Alejandro Duarte est né en Allemagne, dans la ville de Franz Beckenbauer, de parents germano-péruviens qui ont par la suite décidé de rentrer au pays des Incas. Gardien dès le plus jeune âge, ses qualités dans les cages lui ont vite permis de rejoindre la sélection des moins de 20 ans du Pérou. Désormais numéro un du club San Martin, ses bonnes performances ont attiré l’œil du Tigre Gareca qui le convoque lors des deux dernières rencontres du Pérou contre la Croatie et l’Islande. Nous sommes allés à sa rencontre.

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Comment le football est-il entré dans ta vie ?

Quand j’étais jeune, j’aimais beaucoup le sport. À l’école je faisais du basket, de la natation, du football et aussi du tennis. En fait, je voulais être tennisman. Mais un jour, un ami qui jouait dans une équipe m’a proposé de venir remplacer le gardien qui ne venait plus. J’y suis allé, j’ai essayé et comme c’était un sport collectif, la compétition me plaisait plus que le tennis. J’ai donc décidé d’opter pour le football et ça m’a beaucoup plu !

Tu avais quel âge ?

J’avais 10 ans

Et depuis tu as toujours été gardien ?

Oui. Pendant mon temps libre j’aimais aussi jouer avec les copains en joueur de champ mais depuis mes 10 ans j’ai toujours été le gardien dans les équipes avec lesquelles je jouais.

C’est curieux car la majorité des gamins préfère être attaquant et marquer des buts mais non toi tu préfères arrêter les buts !

J’adore jouer au football, mais ce que je préfère c’est gagner. Je sentais que depuis les cages, je pouvais aider mon équipe à ne pas prendre de but et donc gagner, j’étais plus déterminant et c’est aussi pour cette raison que j’aime être gardien.

Et donc à quel moment as-tu décidé à en faire ton métier ?

Je finissais le collège et mes parents s’étaient donnés beaucoup de mal pour me donner une bonne éducation. Ils voulaient que j’étudie. Dans ma famille, personne n’a fait du football sa profession et ils ne savaient pas vraiment comment cela se passait. J’ai donc opté pour continuer mes études aux États-Unis avec une bourse mais c’est à ce moment que j’ai été convoqué avec la sélection des moins de 20 ans. L’entraineur a demandé à tous les joueurs de la sélection d’être pro dans des clubs qui jouaient le championnat. J’ai parlé avec mon représentant de l’époque et il m’a mis en contact avec le club Juan Aurich de Chiclayo. J’ai signé un contrat pro sans même y penser deux fois ! Et c’est ainsi que j’ai commencé dans le football professionnel et que je suis resté trois années à Chiclayo.

Ces derniers mois, beaucoup de joueurs ont quitté le Pérou pour jouer dans des championnats plus élevés comme le Mexique par exemple. Que manque-t-il au championnat péruvien pour être plus attractif ?

Effectivement. Je crois que c’est évident qu’il y a beaucoup de talent au Pérou, mais il y a beaucoup de travail à faire comme par exemple sur la formation des jeunes mais aussi les infrastructures. Nous sommes encore loin des autres pays et c’est quelque chose qui se remarque car il y a une grosse différence.

Aujourd’hui, avec ce qu’a obtenu la sélection, qui est quelque chose d’énorme, le joueur péruvien est mieux vu, mieux valorisé à l’étranger et coute moins cher qu’un argentin ou un brésilien et peu autant apporté et se mettre en avant. Mais le problème au Pérou, dans les clubs, comme je te disais, est qu’il faut faire plus d’efforts dans les infrastructures, investir plus et avoir un meilleur plan de croissance qui est pour l’instant trop court. Par exemple, selon l’entraineur que tu as quand tu es jeune, cela compte beaucoup, il te prépare différemment où il a une idée différente du football. Je crois sincèrement que l’on ne grandit pas avec un concept du football bien défini et cela nous coûte quand il est question de compétitions internationales.

Tu es né en Allemagne, gardes-tu un lien avec ce pays ?

