Titulaire en club comme en sélection, sur le point de jouer une nouvelle finale de Ligue des Champions, après la défaite de 2014, et une nouvelle Copa America, après le loupé au Chili l’année passée, Filipe Luis vit une année 2016 aux allures de seconde chance. Pour Globo, le latéral brésilien nous parle de sa forme du moment, de l’Atlético et de Figueirense !

Une étude réalisée par une université Suisse t’a désigné comme le meilleur latéral du monde. Comment tu as reçu cette nouvelle ?

J’ai été heureux. C’est une reconnaissance. Beaucoup d’efforts, beaucoup de travail et beaucoup d’investissement. Dans le même temps, je sais que je dépends complètement de mon équipe. Seul, je ne suis personne. Fondamentalement, ce prix vient quand tu joues en pensant au collectif. Je tente de voler des balles, bien défendre et toujours aider mes coéquipiers en couverture. Tout cela fait que parfois l’on a cette reconnaissance. Mais ce n’est pas mon objectif. Mon objectif est d’essayer de faire que l’équipe soit championne.

Tu fais une grande saison. A 30 ans, tu vis la meilleure phase de ta carrière ?

Sans aucun doute. Pas seulement dans le professionnel, avec le club, nous sommes en finale de Ligue des Champions… j’ai aussi l’opportunité d’être convoqué en sélection. Sur le terrain je me sens sûr, je me sens bien, je connais bien mes adversaires, la meilleure manière de les marquer, le meilleur moment d’attaquer. Tout cela fait que c’est plus facile. Ronaldo (Fenômeno) m’a même dit il y a plusieurs années, je ne pense pas qu’il va s’en rappeler, qu’il se sentait dans une meilleure phase à 30 - 32 ans, parce qu’il connaissait les astuces du terrain. Je n’y croyais pas. Aujourd’hui, à 30 ans, je ne connais pas seulement les astuces, mais physiquement je me sens dans le meilleur moment (de ma carrière).

Peut-on dire que Filipe Luis à éteint Messi en quart de finale de Ligue des Champions ?

Non, je pense que l’Atlético a réussi à l’éteindre. Même comme ça, il est un joueur qui dépend bien plus de l’état d’esprit et de forme dans lequel lui-même se trouve au moment (du match) que (du fait) que les adversaires arrivent à l’éteindre. Evidemment notre équipe a fait un grand travail, nous avons tenté de ne pas le laisser recevoir la balle de face, toujours le prendre par les côtés, et faire beaucoup de fautes parce que Barcelone n’a pas de bons ballons arrêtés (sic). Et nous avons réussi à éliminer sans nul doute la meilleure équipe du monde. Nous avons les pieds sur terre, nous savons qu’ils étaient meilleurs que nous. Mais avec cet effort collectif, on a réussi à faire un match épique.

Qui comprend et aime le football, aime également voir l’Atlético jouer, voir l’équipe jouer avec intensité, tout le monde courant et étant solidaire.

Avec le football que tu proposes depuis quelques temps, penses-tu que tu devrais être plus valorisé au Brésil ?

Non. Quand les gens parlent au Brésil… C’est normal, c’est le travail des journalistes d’analyser, de critiquer s’il y a à critiquer et parler en bien si il y a de quoi parler en bien. Je comprends cela avec la plus grande normalité du monde (sic), parce que je viens de Figueirense et je sais comment est le football brésilien, comme il est différent de jouer au Brésil et de jouer en Europe. Tout comme il est difficile de jouer dans un club et après en sélection. Ici au club je connais les plus petits détails de mes coéquipiers, où ils vont se placer sur le terrain, quand je dois défendre, le moment où je dois attaquer. En sélection ce sont tous des coéquipiers différents, il n’y a pas beaucoup de temps pour s’entrainer. Cette adaptation qui dure deux, trois jours ne donne pas le temps. Souvent on est critiqué, parfois à raison, parfois non. Mais, si je n’étais pas en sélection,  je ne serais pas critiqué. C’est pour ça que j’accepte ces critiques avec joie. L’unique chose que je veux, c’est essayer de jouer le mieux possible pour tenter de (les) transformer en éloges dans le futur.

