Le joueur de 22 ans s'est longuement confié pour La Nacion. Il évoque sa saison, sa carrière et son Argentine. LO vous en propose sa traduction, l’occasion pour vous de découvrir un garçon à la tête bien faite.

Un pibe de 22 ans, buteur et champion avec la Juventus. Tu pourrais presque prendre ta retraite après avoir gagné ce dont beaucoup rêvent.

La vérité c'est que quand tu accomplis tes objectifs, après c'est compliqué de t'arrêter. Lorsque tu es habitué à gagner, tu veux continuer à gagner et c'est positif. J'ai pu gagner des titres, mais en vérité je viens à peine de démarrer. Dans ma tête, je me mets toujours des objectifs importants et après je veux continuer à gagner où je suis.

Ta carrière est particulière parce que l'Instituto ne monte pas en Primera Division, Palerme t'appelle, tu vas en Série A, tu descends et tout de suite la Juventus t'appelle. Tu réussis à transcender tes équipes. Qu'est-ce qu'ils voient en toi ?

Ma carrière n'a pas bien démarré, avant que je débarque en Europe à 18 ans.  Heureusement les choses se sont ensuite déroulées différemment, notamment quand je suis arrivé à la Juve à 21 ans. Quand je suis allé à Palerme j'ai été beaucoup critiqué pour avoir été le transfert le plus cher de l'histoire du club. J’ai toujours essayé de rester tranquille et de montrer que le prix qu’ils avaient payé pour moi correspondait à ma valeur.

Les supporters de la Juve pensaient que Tevez allait leur marquer, mais tout de suite tu t’es montré et tu l'as fait un peu oublier, non?

Oui, actuellement parce que nous avons fait une grande saison. J'ai réalisé une très bonne saison dans laquelle j'ai battu le record de buts de Carlitos lors de sa première année. Donc, en ce sens, les gens l'ont un peu oublié. Mais bon, il n'est pas facile de reproduire tout ce qu'a démontré Carlos lors de ces trois ans.  Pour l'instant les choses se passent bien, j'ai pu marquer quelques buts et gagner trois trophées.

Que signifie pour toi de porter le numéro 21, porté par exemple, par Pirlo ?

C'est un numéro très important. Quand je suis arrivé j'ai voulu prendre le 9 par ce que c'est le numéro que j’avais à Instituto et à Palerme. J'avais toujours joué avec le même numéro. Mais je savais que Morata l'avait. Il faut être respectueux quand on arrive dans un grand club.  La Juve m'a dit qu'il voulait me donner le numéro 21. J'ai senti un peu de poids car Pirlo l'avait laissé l'année dernière, mais les choses se sont bien passées et, à la fin, ça n'a pas été un poids.

Tu partages le vestiaire avec Buffon, Pogba, Mandzukic, Bonucci, tu parlais de Morata.  Qu'est-ce que tu apprends auprès de tels joueurs ?

C'est un vestiaire où j'ai été agréablement surpris, au-delà des noms. C'est un groupe très humble qui m'a beaucoup aidé depuis le premier jour. Ils m'ont très bien traité et je pense que c'est ce qui fait les grands clubs.  Les grands joueurs, au-delà du fait qu'ils ont gagné beaucoup de titres, comme Buffon et Khedira, qui sont champions du monde, aident beaucoup de par leur expérience et leur humilité. Des joueurs comme Bonucci, Barzagli, Chiellini, Marchisio, qui sont au club depuis très longtemps, t’apprennent comment vivre ici, comment travailler.

Pensais-tu que la Juve te dirait non pour aller aux J.O ?

Je m'en doutais parce que quand je leur ai dit que j'allais être convoqué pour disputer les J.0 ils m'ont dit : « On va voir, ce n'est pas facile de te laisser, on va en parler à l'entraîneur et aux dirigeants. » Là, je me suis rendu compte que ça allait être difficile par ce que le championnat reprend en pleine compétition des J.O. La préparation est très importante pour la Juve.

Martino a été surpris ?

Il doit être surpris parce que je crois que les autres clubs ont accepté de libérer leurs joueurs. En vérité je ne sais pas parce que la liste n'a pas encore été dévoilée. Le sélectionneur s'attendait sûrement à un oui.

Tu parles souvent avec Martino ?

Oui, je lui ai parlé quelques fois. Il a voyagé en Europe quand je jouais à Palerme. J'ai une bonne relation avec le sélectionneur.

Photo : LUIS ACOSTA/AFP/Getty Images

Que préfères-tu : la Copa America ou les J.O ?

Personnellement, les deux sont très importants parce que je n'ai jamais eu l'opportunité de jouer un tournoi avec la sélection, de voyager, de partager un mois avec l’effectif, de connaître plus mes coéquipiers. Je n'ai pas eu l'occasion non plus de le faire en sélections de jeunes. Jouer la Copa ou les J.O c'est pour moi très important, par ce que je n'ai jamais eu l'occasion d'y participer.