Oui, mes deux grands-mères sont Allemandes et se sont mariés avec des péruviens donc ma mère et mon père sont 50/50, sont nés au Pérou et ont étudié au collège germano-péruvien puis ont décidé de vivre en Allemagne. Ils sont restés 12 ans dans ce pays et j’y suis donc né ainsi que mon frère. Nous sommes ensuite allés vivre au Pérou quand j’avais 3 ans. Mon frère et tous mes cousins sont partis étudier et vivre en Allemagne. Je suis le vilain petit canard de la famille qui est resté au Pérou pour jouer au foot !

Mais tu aimerais y retourner pour poursuivre ta carrière ?

En 2010, j’ai fait un essai au Bayer Leverkusen et j’y suis resté. J’ai signé un contrat et joué la présaison. J’avais 16 ans et juste à ce moment-là, la FIFA s’est montrée plus stricte en termes de contrat de joueur mineur. J’ai dû renoncer et c’est vraiment dommage car le niveau de préparation là-bas était vraiment bon. Ils font super attention à l’éducation des jeunes aussi. Ce fut une très bonne expérience et je n’ai malheureusement pas pu rester. Je reste aussi réaliste car les bons gardiens en Allemagne ça ne manque pas, ils ont de très grands gardiens. Bien sûr, j’aimerais jouer à l’étranger mais venir en Allemagne en tant que gardien, c’est très difficile. Dans d’autre pays, oui je pourrais y aller sans problèmes.

Il est aussi question de physique en Europe, les clubs sont très exigeants en termes de taille.

Ils recherchent un type de gardien très grand mais par exemple en Espagne il y a plus de gardien de ma taille. Au Mexique, au Portugal aussi. En Allemagne ou en Angleterre, ils sont obligés d’avoir de très grands gardiens. Il faut donc bien choisir sa destination pour pouvoir y aller et se mettre en avant.

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Avec ton équipe actuelle, la San Martin, tout avait bien débuté sa saison avant de rentrer dans le rang. À quoi, selon toi, cela est-il dû ?

Effectivement, on a eu un très bon début auxquels personne ne s’attendait, on a montré un beau football qui s’est traduit en bons résultats. Ensuite nous avons eu des matches que nous aurions dû gagner où nous avons raté des occasions à la dernière minute ou on s’est pris des buts à la dernière minute et on a enchainé cinq matches sans gagner, en faisant des nuls. Quand tu es une équipe de jeunes et que les résultats ne suivent pas, tu commences à perdre confiance et à douter. Le mental nous a beaucoup affecté. Tu commences à te demander ce qu’il faut faire de plus pour gagner. En réalité tu te rends compte qu’au football, c’est très dur de gagner un match.

Au football, ce n’est pas seulement la technique et le physique. Il y a aussi une part de psychologie ?

Oui beaucoup. Surtout quand tu es jeune. Tu vois que les arbitres prennent des décisions contre toi car c’est plus simple pour eux. On a eu beaucoup de situations contre nous qui a rendu notre chemin plus difficile. Au début, c’était l’inverse, grâce à des situations favorables, nous pouvions gagner un match 4-0 et on gagnait de la confiance. Dans le cas inverse c’est la frustration qui prend le dessus. Je crois que c’est un apprentissage pour nous et nous essayons de sortir de cette mauvaise passe de huit matches sans gagner et arriver à l’Apertura dans la meilleure des formes avec plus d’expérience.

Quels sont tes objectifs pour cette année ?

Pour cette année ? J’aimerais d’abord aider mon équipe à atteindre une place la plus élevée possible dans le classement. Cela fait maintenant trois ans que la San Martin parie sur les jeunes et a souvent lutté en bas du classement. C’est dommage car c’est un beau club avec de bonnes infrastructures et je pense que nous avons la matière première qui est le talent pour pouvoir jouer les premières places comme ce fut en début d’année. J’espère que nous pourrons corriger ces problèmes et pouvoir arriver à une coupe continentale ou qui sait gagner l’Apertura ou le Clausura.

Personnellement, j’aimerais garder le bon niveau que j’ai eu depuis cette année et bien sûr pouvoir l’améliorer. Je sens que j’ai encore beaucoup à améliorer et j’y travaille chaque jour. Évidemment, il y a le mondial qui est une belle illusion pour n’importe quel footballeur péruvien. Je sais que c’est difficile car il y a de la concurrence mais il faut travailler sans relâche pour que le sélectionneur t’inclut dans la liste et profiter d’une possible situation dans laquelle le sélectionneur pense à toi. Il faut être préparé (NDLR : entretien réalisé avant la publication de la liste).