Tu es un joueur qui sait se projeter vers l’avant, mais qui se caractérise plus par le marquage, dans le style Simeone. C’est ça le style Filipe Luis ?

Non. Le peuple brésilien pense que je suis un latéral totalement défensif. Simeone m’a fait revenir parce qu’il voulait réellement un latéral qui attaque. Qui sache également bien défendre, mais qui soit également une pointe au moment d’attaquer, qui reste disponible sur son côté pour bien y conduire la balle, sortir en contre-attaque et dribbler en un contre un. Il y a des matchs dans lesquels je ne dépasse pas la moitié de terrain, c’est vrai. Contre Barcelone, je n’ai quasiment pas attaqué, parce que ma fonction était plus défensive. Mais il y a des matchs dans lesquels je n’ai quasiment pas à défendre. Le récupérateur reste à ma place, et je suis plus disponible. Tout dépend du match. Selon l’adversaire, il (Simeone) dit si je vais attaquer plus par l’intérieur, par l’extérieur… La fonction de latéral ici en Espagne, et principalement avec Simeone, c’est défendre parfaitement et tenter d’attaquer le mieux possible.

Photo : Alexander Hassenstein/Bongarts/Getty Images

Aujourd’hui le consensus est que la défense de l’Atlético est la meilleure du monde. Comment recevez-vous la critique disant que votre jeu est laid ?

Evidemment c’est beaucoup mieux de regarder des équipes qui jouent au ballon et qui ont de l’initiative dans le jeu, comme Barcelone ou le Bayern. J’aime voir ces deux-là jouer, tout le monde aime. Mais, d’un autre côté, quand tu vas jouer contre Barcelone, il faut déjà dépenser deux joueurs au marquage de Neymar et deux à celui de Messi (sic). A partir de là, tu ne vas pas avoir l’initiative avec la balle, parce que ça va être l’adversaire. Tu vas devoir jouer en contre-attaque. C’est moche de jouer la contre-attaque ? Non, c’est une manière de gagner le match. Qui comprend et aime le football, aime également voir l’Atlético jouer, voir l’équipe jouer avec intensité, tout le monde courant et étant solidaire. Il y a plusieurs manières de voir le football. Il y a des gens qui aiment voir des équipes se créant des opportunités de but avec facilité, et il y a des gens qui aiment voir défendre, un football plus tactique que le nôtre encore. Mais l’objectif est le même : gagner le match.

Que représenterait la victoire en Champions League pour vous ?

Ça serait le plus grand rêve de notre carrière. Conquérir une Ligue des Champions est difficile. Beaucoup de joueurs dans le monde qui sont des idoles ne l’ont jamais gagné. Ibrahimovíc par exemple. Gagner la LdC c’est un rêve, et gagner avec l’Atlético l’est bien plus encore. Qu’on le veuille ou non, si tu joues 10 ans dans des équipes comme Barcelone, le Real Madrid, Manchester United, tu vas en être proche, tu vas atteindre les demi-finales, tu vas toujours avoir cette chance. Mais l’Atlético est une équipe qui revient d’années pleines de souffrance. Maintenant ça a changé, nous arrivons à disputer (le titre) avec ces géants du football européen. C’est ce qui me rend le plus fier de représenter ce club.

En 2014 vous étiez champions jusqu’à la 48e de la seconde mi-temps. Comment a été la perte de ce titre au profit du Real Madrid ?

