Champion du monde en 1970 aux côtés de Pelé, Rivelino et Jairzinho, Tostão s'est livré pour El País avant le match des éliminatoires entre le Brésil et la Bolivie, remporté 5-0 par la Seleção.

Vainqueur cinq fois consécutivement du championnat mineiro entre 1965 et 1969 et meilleur buteur de l'histoire du Cruzeiro, Tostão a du prendre sa retraite à  26 ans suite à un problème à l’œil. Devenu médecin après avoir repris ses études à la fin de sa carrière, Tostão reste aujourd'hui un observateur averti du football et vient de sortir son autobiographie « Tempos vividos, sonhados e perdidos ». Lucarne Opposée vous propose la traduction de l'interview où il aborde le Brésil de Tite, Neymar, le niveau des entraîneurs brésiliens et la corruption généralisée au sein de la CBF.

Comment évalues-tu le travail de Tite depuis son arrivée à la tête de la Seleção ?

Très bon et même surprenant dans la rapidité à obtenir de bons résultats. L'équipe gagne et joue bien mais seulement au Brésil, c'est toujours comme ça : ça commence bien, c'est magnifique, Tite est génial. Si Dunga faisait la même chose, ça serait un guignol. Je pense que cette euphorie, cette enflammade, c'est dangereux car il y a encore beaucoup de choses à travailler et à améliorer.

Tu vois une évolution dans le jeu du Brésil par rapport aux dernières années ?

Oui. Ce qu'on a vu au Corinthians de Tite, qui était une exception dans le championnat brésilien, apparaît déjà chez la Seleção. Cet échange de passes, un jeu en triangle, une récupération haute. Ce sont des caractéristiques du football mondial, Tite n'invente rien. C'est ce qui est fait depuis des années en Europe et ça commence à arriver seulement maintenant ici. Tite sait faire ça. Et puis c'est quelqu'un d'aimable, qui sait parler aux gens, au contraire de Dunga qui était irritant. Il y a beaucoup d'espoirs mais c'est encore tôt pour toute cette euphorie.

Avant l'arrivée de Tite, tu disais que tu voulais voir Jorge Sampaoli diriger la Seleção. Pourquoi les entraîneurs argentins sont si supérieurs aux brésiliens actuellement ?

Il y a un débat pour savoir pourquoi il n'y a pas d'entraîneurs brésiliens en Europe alors qu'il y a beaucoup d'Argentins. Pas seulement en Europe mais aussi en Amérique du Sud, où six entraîneurs qui disputent les éliminatoires sont argentins. La principale raison, c'est que les Brésiliens gagnent beaucoup d'argent au pays et ne souhaitent pas aller dans une petite équipe européenne pour commencer leur carrière.  Par orgueil, ils pensent qu'ils peuvent entraîneur le Barça, le Real Madrid ou le Bayern. Cette prétention et les salaires élevés expliquent cela. Une autre raison, c'est la barrière de la langue. Les entraîneurs brésiliens sont paresseux et ne souhaitent pas apprendre l'espagnol, l'anglais ou le français. Les Argentins ont cette facilité en plus, du moins pour l'espagnol.

Les entraîneurs brésiliens sont dépassés ?

Les entraîneurs brésiliens, après avoir été dépassés, se renouvellent, principalement depuis la Coupe du monde 2014. Ils se réveillent enfin. Jusqu'à la Coupe du monde, 99% des entraîneurs s'indignaient si quelqu'un leur disait qu'ils étaient en retard par rapport aux entraîneurs en Europe. Aujourd'hui, ils sont flattés de faire des stages avec Guardiola, Mourinho et autres grands entraîneurs européens.

Tite a aidé le football brésilien à se moderniser ?

Oui, c'est un précurseur de cette tendance. Le Corinthians champion du monde en 2012 jouait comme une équipe européenne. C'était une innovation dans le football brésilien, avec une rigueur tactique très importante. Depuis la Coupe du monde, de nombreux entraîneurs commencent à jouer comme ce qui se fait en Europe. Le football brésilien subit encore le jeu de ces vingt dernières années, quand le jeu aérien, l'excès de fautes et le vice étaient valorisés. Il y a encore cette influence, mais ça va mieux. Le football brésilien se modernise. Ce qui a été fait lors des vingt dernières années, c'était le contraire du football brésilien des années 1970 et 1980. À cette époque, le Brésil avait une équipe qui jouait au sol, avec un jeu flamboyant. C'est ce que font les grandes équipes aujourd'hui, avec plus de vitesse et d'intensité. Le Brésil est passé de symbole du jogo bonito à un football dépassé. Aujourd'hui, ils reviennent à ce qui se fait dans le football européen.