Et tu n'as pas osé lui dire que tu voulais jouer la Copa America ?

Non. La liste est faite. Si ça ne tenait qu'à moi je jouerais la Copa et les jeux. J'ai 22 ans et, heureusement, ma tête et mon corps fonctionnent bien. Mais ce n'est pas moi qui prends la décision. Le sélectionneur doit préparer une liste et ce n'est pas facile avec la quantité de bons avants-centres qui existent. Je savais que ça allait être difficile de disputer la Copa.

Tu rêves du mondial 2018 ?

Bien sûr. Un rêve, comme je rêvais de disputer la Copa et les Jeux. Je crois que pour un footballeur, disputer un mondial est le rêve ultime, représenter son pays et avoir la possibilité d'être champion du monde, c'est quelque chose d'incomparable dans le football. Je vais essayer d'arriver au Mondial.

L'idéal serait d'y aller avec plus d'expérience...

Bien sûr. Avoir de l'expérience avec la sélection est très important. Mais bon, il faut savoir qu'il y a beaucoup d'avants-centres argentins dans le monde qui ont les mêmes rêves et objectifs que moi. Ce n'est pas facile. Ce n'est pas non plus facile pour l'entraîneur qui doit construire une équipe et avoir des joueurs à cent pour cent.

Pendant la Copa America, où vas-tu être ?

Sûrement à Córdoba, en mangeant quelques bons asados avec mes amis pendant que je regarderai les matchs.

Tu vis assez tranquillement ta non sélection…

Oui parce que je l’ai digérée. Mais sur le moment ça m’a fait très mal, je ne comprenais pas.

Quelles sont les choses différentes que tu pourrais apporter à l'attaque argentine ?

Cela dépend de la position à laquelle Tata m’utilise, je suis un peu différent des autres 9.  A la Juventus je joue un peu enganche ou je joue deuxième attaquant et en sélection je joue avant-centre avec la liberté de me déplacer sur tout le front de l’attaque.

Te mettrais-tu 9 ?

En sélection, je me mettrais dans n'importe quel poste afin de jouer. Mais je me sens plus à l'aise dans les deux positions. A Palerme j'ai joué beaucoup de fois en 9 avec un enganche derrière moi et maintenant à la Juve, je joue enganche avec un 9 devant moi, c'est moi qui porte le ballon. Et c'est pour cela que je reçois plus de coups.

Tu es relativement proche de Messi. As-tu cherché à reproduire les mêmes gestes que lui ?

Bien que ce soit très difficile, oui. Parfois, il fait des choses qui sont difficile à reproduire ne serait-ce qu’à l’entraînement. Tu essayes de l’observer. Personnellement, je l'admire beaucoup et j'essaie de regarder tous ses matchs, parce qu'au-delà de vouloir reproduire ce qu'il fait, il est agréable de voir jouer de tels joueurs qui rendent si simple des choses tellement compliquées.

En tant que descendant de Polonais et d'Italien : t’ont-ils approché pour que tu joues dans leurs sélections ?

Il y a un an, quand Antonio Conte était le sélectionneur de l'Italie, ils me l'ont proposé et je leur ai dit non. Je les ai remerciés, mais mon objectif était de jouer pour  l’Argentine. Les autres qui se sont approchés ont été les polonais, mais à eux aussi je leur ai dit non. C'était des réactions immédiates, bien que j'en aie aussi parlé à ma famille.

Tu évoquais les grand nombre de coups reçus : tu en as pris plus en D2 argentine ou en Italie ?

Le football italien est dur et les arbitres ne protègent pas beaucoup les joueurs habiles, mais dans le football argentin, ça joue encore plus dur. Je n'oublierai jamais quand Furios (Iván) m'a donné un coup sur les deux genoux. Le plus gros coup que j’ai jamais reçu.

Et comment as-tu fait pour te contenir de ne pas répondre quand il t'a donné ce coup ?

Je ne me plains pas à l'arbitre ou auprès de l'adversaire. Je choisis de l'affronter à nouveau et à chercher la faute. Je préfère prendre le coup et le voir expulsé.

Tu n'es pas arrivé à jouer en Primera Division. Est-ce un regret ?

Bien sûr. Depuis tout petit, mon premier rêve était de jouer dans une équipe de première division et en première division. Après Instituto, quand nous n'avons pas pu réussir à monter, je suis allé à Palerme et ce départ m’a privé de l’opportunité de jouer en Primera Division. Je ne sais pas quand mais je voudrais revenir jouer ici en Argentine.

Photo : Tullio M. Puglia/Getty Images

Quand t'es-tu rendu compte que tu étais bon au football ?