Compliqué. J’ai passé plusieurs jours à penser à cette finale, sans arriver à dormir. J’ai rêvé plusieurs fois que le match était annulé, qu’il y en aurait un autre, que la prolongation ne valait pas, j’ai eu plein de rêves comme ça (rire). Parce que tu vois vraiment le trophée si près, brillant devant toi, et d’un coup ils le retirent de ton rêve. Mais ça c’est la beauté du football.  Tu penses que tu as la main sur la coupe, et elle est encore loin, il manque encore beaucoup. Une minute c’est un monde. Il y a des gens qui profitent d’une minute et marquent l’histoire. Que cela nous serve de leçon pour cette finale. Nous devons tenter de faire attention au match jusqu’à l’ultime seconde, principalement en sachant que le Real Madrid est le club qui a le plus de Ligue des Champions au monde, ce sont 10 titres.

Simeone veut gagner tous les matchs de présaison, ceux qui ne valent rien, il veut tous les gagner. Il nous transmet cette passion.

Du fait que la finale sera à nouveau contre Real de Madrid, vous allez pouvoir prendre votre revanche ?

Je ne vois pas de revanche, parce que la majorité des joueurs qui étaient dans cette finale ne sont plus là aujourd’hui. Je considère que c’est une nouvelle opportunité que la vie nous donne, une nouvelle chance de pouvoir gagner ce trophée. C’est contre le Real Madrid, mais ça pourrait être contre un autre.  Nous pouvons écrire notre nom dans l’histoire du football, et c’est cette philosophie avec laquelle nous allons entrer sur le terrain dans cette finale.

Quels sont les grands triomphes de Simeone ? Qu’est-ce que tu vois de différent dans son travail ?

Il est un entraineur qui vit beaucoup au jour le jour. Il travaille en pensant toujours au prochain match, jamais deux, trois semaines au-delà. Il étudie très bien les adversaires, les moindres détails des points faibles des rivaux. Alors, tu rentres sur le terrain sachant parfaitement ce que tu vas faire. Je sais quand je dois attaquer, quand je dois défendre, à quel moment je dois partir devant, devant quel type de joueur je peux y aller – parce qu’il y a des joueurs qui défendent mieux, d’autres non – Il tente d’utiliser les points faibles des adversaires, c’est pour cela que je pense qu’il est un entraineur très complet aujourd’hui et je me sens très fier de pouvoir travailler avec lui.

Tu as travaillé avec José Mourinho à Chelsea. Peut-on comparer les deux styles ?

Ils sont complètement différents. C’est déjà ma quatrième, cinquième année avec Simeone, et on a beaucoup d’affinité, on se connaît depuis très longtemps, c’est déjà une relation de véritable amitié. Il a joué au football et sait comment c’est. Avec Mourinho j’ai travaillé seulement un an. J’ai rencontré des difficultés dans mon adaptation à Chelsea. L’unique comparaison c’est que, peut-être au-dessus de tout, ils ont cette ambition immense de gagner. Si ils ne gagnent pas, ils ne sont pas heureux, ils ne parlent pas, ils ne félicitent pas, ils ne disent pas bonjour, leur visage est fermé. Tu vois réellement cette ambition qu’ils ont de gagner tous les matchs. Simeone veut gagner tous les matchs de présaison, ceux qui ne valent rien, il veut tous les gagner. Il nous transmet cette passion.

Pourquoi tu n’as pas réussi à Chelsea ?

Je ne pense pas comme ça. Quand je commence la saison, je suis déjà sur le banc. Je ne me trouvais pas bien. C’est différent, le match (en Angleterre) c’est plus un va et vient (sic), tu ne te sens pas si protégé en défense. Il y a plus de ballons aériens, ce qui n’est pas un de mes points forts. Et tout cela faisait que moi-même je doutais de mon potentiel. Après, quand j’ai commencé à jouer, j’ai commencé à me sentir mieux, j’ai fait de grands matchs. J’ai joué 30 matchs au total et j’ai aidé l’équipe à conquérir deux titres. Je me sens également comme partie de ce Chelsea champion.  Mais je ne me sens pas comme je me sens aujourd’hui. Ici à l’Atlético je peux emmener l’initiative de l’équipe au moment d’attaquer, je peux sortir pour jouer, j’ai toute la confiance du monde avec l’entraineur. Cette confiance que je ressens ici a été le principal motif qui m’a fait vouloir revenir. A partir du moment où j’ai voulu revenir, j’ai arrêté d’avoir la tête à Chelsea. J’en suis venu à penser que je voulais revenir et j’ai réussi à revenir au sein du club que j’aime.