Les joueurs sont responsables de ce manque d'évolution dans le football brésilien ? Il y a un problème avec la formation des joueurs ?

Le Brésil a été en retard et le manque de collectif a eu une influence négative sur la formation des joueurs. Une chose en entraîne une autre. L'exemple le plus marquant est l'absence d'un grand milieu de terrain brésilien sur ces vingt dernières années. Ça s'explique par la séparation au milieu entre les milieux défensifs qui ne font que défendre et les milieux offensifs, positionnés près des buts adverses. Il n'y a plus cet échange de passes au milieu de terrain. Les Allemands et les Espagnols le font très bien. C'était la force du Brésil à mon époque et aujourd'hui, ce n'est plus le cas. On avait Gérson, Rivelino, Clodoaldo puis Falcão, Cerezo. C'est ce que font aujourd'hui Iniesta, Rakitic, Modric et Kroos, ou ce que faisaient Xavi et Schweinsteiger. Cette caractéristique importante pour les Européens était dévalorisée par les Brésiliens. On a formé beaucoup de dribbleurs de surface. C'est seulement un exemple du mauvais chemin qu'a pris le football brésilien. Désormais, le Brésil commence à rattraper le temps perdu. Tite a cette qualité, il insiste sur le jeu de passes dès la défense. C'était une caractéristique du jeu du Corinthians et c'est ce qu'il tente de faire avec le Brésil mais on a aucun grand joueur au milieu.

Renato Augusto, Paulinho et Giuliano ont ce rôle...

Oui, l'idée est la même, mais c'est différent d'un Kroos, d'un Modric, d'un Iniesta ou d'un Busquets.

Quel est ton avis sur Neymar ? Tu penses qu'il sera le meilleur joueur du monde ?

Je ne sais pas, mais c'est un joueur phénoménal, un spectacle à lui tout seul. Il sait très bien faire tout ce qu'un attaquant doit savoir faire. Il frappe bien, il dribble bien, il est intelligent. Il fait de bonnes passes, il tire les coups francs et est très rapide. Il ne l'est pas encore, mais il a de grandes chances de devenir le deuxième plus grand joueur de l'histoire du football brésilien, seulement derrière Pelé.

Plus grand que Ronaldo et Romário ?

Oui, car il est très complet, il sait tout faire. Avec Romário et Ronaldo, c'était plus spécifique. Neymar est comme Messi, il fait tout sur le terrain. Il n'est pas le meilleur joueur du monde seulement parce qu'il joue à la même époque que Messi et Cristiano Ronaldo. Il y a eu des joueurs qui ont été les meilleurs du monde comme Rivaldo, Figo ou Kaká, mais Neymar est au-dessus d'eux, même s'il doit encore progresser sur certaines choses. Il est encore très irritable sur le terrain, il simule beaucoup et il provoque beaucoup de tension avec les adversaires. Mais ses statistiques sont très impressionnantes.

Tu dis dans ton livre que les grandes générations apparaissent au Brésil tous les douze ans depuis 1958. La prochaine serait donc 2018. Tu penses que ça aura lieu ?

Ce n'est pas une coïncidence, il est temps de créer une génération. 1958, 1970, 1982... Celle de 1994 n'a pas été aussi bonne mais elle a gagné et il y avait Romário et d'autres très bons joueurs. En 2006, le Brésil avec sept joueurs parmi les meilleurs du monde. Il y avait Ronaldo, Ronaldinho, Robinho, Adriano, Kaká, Cafu et Roberto Carlos. L'équipe de 2006 aurait pu être facilement championne du monde avec un jeu époustouflant mais ça n'a pas été le cas pour diverses raisons. C'était une génération exceptionnelle sur le plan des individualités. Avec ce calcul, la prochaine grande génération serait 2018. Je ne pense pas que ça sera aussi spectaculaire car on a seulement Neymar comme très grand joueur, mais on a d'autres très bons joueurs, dont certains progressent. Nos défenseurs centraux et latéraux sont parmi les meilleurs du monde. Gabriel Jesus est un espoir, Douglas Costa est un excellent joueur, tout comme Willian et Coutinho. Seulement, je ne vois pas une grande équipe sans un grand milieu de terrain et nous n'en avons pas. Ça sera difficilement une timaço mais on peut gagner la Coupe du monde.