Quand je jouais dans les divisions inférieures avec Instituto, je ne croyais pas vraiment que j’allais y arriver. Je jouais en cinquième division et je n'avais pas d'opportunité. En général ceux qui ont des qualités commencent déjà à s'entraîner avec l'équipe première à cet âge et j'étais relégué dans la cinquième. Mais par chance, Dario Franco est arrivé et a commencé à  donner des opportunités aux jeunes et ça a été cet élément qui m'a donné confiance. Alors, j'ai exploité la chance qu'il m'avait donnée.

Petit, as-tu demandé à aller dans un club ou cela a été une décision de ton papa ?

Non. Cela s'est fait au hasard. Je jouais au club de mon village et un entraîneur s'est approché de mon papa en lui disant que j'avais des qualités et qu'il était mieux pour moi d'aller dans un club meilleur pour progresser. Quand j’avais 10 ans, il m’a fait faire un essai à Instuto, je n’en suis plus parti.

De quoi t’a privé le football ?

J'ai dû mettre de côté de nombreuses choses pour être footballeur, parce que si tu veux obtenir quelque chose, il faut être sérieux. Quand j'ai commencé à jouer en équipe première, c'était à un âge où nous commencions à sortir avec mes amis, nous allions à d'autres villages, rencontrions des filles et nous nous amusions. Cependant, le moment est arrivé où j'ai dû me décider. Je voulais être footballeur et vivre de cela. Grâce à dieu ce sacrifice a porté ses fruits.

Comment sont les routes à Laguna Larga ?

Il y a longtemps, un an que je n'y suis pas retourné, j'ai toute ma famille et mes amis là-bas. Je suis revenu au pays mais pour la sélection, pour peu de jours et je ne pouvais pas aller voir les miens. Ils me manquent, je vais essayer de partager des choses que j'ai toujours voulu partager quand je reviendrai.

Comment a été ton enfance ?

Simple, comme celle de n'importe quel pibe vivant dans un village de l’intérieur (NDLR : l’intérieur désigne tout ce qui est en dehors de Buenos Aires). J'arrivais du collège, mangeait quelque chose et je partais jouer avec mes amis. Après, avec le temps j'ai commencé à me rendre compte qu'il est mieux de chercher d'autres endroits pour grandir.

Étais-tu bon élève ?

Oui, j'ai toujours été sérieux dans les études. Ma mère est très stricte et elle m'a toujours inculqué que le plus important est d'étudier. Elle ne voulait pas que je parte à Instituto sans que je ne termine l'école. Heureusement mes frères se sont réunis et l'ont convaincu à ce que je puisse étudier et jouer.

Lisais-tu beaucoup ?

Je ne suis pas quelqu'un qui lit beaucoup, mais quand je peux, ou quand j'ai le temps, je le fais. Au collège, j'étais sérieux et les choses m'étaient très faciles, même sans lire.

Photo : Valerio Pennicino/Getty Images

Quel effet a eu la mort de ton père sur toi ?

Ce fut contradictoire. Par ce que sur de nombreux aspects, cela m’a rendu plus fort mais d’un autre côté, il aurait pu m’apporter tellement plus. Beaucoup de choses auraient été plus faciles avec lui, j'étais très dépendant de lui, il s'occupait beaucoup de moi. Quand il est parti, tout est devenu plus dur par ce que ma mère avait son travail, mes frères avaient leur vie, et j'étais un peu à la dérive. Jusqu'à ce que je prenne la décision de rester à vivre en pension à Instituto.

Après un tel coup dur, est-il vrai que sur le terrain on oublie tout ?

Totalement. Quelques jours après le décès de mon père, je suis allé jouer avec Instituto et j'ai tout cassé. Je n'avais jamais couru comme ça, jamais crié comme ça, jamais fait de telles choses sur un terrain. Je ne l'ai pas oublié.

Tu suis l'actualité d’Instituto ?

J'essaie de suivre sur les réseaux sociaux. Maintenant, il y a un changement de dirigeants et on attend le renouveau. En général, je suis l'actualité du football cordobés. J'aimerai voir jouer Instituto, Belgrano, Talleres en Primera Division, ça serait une belle promotion pour le football cordobés.

Comment vis-tu les rumeurs t'envoyant au Real Madrid ou Barcelone ?

Je dois préciser que mon travail est de jouer au football, celui qui se charge de cela est Paolo Triulzi, mon représentant. Je suis très tranquille, beaucoup de choses qui se disent sont des mensonges.

Même si on parle de 90 millions d'euros...

Si c'est vrai ça me fait plaisir, parce que cela signifie que je fais les choses bien et c'est important pour moi. Je remercie aussi la Juventus parce qu'il ne doit pas être facile de dire non à une telle offre. C'est sûrement beaucoup d’argent, mais ça montre l'amour qu'ils ont pour moi. Aujourd'hui je suis dans l'un des meilleurs clubs du monde, qui est la Juventus, et je suis très heureux ici.

Traduit de l'espagnol par JC Abeddou pour Lucarne Opposée.

Photo une : FILIPPO MONTEFORTE/AFP/Getty Images

JC Abeddou