« Aujourd’hui au Pérou, nous sommes assurés que nous pouvons jouer contre n’importe quelle sélection d’égal à égal ».

En parlant de la sélection, tu as justement été convoqué il y a peu. Comment as-tu appris ta convocation ? Ce fut une surprise non ?

Je savais que Pedro Gallese était blessé, qu’une place s’était libérée et qu’ils allaient convoquer un gardien. Je savais aussi que j’étais dans une série de bonnes prestations, dans une bonne forme. Mais jusqu’à la conférence de presse où ils donnent la liste, je ne savais pas s’ils allaient m’appeler ou non. J’étais attentifs et cette fois-ci ma famille et moi avions un bon pressentiment. C’était le moment et par chance j’étais sur la liste. C’était vraiment une bonne nouvelle et un très bon moment.

Depuis ta convocation, ressens-tu un changement d’attitude auprès de ta famille, tes amis et les supporters ?

Ma famille a toujours essayé de prendre les choses avec beaucoup de calme car il fut un temps où cela ne marchait pas pour moi, je ne recevais pas les opportunités que je voulais. Maintenant que de bonnes choses sont arrivées nous essayons de garder le calme. Nous savons que dans le football, cela va très vite. Quand tout va mal, il faut relever la tête et quand tout va bien il ne faut pas trop s’exciter. Dans ma famille nous sommes donc tranquilles. Pour les supporters de la San Martin et en général du Pérou, oui, j’ai noté un changement. On regarde un peu plus mes matches, on parle de moi et c’est quelque chose de beau car cela te fait sentir important et surtout que tu es dans la bonne voie.

Tu aurais pu faire partie de cette belle aventure que fut le Sudamericano 2013 mais tu as renoncé à la sélection. Peux-tu nous en dire plus sur ce passage de ta vie ?

Oui, mais je crois que, en étant en 2018, ce passage de 2012/13 est une histoire qui doit rester dans le passé.

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Pourrais-tu, tout de même nous donner ton avis sur quel est le meilleur joueur de cette génération ?

Le meilleur joueur pour moi ? Je crois qu’il y en a beaucoup ! Trois générations se sont unies car il y avait des joueurs de 95 comme Tapia, Aquino et Sergio Pena. Des joueurs de 94 de la sub15 et sub17 comme Cartagena, Flores, Polo, Araujo et aussi de 93 comme Yordy Reyna, Jean Deza et Alexi Gomez. De très bons joueurs qui ont beaucoup fait parler. Je crois qu’aujourd’hui, celui qui est dans un grand club c’est surtout Renato Tapia et je dirais que c’est l’un des meilleurs avec Edison Flores qui brille avec la sélection. Cela me fait plaisir de voir cette génération réussir comme ça.

Parlons du dernier rassemblement pour les matches contre la Croatie et l’Islande. Comment s’est passée ton intégration dans ce groupe ?

La vérité ? Très agréable ! J’avais posé des questions à des amis que j’ai dans la sélection comme Aldo Corzo et Cartagena. Je leur avais demandé comment c’était et ils m’avaient assuré que quand tu es nouveau, on te traite bien comme si tu étais là depuis des années. Il n’y a personne qui essaye de faire gaffe à son poste. On t’accepte vite comme l’un des leurs et c’est vraiment ce qu’il s’est passé dans mon cas. Ils m’ont vite accepté et facilité mon intégration. C’est important car au jour le jour, tu t’entraines avec de grands joueurs qui sont dans les meilleurs ligues du monde. C’est dur au début mais ils font tout pour t’aider. Je suis très reconnaissant pour ça.

Cela se voit aussi sur le terrain car le Pérou à maintenant un collectif impressionnant. Aujourd’hui tout le monde parle de ce collectif, ce n’est pas seulement des individualités mais surtout une vraie équipe. C’est la formule Gareca?

Bien sûr le sélectionneur à sa part de responsabilité mais il y a aussi tout l’organigramme technique en général et la fédération donne tous les outils nécessaires après avoir souffert tant d’années. Il y a une bonne équipe derrière eux qui gère le thème de l’alimentation, des statistiques…c’est très complet et cela a permis de développer leur travail et aux joueurs aussi de se compromettre plus à cette cause. Je pense que cela a aussi aidé à avoir une bonne relation et fortifié le bon rendement sur le terrain. Je crois donc que c’est une combinaison de plusieurs facteurs qui a fait que c’est une équipe très unie et solide.