Qu’est ce tu penses de l’équipe de Zidane ? De quoi te souviens-tu de l’époque où il était joueur ?

C’est un phénomène, un crack. Quand je jouais dans l’équipe B du Real Madrid, j’ai eu l’opportunité de m’entrainer avec lui et de le voir de plus près.  C’était un grand joueur, l’un des meilleurs de tous les temps.  Mais, comme entraineur, ça ne veut rien dire. Il est clair qu’il important d’écouter un type qui a gagné tant de choses, mais la partie tactique c’est beaucoup plus important que n’importe quel titre individuel qu’il a reçu avant en tant que joueur. Je pense qu’il a réalisé un changement important au Real Madrid depuis qu’il est arrivé comme entraineur, l’équipe s’est beaucoup améliorée. Il a aussi déjà prouvé qu’il est bon dans la partie tactique et il a beaucoup de mérite à emmener le Real Madrid en finale après le début de saison irrégulier de l’équipe.

Griezmann, ton coéquipier à l’Atlético, vit une bonne période et il est aussi la principale vedette de la France à l’Euro qui arrive. Tu as parlé avec lui de cette phase ? Qu’attends-tu de lui ?

Il est la principale référence de la France et également de l’Atlético aujourd’hui. Le principal motif de ce succès est qu’il est solidaire. Quand il arrive devant le but, il regarde toujours si il y a un coéquipier, il pense à l’équipe, se sacrifie, revient pour défendre. Cela fait qu’il est aujourd’hui la référence de la France. Lui, clairement, veut gagner cette Euro, cette Ligue des Champions, et il se sent en confiance, de ce qu’il m’a dit. Je lui dis qu’ils (la France) ne vont pas gagner, que ce sera plus l’Espagne, mais lui est confiant.

Tu prétends revenir au football brésilien un jour ?

Je me suis souvent posé la question (rire). J’en entends beaucoup qui veulent revenir, d’autres non. C’est difficile. Mon contrat avec l’Atlético va se terminer quand j’aurai 35 ans. Et je ne veux pas revenir au Brésil juste pour revenir. Revenir par exemple à Figueirense, qui est le club où j’ai commencé, et salir toute mon image en étant mal physiquement, en ayant pas le même niveau, ce n’est pas mon objectif. Si je reviens au Brésil, il faut que ce soit avec un grand niveau physique, technique, il faut être dans une grande période pour pouvoir non seulement participer au parcours d’un club, comme le Corinthians, où j’aimerai jouer, ou un grand club de ce niveau comme São Paulo ou Flamengo, mais aussi marquer l’histoire. Jouer pour jouer ne fait pas partie de mon objectif.

Et ton souhait serait Figueirense ? C’est ton équipe de cœur ?

Oui. Si c’est pour rendre, j’aimerai rendre à Figueirense (sic). C’est le club qui est venu me chercher à la maison à 14 ans, m’a donné à manger, l’école, m’a donné cette opportunité. Jamais je n’ai eu de difficultés à Figueirense, ils m’ont donné tout le soutien possible dans les catégories jeunes. Mais jamais je ne ferme la porte pour qui ce soit, parce qu’on ne sait pas ce qui va arriver dans le futur.

Traduit du portugais par Simon Balacheff pour Lucarne Opposée

Photo une : Buda Mendes/Getty Images

Simon Balacheff
Simon Balacheff
Médiateur culturel, travailleur humanitaire et bloggeur du ballon rond tourné vers l'Amérique Latine. Correspondant au Brésil pour Lucarne Opposée