Dès le 9 décembre 2016, Rui Costa, ancien dirigeant du Grêmio, devenait le directeur sportif de la Chapecoense, afin de participer à la reconstruction du club. Avec Mauro Cezar Pereira, journaliste chez ESPN, Rui Costa revient sur les difficultés que rencontre le club. Lucarne Opposée vous propose la traduction de l'interview.

Deux matchs le même jour, trois matchs en quatre jours, le calendrier est-il une difficulté encore plus importante que ce que vous aviez imaginée ?

Le calendrier a toujours été une préoccupation. C'est pour ça qu'on a formé un groupe large, avec 33 joueurs, en comptant ceux de la formation. Le nombre peut même aller jusqu'à 38. On a besoin d'un groupe solide, par pour deux matchs le même jour, ce qui est irréel, mais pour les matchs suivants. On ne doit pas avoir onze titulaires, mais seize. On est partis de zéro.

Jouer pour la Chape, c'est comme jouer pour le Pays basque ou la Catalogne.

Le club a tenté de faire quelque chose pour éviter l'accumulation de matchs en si peu de temps ?

On a essayé d'alterner des matchs avec la Liga et la fédération catarinense, mais le calendrier ne le permet pas. L'entraîneur Vagner Mancini a besoin d'une semaine entière pour préparer les joueurs, mais jusqu'à aujourd'hui, il y en a eu peu, à l'exception de la présaison. On a essayé de dégager du temps mais malheureusement, ça n'a pas été possible.

Quelles ont été les plus grandes difficultés de la direction pour reformer l'équipe ?

Le temps d'établir le profil des joueurs et d'adapter le budget aux besoins. Il y avait beaucoup de joueurs et on ne pouvait pas choisir n'importe qui. On devait avoir le détail du scout et le profil pour choisir chacun des joueurs. On a été très professionnels dans le choix des joueurs. Tous ceux qu'on avait choisis ne sont pas ici, mais tous ceux qui sont ici ont été choisis. Cela nous a pris beaucoup de temps, mais c'était fondamental. Nous travaillons au sein d'un club avec des caractéristiques propres, qui sont devenues encore plus particulières. C'est un club de la communauté, même des personnes qui n'aiment pas le football aiment la Chapecoense. Jouer pour la Chape, c'est comme jouer pour le Pays basque ou la Catalogne. Il était nécessaire que les joueurs que nous avions pris ne viennent pas ici en traitant le club comme une simple étape de leur carrière.

Il a manqué une identification ?

Dans certains cas, il a manqué cette capacité d'identification, ce qui prend du temps. Mais on a réussi à former un groupe qui est motivé pour jouer ici. Il existe des motivations professionnelles, comme la Libertadores ou le match contre le Barça. À chaque fois qu'on recrutait un joueur, on en parlait jusqu'en Europe, à chaque fois qu'un joueur portait le maillot de Chapecoense, il y avait des répercussions dans la presse, et j'ai utilisé ça également. Il y a eu un moment où je ne savais pas si la Chapecoense jouerait au football en 2017. Ça a été plus qu'une difficulté.

Combien de joueurs ont été recrutés ?

Il y a eu 24 transferts. Celui de Rossi a été le premier et a été très intéressant. Il était déjà demandé par plusieurs équipes et quand il est arrivé, il était déjà dans toutes nos listes. Ça a été très intéressant parce qu'à aucun moment il m'a demandé s'il y aurait une équipe ou non. Il a simplement signé le contrat, sans demander avec qui il allait jouer. D'autres, comme Túlio de Melo, ont fait une croix sur une partie de leur salaire pour venir ici. Il disait qu'il ne se sentirait pas satisfait professionnellement s'il ne rendait pas à la Chapecoense ce qu'elle a fait pour lui. Tous les autres ont fait d'une façon ou d'une autre quelque chose en plus pour jouer ici. Je suis certain que ça nous apportera quelque chose de positif pour l'avenir.

Par rapport à la promesse initiale des clubs de Série A, qui proposaient de céder des joueurs à Chapecoense, lesquels l'ont réellement fait et quels joueurs ont été recrutés au cours de ce processus ?

De nombreux clubs ont fait de grands partenariats avec la Chapecoense. Ils n'ont pas fait de dons mais il y a des joueurs qui gagnent 100 000 R$ et pour qui on paye 40 000 R$. Le club d'origine complète la différence entre les deux salaires. D'un autre côté, les joueurs ont ici plus de visibilité. Des clubs nous ont offert des joueurs, des structures. C'est évident que pour former notre équipe, l'outil principal était d'avoir des prêts gratuits avec des salaires partagés. Ça a été très important pour qu'on puisse monter l'équipe. On ne peut que remercier les clubs partenaires, comme Cruzeiro ou l'Atlético-MG. Palmeiras nous a offert des situations favorables. D'autres ont un partenariat, comme São Paulo, Flamengo, Sport, Londrina, Grêmio, qui nous ont prêté des joueurs gratuitement.