Quand tu y étais, il n’y avait pas Paolo Guerrero. Qui est le chef sans lui ?

En vrai, quand je suis arrivé je n’ai pas senti qu’il y avait un leader ou une personne que l’on traite différemment. Ce qui m’a plu justement c’est qu’on traite de la même façon le plus grand et le plus petit. On parle à tout le monde de la même manière, avec du respect. On se charrie aussi sans problème et on a tous une opportunité de s’exprimer et personne ne te regarde de travers. Tout le monde est très ouvert, chacun donne son opinion et c’est quelque chose qui m’a beaucoup plu. C’est une équipe très saine dans ce sens.

« Le plus dangereux, c’est Mbappé »

On vous voit très unis c’est vrai. En France on commence à avoir peur du Pérou. Au début, après le tirage, on se disait qu’on a eu de la chance de tirer le Pérou mais maintenant, avec le toque peruano qu’on a pu voir, vous êtes un des favoris du groupe ! Que penses-tu de ce groupe justement ?

Je crois que c’est un groupe très difficile mais au mondial il n’y a pas de groupe facile. Si tu veux faire un bon mondial, il faut affronter les meilleures sélections du monde et les battre. Alors évidemment, on voyait le Pérou comme une équipe plus accessible mais je crois qu’après le match contre la Croatie, les gens ont commencé à nous voir différemment et c’est quelque chose de bien car cela nous donne confiance. C’est un bon groupe car on ne sait pas ce qu’il peut se passer. La France est le grand favori pour les joueurs que vous avez mais à un mondial il peut tout arriver. Le Pérou me donne de la tranquillité car au-delà du fait d’obtenir de bons résultats, aujourd’hui au Pérou, nous sommes assurés que nous pouvons jouer contre n’importe quelle sélection d’égal à égal et si on joue comme ça on peut obtenir le résultat que l’on souhaite.

Au final, ce sont 90 minutes, 11 hommes contre 11 hommes et un ballon. D’ailleurs, as-tu un petit prono en tête pour le match contre la France ?

Comme tu dis, c’est un match à 11 contre 11 mais cette fois c’est 11 cracks de niveau mondial en France. Il y a Griezmann, Mbappé, Giroud, vous avez Pogba… je peux tous les citer ! Vous avez une grosse équipe avec une hiérarchie bien définie. Mais le Pérou à un collectif très fort et comme le football est d’abord un sport collectif, il ne faut minimiser personne qui a une équipe forte. Je vois donc un match équilibré, mais bien sûr si on se distrait, avec la qualité des joueurs de la France, vous pouvez prendre l’avantage. Mais si nous sommes concentrés et dans un bon moment, on peut jouer le match nul et pourquoi pas aussi l’emporter.

Avec un match nul contre la France, vous vous ouvrez les portes des huitièmes. Quel est le joueur qui te fait peur en France ?

J’espère que l’on aura cette chance d’aller en huitième ! Pour moi, aujourd’hui le plus dangereux c’est Mbappé. C’est un attaquant très rapide et en plus avec la vitesse qu’il a… Il y a peu de joueurs dans le monde qui peuvent avoir cette vision du jeu et pouvoir emmener la balle où ils le veulent. Je considère que Mbappé est le joueur le plus dangereux !

Dernière question. Comment as-tu vécu la qualification du Pérou en tant que joueur ?

Ce fut un moment magique. Je n’ai pas été convoqué pendent les éliminatoires donc je l’ai vu de l’extérieur mais évidemment, ce fut au-delà une grande joie pour tout le pays. Cela m’a aussi donné une grande leçon car les Péruviens qui sont nés après les derniers mondiaux qu’a joué le Pérou, nous étions habitués à voir le Pérou perdre, voir la sélection ramener des mauvais résultats et d’entendre des mauvaises actions de la part des joueurs. Maintenant tout ça a radicalement changé et cela a donné une leçon aux footballeurs péruviens de savoir que nous avons le talent nécessaire et avec beaucoup de travail nous pouvons rivaliser avec n’importe quel adversaire.