mal entouré. Le changement fut grand, Tinelli et Lammens forment un grand duo.

Lammens est dur en affaire ?

Non, ça va. A un moment j’ai eu des mots avec lui, parce que nos visions divergeaient. Les deux sont directs donc on s’est parlé et aujourd’hui on entretient une bonne relation.

Tinelli s’y connait en foot ?

Oui. Et il l’aime énormément.

Tu joueras à Boedo ?

Je l’espère. Si Dieu le veut, ce sera un rêve d’y être. J’ai acheté quelques mètres. Plusieurs jeunes l’ont fait.

Tu n’as jamais eu la moindre tentation ?

Non, parce que mes parents étaient proches de nous, ne nous laissaient jamais seuls, ne nous laissaient que rarement aller dormir chez des amis et nous parlaient tout le temps. C’est ainsi que je suis resté droit. Il ne faut pas non plus oublier ma femme, Lucila et mes enfants, Federico et Mia, les plus grandes choses que j’ai.

Tes amis dans le foot ?

Peñalba, Mauro Bogado, Caruzzo, Lucas Barrios, qui est comme un frère.

Tu t’es déjà battu avec des coéquipiers ?

Oui, plusieurs fois mais jamais rien de grave.

Qu’as-tu dis à Messi lors de la dernière Copa América ?

A 2-2, on n’arrivait pas à l’arrêter. Vois a quel point les paraguayens sont forts, durs, mais Messi passait entre 4-5 jambes adverses et on ne pouvait pas l’arrêter. On se heurtait, se frappait entre nous (rires). Il passe de 100 à 0 et 0 à 100 sur 20 centimètres. Sur une action arrêtée, je suis à côté de lui « t’es fort en vrai, pas seulement sur Playstation, tu es trop fort là. Putain, comment tu joues ! » . Il a ri et m’a dit « merci ». Je lui ai demandé d’échanger nos maillots.

Il te l’a donné ?

Oui, ce gosse est un phénomène. A la fin du match, je vois Segura qui venait nous saluer dans le vestiaire, je le connaissais depuis Argentinos. Il a sorti un sac avec le maillot et m’a dit : « tiens, Messi te le donne ». Je l’ai caché, je n’ai pas voulu le mettre à laver de peur qu’on me le vole, je l’ai donné à ma famille lorsqu’elle est venue à l’hôtel pour qu’elle le lave à la maison.

Tous tes entraîneurs, Batista, Gorosito, Borghi, Ramón Díaz et el Patón, n’ont que des éloges à ton sujet…

C’est aussi que je suis un gars qui aime s’entraîner et aime aller de l’avant. Avec Pizzi, cela me touchait d’être mis de côté et tout le monde disait « ouuuh le bordel qu’il va mettre » mais il n’en fut rien. Dans tout groupe tu dois avancer, parce que c’est le mieux pour tout le monde et parce que si tu perds, tout le monde perd, personne ne peut s’en sauver. Avec Pizzi, j’étais remplaçant parce que je n’entrais pas dans son schéma mais il m’a toujours respecté. C’est ce qui est bien : qu’on te respecte. Celui que je n’ai pas aimé a été Asad. J’espère ne jamais plus le recroiser, je ne me souviens de rien de bon avec lui. Rien de rien.

Entretien accordé à El Grafico (n°4467, mars 2016), traduit de l'espagnol par Nicolas Cougot

Photo une : JUAN MABROMATA/AFP/Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.