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La Chapecoense débutera la Copa Libertadores contre Zulia, du Venezuela, le 7 mars. Que manque-t-il encore pour atteindre l'objectif espéré ?

Il manque du temps. Du temps pour travailler, pour connaître les joueurs, pour gérer les succès et les déceptions. Il nous manque la capacité de comprendre pourquoi nous gagnons ou nous perdons. Mais j'ai confiance en ce groupe. C'est évident qu'il y a des équipes mieux préparées, on aura devant nous Lanús, la meilleure équipe d'Argentine, mais ce dont nous avons vraiment besoin, c'est du temps.

Quel est l’investissement de la Chapecoense dans ce nouveau groupe ?

La direction a fait un effort, il y avait un budget raisonnable et équilibré, mais nous avions besoin de recruter plus de vingt joueurs et on a pu avoir de nouveaux fonds pour réaliser ceci. Mais notre dépense en salaires est pratiquement la même que l'an passé, même avec la Libertadores. Je ne cesse de dire qu'il faut pratiquer le modèle de gestion traditionnel du club. Je me suis adapté à la Chapecoense, et non l'inverse.

Les recettes ont augmenté par rapport à l'an dernier. À quel point ?

Bien moins que ce qui avait pu être imaginé ou espéré, mais le club a augmenté ses recettes, en reconsidérant ses relations historiques, sans tourner le dos aux partenaires de longue date. On a revu les contrats et il y a eu une amélioration. La télévision retransmet plus de matchs, les gens vont au stade, mais les dépenses ont augmenté également, avec l'indemnisation des victimes, ce qui est très important pour le club. On m'a demandé si l'argent des dons servira à recruter des joueurs, ce qui est absurde. On a tout séparé, il y a différentes dépenses, entre les dons pour les familles et le budget, qui est destiné à former l'effectif.

La perte d'une équipe entière représente évidemment la perte de nombreuses vies, mais également un préjudice économique. Comment a été fait le calcul de la valeur économique des joueurs qui viennent former une belle équipe compétitive ?

Nous n'avons pas fait ce calcul, mais ça a été fait par certaines personnes du club. Ça a été certainement fait par des investisseurs, pour des questions d'assurance. Le club, pour des raisons qui échappent à sa volonté, doit affronter des situations où la comptabilité est nécessaire.

Comment est le quotidien de l'entraîneur Vagner Mancini face à autant de problèmes pour reformer une équipe de zéro ?

On est plus au club qu'avec nos familles, et je vois en lui une capacité de travail impressionnante. Quelqu'un qui est venu ici avec l'objectif de gagner, quelqu'un qui a compris ce qu'était d'appartenir à la Chape. Avec nos convictions, on a compris qu'on ne pourrait rien faire si tous ne comprenaient pas ce que signifie d'appartenir à Chapecó. Mancini est intelligent, il a rapidement compris le contexte. La lutte est terminée. Quand nous gagnons, c'est bien, si nous perdons, on reçoit des critiques. C'était difficile de monter une équipe dans ce contexte, mais à aucun moment il ne s'est plaint. Personne ne fuit ses responsabilités. Mancini, comme chacun de nous, a fait une croix sur un salaire pour participer à la restructuration du club. Il peut contribuer à notre travail, ce qui est quelque chose de spécial à cette période.

Quels sont les objectifs réalistes de la Chapecoense en 2017 pour les différentes compétitions qu'elle disputera jusqu'en décembre ?

Nous avons des objectifs internes. Mais nous comprenons que c'est une année de transition, on doit d'abord maintenir le club en Série A. Aller chercher un titre régional. Nous avons la Recopa, il y a deux matchs et on peut rêver d'un titre international remporté sur le terrain. Et faire une belle Libertadores. On doit afficher des objectifs, mais on comprend que ce sont trente personnes qui travaillent ensemble et qui ne se connaissent pas. À chaque fois que l'équipe entre sur le terrain, il y a un poids, avec le besoin de conquérir la passion du supporter. On ne souhaite pas juste participer, mais on ne peut pas remporter tous les trophées, c'est impossible. On doit maintenir le développement de la Chapecoense. Si à la fin de l'année, on voit que le club a évolué, nous aurons atteint notre objectif.

 

Traduction Marcelin Chamoin pour Lucarne Opposée

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.