La Coupe du monde 2014 peut nuire à cette génération ou ils vont arriver en 2018 en voulant et en ayant besoin d'effacer ce qu'il s'est passé ?

Le fiasco de 2014 sera un facteur de plus pour le succès de 2018. C'est ce qu'il s'est passé en 1966 et le Brésil a eu une équipe exceptionnelle en 1970. En 1978, l'équipe était faible et en 1982, c'était incroyable. La sélection de 1994 avait plusieurs joueurs qui ont échoué en 1990. Le problème est que le traumatisme du 7-1 est très très important.

En dehors du terrain, que peut-on attendre de la CBF ces prochaines années ?

La peine de prison de Marín montre qu'il existe de la corruption, ce qui était déjà évident. Les relations pernicieuses entre les fédérations et les clubs sont une mauvaise chose pour le football brésilien. L'idéal est un changement complet au sein de la structure qui dirige le foot brésilien, avec des personnes indépendantes au pouvoir, mais ce n'est pas le cas. Del Nero et Marín sont comme Ricardo Teixeira, c'est un problème pour le football brésilien. Mais aujourd'hui, ils sont beaucoup plus vigilants et savent qu'ils ne peuvent pas franchir la ligne jaune car tout le monde sera au courant.

Ce qu'il se passe en dehors du terrain nuit à ce qu'il se passe sur le terrain ?

La Seleção peut avoir une grande équipe et gagner, indépendamment des affaires de la CBF (Confédération brésilienne de football), mais le football brésilien se retrouve discrédité. Il doit y avoir beaucoup de changements pour améliorer le foot brésilien mais comme la sélection est composée à 90% de joueurs qui jouent en dehors du Brésil, le préjudice est moins important.

Tu as joué en Seleção pendant la dictature. Les militaires intervenaient au sein de l'équipe ?

Ceci est la preuve que les choses sont séparées. C'est possible qu'une équipe gagne, indépendamment de qui est au pouvoir. Il n'y avait pas d'interférences directes, même si des militaires faisaient partie de la commission technique, pour la préparation physique par exemple. La CBD (ancêtre de la CBF) donnait tout son soutien au football car elle savait que le succès sur le terrain adoucissait ce qu'il se passait en dehors. Il y avait un grand soutien pour que la sélection soit séduisante et les militaires qui étaient présents n'intervenaient pas car ils ne comprenaient rien au jeu. C'est plus ou moins ce qu'il se passe aujourd'hui, la sélection fonctionne différemment de ce qui se passe à la CBF.

Il y a une personne que tu aimerais voir à la tête du football brésilien ?

Je ne connais personne pour occuper le poste. Il faut quelqu'un qui s'est préparé à devenir dirigeant. Il y a eu le nom de Leonardo un temps, mais je ne sais pas si c'est la personne la plus adéquate. Il a été joueur, entraîneur et dirigeant en Europe, donc il peut être prêt. Il est séduisant et moderne mais je ne le connais pas. Le problème, c'est que les personnes compétentes ne peuvent pas s'imposer dans le système actuel.

Pourquoi ?

Parce qu'il y a une structure corrompue à la CBF, entre les fédérations et les clubs. C'est le même groupe qui commande, ils sont tous liés. Du coup, si un dirigeant compétent de club ou de fédération surgit, avec des connaissances et des capacités pour être à la CBF, il n'accède pas au pouvoir. Le système l'en empêche. Mais comment changer ça si la CBF est un groupe privé et que le gouvernement ne peut pas intervenir ? Ça serait une possibilité, mais actuellement le Brésil a tellement de problèmes extrêmement graves que le football reste au second plan.

 

Traduction, Marcelin Chamoin pour Lucarne Opposée

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.